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S’imposer à l’échelle régionale, continentale ou même planétaire constitue, pour certaines entreprises, une condition sine qua non de survie. Qualité, savoir-faire et innovation font partie des ingrédients indispensables. Illustrations par l’exemple.

Le Luxembourg est un petit pays. Mais cette réalité géographique n’a pas empêché certains de ses acteurs économiques à entreprendre et à développer une activité d’envergure. Très vite, toutefois, tout business qui trouve son origine au cœur du Grand-Duché et qui nourrit des ambitions de croissance doit apprendre à jouer des coudes sur les territoires voisins. Ou, pour certains, aller plus loin. Beaucoup plus loin.

Se réveiller avec la Chine

«Le marché luxembourgeois n’a jamais été porteur pour nos activités, explique Jacques Lanners, président du directoire de Ceratizit. Nous ne pourrions pas fonctionner avec ce seul marché. Nous avons toujours produit ici pour exporter.» Pour le dirigeant de cette entreprise familiale qui, depuis Mamer, est parvenue à s’implanter aux quatre coins de la planète, toute structure industrielle au Luxembourg se doit d’exporter pour grandir.

En proposant des produits innovants, tout d’abord, puis en trouvant des partenaires de choix lui permettant de s’implanter sur de nouveaux marchés. En octobre dernier, Ceratizit a ainsi conforté sa présence en Asie en acquérant 50% des parts du producteur de carbure CB Carbide. «Notre plan stratégique, à moyen et long termes, prévoyait une extension vers l’Asie. Pendant trois ans, nous avons recherché un partenaire, quelqu’un avec qui nous pourrions évoluer et croître en Chine, explique Jacques Lanners. On dit que lorsque ce pays s’éveillera, le monde tremblera. Aussi, nous préférons nous éveiller avec la Chine.»

Mais Ceratizit, malgré une expansion mondiale, a toujours tenu à maintenir le principal de son activité au Luxembourg. «Développer une présence à l’étranger est important pour répondre aux divers besoins et aux différents niveaux de service. En étendant notre activité à l’échelle mondiale, nous sommes moins dépendants de certaines fluctuations inhérentes à certains marchés», explique le président du directoire. Au Luxembourg, avec 1.100 employés répartis sur trois unités de production, Ceratizit conserve la production à haute valeur ajoutée. «Nous n’avons délocalisé que la production de nos produits dits de commodité, explique-t-il. La recherche, le développement, l’innovation et la production à haute valeur ajoutée sont maintenus chez nous. La matière grise, c’est ce qui permet aujourd’hui à l’Europe d’être compétitive. Il importe de ne pas brader nos secrets.»

La joint venture avec CB Carbide permet à Ceratizit de faire passer le nombre de ses sites de production de 13 à 21, avec huit nouvelles implantations dans l’empire du Milieu. Le producteur de pièces d’usinage avait déjà des succursales en Italie, en Bulgarie, aux Etats-Unis. Désormais, 25% de la production du site sont vendus en Asie, 65% en Europe et le reste aux Etats-Unis.

La qualité pour des marchés de niche

L’industrie de la production laitière, elle aussi, est à l’étroit dans le marché luxembourgeois, comme le confirme le directeur général de Luxlait, Claude Steinmetz. «Au Luxembourg, la production est excédentaire, assure-t-il. Plus de la moitié part directement vers la France et l’Allemagne. Nous traitons, chez Luxlait, 45% de la production des éleveurs luxembourgeois. La moitié est revendue sur le marché national sous la forme de produits divers, l’autre moitié part à l’exportation.»

Sur le marché national, inondé de produits laitiers venant des pays avoisinants, la concurrence est rude. D’où la nécessité, pour Luxlait, de trouver les moyens d’exporter pour croître. «Nous désirons, aujourd’hui, à la fois gagner des parts de marché sur le territoire luxembourgeois, mais aussi au niveau de l’export», explique Claude Steinmetz. Si, au Luxembourg, l’offre est la plus vaste possible, c’est une politique de niche qui est privilégiée à l’export. «Par exemple, nous nous sommes implantés sur le marché allemand en répondant au besoin d’une importante clientèle ethnique, en étant les seuls à lui proposer des spécialités laitières, spécifiquement développées par nos soins, qu’elle connaissait dans son pays d’origine et qu’elle ne retrouve pas dans l’offre traditionnelle européenne.»

De même, pour les marchés français et belge, Luxlait propose du lait battu. Un produit qui répond à une demande de communautés en provenance d’Afrique du Nord. Et pour la communauté turque en Allemagne, Luxlait a aussi développé un yaourt particulier.

Cette orientation vers des marchés de niche a aussi été rendue possible par le biais d’une politique de très haute qualité menée par la société pour ses produits. «Il nous fallait donc trouver des marchés qui puissent honorer cette qualité, précise M. Steinmetz. Mais cela exige aussi de s’inscrire dans une démarche dynamique et innovante, aussi bien dans le domaine de la recherche que de la vente. Il y a d’autres segments, d’autres marchés qui ont été identifiés et qui devraient nous permettre d’assurer la croissance de la laiterie, assure le directeur. Nous n’avons pas peur pour l’avenir.»

Une implantation ouverte sur sa région

Pendant de longues années, les établissements Marcel Grosbusch et Fils se sont contentés de servir le marché national avant tout. Mais depuis quelque temps, l’entreprise familiale, spécialiste de la commercialisation des fruits et légumes, a pris de l’ampleur. «En 2005, nous nous sommes implantés à Ellange, sur la zone d’activités du triangle vert. Parce que nous n’arrivions plus à répondre aux besoins de notre marché de toujours, nous y avons développé un bâtiment trois fois plus grand que celui de notre ancien site, à la Cloche d’Or. Cela nous a ouvert de nouvelles possibilités et poussés à chercher les moyens de croître, explique René Grosbusch, gérant administratif de l’entreprise. Or, le marché luxembourgeois ne permettait plus d’obtenir une croissance souhaitée. Nous avons donc étendu notre marché à la Belgique, la Lorraine, la Rhénanie et la Sarre.» Désormais, Marcel Grosbusch et Fils réalise 25% de son chiffre d’affaires au-delà des frontières. Depuis cette ouverture à l’international, l’entreprise a doublé son chiffre d’affaires et ses effectifs.

«Il y a 30 ans, nos pères avaient peur de la concurrence qui pouvait venir de l’étranger, explique René Grosbusch. Aujourd’hui, on se rend compte que la concurrence n’est pas vraiment présente. Que les acteurs de la grande distribution, par exemple, dépendent surtout de grosses centrales d’achat auxquelles on a aussi pu présenter nos services.»

C’est donc à partir de son nouvel outil moderne et bien desservi que de nouvelles opportunités ont pu être envisagées. Le contexte frontalier de cette implantation, il est vrai, a été propice à ce développement. Par ailleurs, trois jeunes directeurs ont été embauchés au sein de la structure. «Ils ont donné un second souffle à l’entreprise, en décidant de se positionner sur ces nouveaux marchés, mais aussi en développant de nouveaux produits et services, explique René Grosbusch. Ils ont apporté des idées à notre volonté de toujours avancer, d’aller vers de nouveaux clients et marchés, avec des produits innovants.»

Le rayon délimitant la zone d’activité de Marcel Grosbusch et Fils est passé de 50 à 100 kilomètres en quelques années. Mais l’entreprise veille à ne pas brûler les étapes. «Nous sommes dans un commerce particulier, travaillant avec des produits délicats, ajoute René Grosbusch. S’il y a une volonté entrepreneuriale d’avancer, il faut se donner les moyens de le faire en préservant cette qualité, la proximité et le contact avec le client. A vouloir développer trop loin ou trop vite, on risque de pénaliser la clientèle existante.»

Penser «particularités locales»

Acteur de la production et de la vente de produits du tabac depuis 1847, Landewyck Group, issu de la restructuration de la société familiale luxembourgeoise Heintz van Landewyck en 2003, s’est fortement développé à l’échelle internationale. «Nous sommes depuis toujours portés sur les marchés autour du Luxembourg», assure Christian Greiveldinger, directeur commercial du groupe. Pour le commerce du tabac, le Luxembourg est en effet relativement restreint. «Il faut savoir qu’à peu près 80% du tabac acheté chaque jour au Luxembourg est consommé au-delà de nos frontières, à cause de l’avantage pécuniaire qu’il y a toujours eu à venir y acheter ses cigarettes, précise M. Greiveldinger. Tout comme pour l’essence et les alcools, cette différence de prix est due à un régime fiscal particulier. Nous, que nous vendions des cigarettes ou des produits du tabac au Luxembourg et en Belgique, il n’y a pas de grande différence.»

En revanche, en Europe, le marché du tabac est en léger déclin. C’est donc pour préserver l’entreprise que le producteur luxembourgeois a, depuis quelques années, étendu son activité à de nouveaux marchés. «L’objectif est de croître pour pérenniser l’outil. Pour cela, on ne peut plus se contenter de se concentrer sur les marchés où nous sommes déjà présents, explique le directeur commercial. Nous sommes actifs sur 35 marchés différents, sur l’Europe géographique, certains pays africains comme l’Afrique du Sud, une partie de l’Asie. Des opportunités sont étudiées chaque jour.»

Mais s’implanter sur un nouveau marché prend du temps, nécessite de trouver des partenaires ou d’implanter une filiale localement pour assurer la commercialisation des produits. Face aux plus grands producteurs de cigarettes à l’échelle mondiale, Landewyck Group privilégie une stratégie de niche. «Plus les plus grands prennent de la place sur un marché, moins il y a de petits acteurs, plus les niches délaissées sont importantes», commente Christian Greiveldinger. Si le centre décisionnel du groupe est positionné au Luxembourg, comme deux des sept sites de production, il laisse les latitudes nécessaires à ses partenaires locaux pour répondre au mieux aux besoins d’un marché. «Les personnes qui sont localement implantées connaissent leur marché et permettent d’adapter l’offre aux attentes de celui-ci. Il peut s’agir de légères variations du goût en fonction des régions, ou du développement de produits typiques, explique le directeur commercial. Ces aspects font partie du mix de connaissances à avoir pour bénéficier d’une chance de croissance et de s’étendre sur de nouveaux marchés. Nous essayons de proposer un choix de produits de qualité à un prix intéressant. Ou de nous introduire sur un marché avec un produit que les acteurs importants ne proposent pas, avant d’y intégrer d’autres produits issus de notre catalogue.»

 

Luxlait - Gagner sur Coca-Cola
A l’intérieur du territoire national, Luxlait envisage de nouveaux moyens pour gagner des parts de marché, pour croître. «Il n’y a pas que les supermarchés où nous pouvons proposer nos produits, explique Claude Steinmetz, directeur de Luxlait. Progressivement, il faut explorer d’autres pistes pour, par exemple, proposer nos produits dans les écoles ou dans les entreprises grâce à des distributeurs. Et ainsi, pourquoi pas, concurrencer Coca-Cola.» Une idée qui ne déplaira sans doute pas au ministère de la Santé et qui permettrait ainsi de proposer une alternative plus saine aux sodas. Luxlait, dans son approche marketing, a déjà lancé une initiative originale en partenariat avec ce même ministère. Avec le Vitarium, une attraction pédagogique et didactique qui emmène les visiteurs à travers la laiterie de Roost, la société présente les bienfaits des produits laitiers et leur secret de fabrication. Des écoles, du Luxembourg (mais pas seulement), chaque jour, viennent visiter ce site. Une manière originale de développer sa marque et de présenter ses produits aux visiteurs locaux… et aux autres venant de plus loin.

Export - Les outils ne manquent pas

Pour accompagner les entreprises dans leurs développements internationaux, pour les aider à exporter, le Grand-Duché a mis en place plusieurs struc­tures d’accompagnement. Comme le Département International de la Chambre de Commerce qui propose un soutien actif, au-delà de la simple mise à disposition d’informations et de conseils spécialisés, en donnant la possibilité aux entreprises de s’inscrire dans des missions de promotion économique, des salons de coopération, des visites accompagnées de foires internationales ou encore au cœur de stands collectifs ou de journées d’opportunités d’affaires. De son côté, pour soutenir les entreprises à l’exportation, l’Office du Ducroire les épaule afin d’éviter les pièges et les risques liés à leurs démarches de développement à l’international. Cette structure les aide notamment dans leur recherche de nouveaux marchés sous forme de remboursement partiel des frais liés à la formation à l’exportation, à la promotion ou à la participation à certaines foires. Le Ducroire propose aussi une assurance-crédit pour les exportations, afin qu’elles puissent se protéger des mauvais payeurs. Autre outil, l’Entreprise Europe Network est un réseau qui a pour objectif d’informer, d’accompagner et d’aider les entreprises luxembourgeoises dans le cadre du processus d’intégration européenne et de les assister afin de mieux faire connaître leurs activités et les programmes européens élaborés en leur faveur.