Pour la première fois, toutes les personnes concernées par la promotion du Luxembourg à l’étranger se mettaient d’accord pour travailler ensemble avec une signature commune, une même identité visuelle indépendamment des spécificités de chacun», se rappelle Pierre Barthelmé, conseiller de gouvernement au ministère des Classes moyennes et du Tourisme. C’est en effet en 2009 que le groupe de travail interinstitutionnel Nation branding a été mis en place, rassemblant pour la première fois des partenaires aussi différents que les ministères des Affaires étrangères, du Tourisme, de la Culture, de l’Économie, des agences comme Luxembourg for Finance ou Luxembourg for Business et le Service Information et Presse.
En janvier 2010 sortait la première salve de films promotionnels Is it true what they say about Luxembourg? Avec un montage et une musique rythmés façon clip vidéo, des images techniquement bien faites, ces films jouent du décalage de perception des stéréotypes du pays pour renforcer ses points forts, supposés méconnus: du business et de la culture, de l’histoire et du contemporain, de la nature et de l’architecture, des étudiants et des banquiers, des restaurants et des vins… le tout au cœur de l’Europe.
Beaucoup d’efforts pour peu de résultat? C’est ce que l’on est tenté de penser en entendant le constat du professeur Julia de Bres, linguiste (et anglophone) à l’Université du Luxembourg, qui souligne encore l’usage abusif de la majuscule, comme si c’était de l’allemand : «La première chose que je remarque sur cette campagne, c’est l’usage d’un anglais disons luxembourgeois, avec des tournures, certes justes, mais qu’un anglophone n’utiliserait pas, surtout dans la publicité. La langue n’est pas très créative et reste dans la description.» Spécialiste du multilinguisme et ayant analysé l’emploi de différentes langues dans les campagnes publicitaires au Luxembourg, Julia de Bres souligne aussi «la dichotomie permanente entre l’ancien et le nouveau, la tradition et le business, les symboles nationaux (lion, Gëlle Fra, monarchie…) et l’image internationale (drapeaux au Kirchberg, aéroport, langue anglaise…). Ce sont des messages incompatibles et contradictoires, mais qui correspondent cependant à l’image brouillée que les étrangers, notamment les frontaliers que j’ai interviewés, ont du Luxembourg.» Le professeur s’étonne encore de cette interrogation «Is it true…?» ou de l’usage du mot «inattendu» (ou «unexpected» en version anglaise) dans la récente campagne de l’ONT (Office national du tourisme): «C’est comme si on s’excusait par avance en disant: ‘vous verrez, ce n’est pas si mal que ça’.»
Un des écueils de ces campagnes tient au nombre impressionnant de parties prenantes à vouloir (à devoir?) en bénéficier, ayant pourtant des cibles très variées (du touriste chinois à l’investisseur arabe, du producteur de cinéma français au couple de retraités allemands…), et aux intérêts parfois contradictoires. Or, le Luxembourg ne peut pas être tout à la fois. C’est une des raisons pour lesquelles la deuxième vague de films promotionnels est signée Luxembourg for Business (toujours «en concertation étroite avec le groupe de réflexion Nation Branding», nous dit le communiqué de presse) et plus clairement orientée vers cette cible. L’objectif principal de cette campagne internationale consiste à promouvoir l’image de marque du Luxembourg et de son économie à travers la qualité de vie. Trois spots télévisés de 20 secondes sont prévus, dont le premier a été présenté en avril dernier. Les premières diffusions ont lieu sur des chaînes internationales (dans 59 pays, via Eurosport). Progressivement, ces spots accompagneront les missions économiques menées dans le monde entier et devraient d’ailleurs être traduits notamment en russe ou en turc.
Souvent forcé de communiquer a posteriori aux attaques, notamment sur le terrain des paradis fiscaux, le Luxembourg cherche ici à montrer «une autre image» du pays. «En effet, la perception du Luxembourg à l’étranger se heurte trop souvent à des préjugés et autres idées reçues, voire à une méconnaissance générale des atouts du pays», expliquait-on lors de la présentation du film au ministère de l’Économie. Aussi, l’authenticité et la qualité du cadre de vie, l’offre culturelle et l’ouverture aux besoins des investisseurs sont au cœur du scénario qui met en scène une tablée dans un restaurant où les convives viennent autant pour se régaler que pour signer un contrat. Si on peut saluer la dimension proactive de cette communication, on pourra cependant émettre quelque doute quant à sa singularité. «Je ne vois pas bien ce que l’on va pouvoir tirer de ce film. Le message que l’on reçoit, c’est que l’on peut faire des business lunches à Luxembourg… Quelle est la singularité de la Place? Pourquoi venir ici plutôt qu’ailleurs? Rien de tel dans le spot», analyse Julia de Bres avec un brin d’ironie. Elle pointe aussi les quelques images de la fin qui rejouent les symboles nationaux «trop courts pour être lisibles par des personnes qui ne les connaissent pas».
Les touristes recommandent
Si Luxembourg for Business a mis en place une nouvelle communication, l’ONT n’est pas en reste et entend donner une impulsion nouvelle aux annonces et aux messages envoyés à l’étranger, dans la presse spécialisée notamment. Le réveil date aussi de 2010 avec l’audit commandé à Ernst&Young mettant en évidence le manque de stratégie à long terme ainsi que l’éparpillement des moyens et des messages. La nouvelle directrice, Anne Hoffmann, a pris la mesure de l’enjeu et a décidé de cibler des marchés spécifiques en termes géographiques et sociologiques. Pour cela, «c’est par l’analyse de notre clientèle et ses attentes que nous avons commencé», explique-t-elle. Une vaste enquête auprès de 3.000 touristes a ainsi été menée. Elle dévoile notamment que 34% des visiteurs passant la nuit et 33% des visiteurs à la journée viennent pour la première fois au Luxembourg. «Cela nous montre qu’il y a une belle progression possible.» Autre motif de satisfaction: «La moyenne d’âge des nouveaux visiteurs se situe à 41 ans, soit 10 ans de moins que la moyenne de tous les visiteurs», signe évident de dynamisme.
Désirant «susciter l’envie de découvrir un pays au-delà des clichés», la campagne publicitaire réalisée par Concept Factory, martèle le message «Découvrez le Luxembourg inattendu». L’ONT a abandonné les photomontages douteux (ballons et grappes de raisin, VTT et grande roue, forteresse et Kirchberg…) pour proposer «des visuels forts, des images authentiques de lieux emblématiques». «On est encore une fois dans cette dichotomie ancien/moderne, national/international, nature/culture», souligne la linguiste Julia de Bres. Outre ces affiches et annonces publicitaires, les moyens de promotion classiques restent d’actualité (foires touristiques, annonces, brochures, etc.). L’ONT a en outre développé son marketing sur internet (optimisation vers les moteurs de recherche, achats de mots-clés…) pour valoriser son site visitluxembourg.com qui a été complètement remanié et est notamment disponible en chinois. Enfin, c’est sur les touristes eux-mêmes que le Luxembourg doit pouvoir compter. «Rien de tel qu’un proche qui vous conseille une destination», constate Anne Hoffmann. «Notre enquête montre que 61% des visiteurs qui passent la nuit recommanderaient ‘très certainement’ le Luxembourg comme destination», se réjouit-elle. Ils sont 29% à répondre «probablement» et 8% à dire «peut-être». Les visiteurs d’une journée se montrent un peu moins enthousiastes, puisqu’ils sont 44% à affirmer recommander très certainement, 39% probablement et 15% peut-être.
Et ailleurs?
Les acteurs du secteur du tourisme (ministère du Tourisme, Office national du tourisme, Luxembourg City Tourist Office, syndicats d’initiatives locaux…) continuent cependant à faire entendre des voix discordantes, en multipliant brochures, affiches, annonces et sites web avec des niveaux de graphisme, de qualité de photos et de variété d’offres d’une disparité incroyable, certains étant restés coincés dans une imagerie des années70. C’est notamment le cas du site du LCTO, et du film qui y est présenté, indigne d’une capitale qui tente de mettre l’accent sur ses atouts les plus contemporains. Gageons que le nouveau directeur, Tom Bellion, aura à cœur de remédier à cela.
Pour comprendre les messages produits par le Luxembourg, il est intéressant de se pencher sur ce que font d’autres pays. Cette notion de nation branding est en effet de plus en plus répandue dans les stratégies des États qui cherchent à se faire connaître sur la scène internationale, avec pour objectif la promotion du pays en tant que destination de tourisme et/ou d’affaires. Certains utilisent des slogans accrocheurs, mais totalement interchangeables: «Incredible India», «Malaysia Truly Asia» ou «L’Australie, comme nulle part ailleurs» pourraient concerner bien d’autres pays.
D’autres misent sur des événements d’envergure, les positionnant au cœur d’un dispositif médiatique. Les Jeux olympiques à Pékin, puis l’Expo universelle à Shanghai ont fait beaucoup pour la promotion de la Chine, de sa culture, de sa capacité économique et de son dynamisme contemporain. La Coupe du monde de football a ainsi popularisé l’Afrique du Sud dont l’image était surtout liée à Mandela et donc au passé de l’apartheid. Certains pays mettent en avant leur production. L’Allemagne a parfaitement réussi à véhiculer l’image d’excellence industrielle, notamment à travers ses marques automobiles. Une voie dans laquelle la Corée du Sud est aussi largement engagée. La France, par contre, est plutôt présentée comme un pays de terroir, de traditions alimentaire et culturelle, n’en déplaise à ceux qui préféreraient la doter d’une image plus moderne.
Les pays les plus inventifs sont souvent ceux qui n’ont, à l’instar du Luxembourg, pas une image très définie ou de grands monuments ou lieux exceptionnels déjà connus. L’Irlande mélangeant ses verts pâturages et ses pubs animés réussit aussi à faire parler d’elle en termes élogieux. Avec son slogan «100% Pure» et ses paysages directement inspirés du Seigneur des Anneaux, la Nouvelle-Zélande tire son épingle du jeu et est très souvent citée comme un exemple de réussite. Cependant, à l’intérieur du pays, la campagne a été très critiquée et a soulevé des polémiques. L’image d’un environnement pur et préservé se heurte en effet à la réalité d’un pays où la pollution, notamment par les engrais et pesticides, est très élevée par tête. La carte postale ne collerait donc pas à la réalité.
Le piège de ces stratégies de marketing nationales est d’offrir une version déformée, voire caricaturale, de la réalité des pays. La promotion d’un savoir-faire, d’un art de vivre ou de contrées spectaculaires, mais souvent supposés, artificiels, peu vérifiables, risque de forger une image trompeuse et contre-productive du pays. Il ne suffit pas de dire ce qu’on aimerait être ni d’énoncer comment on voudrait être perçu, encore faut-il être dans le vrai, donner des preuves de ce que l’on avance et ne pas décevoir ceux qui écoutent le message. Les efforts qui sont entrepris pour vendre la marque «Luxembourg» sur la scène internationale ne masquent pas toujours le décalage entre l’image donnée et l’image vécue. Car, au moins autant que les slogans et autres tag-lines, les citoyens d’un pays sont les vecteurs du message qui doivent «vivre la marque» pour qu’elle réussisse. Le phénomène de la construction du «soi» à vendre soulève des questions sur la façon dont l’identité nationale est définie dans le contexte, de la mondialisation notamment. «On ne se définit pas par ce que l’on veut communiquer, mais pour ce que l’on fait et ce que l’on est réellement sur le terrain», disait Pierre Barthelmé dans une interview à Désirs, il y a un an. Il faut donc savoir... qui nous sommes.