Le procès de Farida Chorfi s'est rouvert ce mardi devant la 16e chambre correctionnelle. (Photo: Luc Deflorenne /archives)

Le procès de Farida Chorfi s'est rouvert ce mardi devant la 16e chambre correctionnelle. (Photo: Luc Deflorenne /archives)

L’ancienne avocate du Barreau de Luxembourg, Farida Chorfi, s’est fait porter pâle ce mardi à l’ouverture de son procès pour faux et usage de faux et tentative d’escroquerie. Pour autant, son procès reporté tant de fois s’est enfin tenu, malgré le nouveau défaut de l'inculpée. L’affaire remonte 10 ans en arrière, en 2005, après plusieurs plaintes contre l'avocate indélicate.

Chorfi a fait opposition à un jugement par défaut (c’est-à-dire qu’elle n’avait pas comparu à l’audience) rendu en novembre 2014 la condamnant à 30 mois de prison pour avoir fait main basse sur une partie de l’héritage d’une représentante de la famille la plus riche de Belgique, la vicomtesse Amicie de Spoelberch, qui avait hérité d’une participation dans les brasseries Ambev (la branche brésilienne de la brasserie), devenues le premier groupe brassicole mondial AB Inbev.

Ayant été condamnée par défaut, l’avocate, qui n’exerce plus désormais, a droit à un nouveau procès, qui s'est ouvert sans elle, ce mardi.

815.000 actions au porteur Ambev sont parties dans la nature, qu’elle se serait appropriées frauduleusement en profitant de la faiblesse de sa vieille cliente, Amicie de Spoelberch, qui est décédée en 2008. C’est une petite partie seulement des actions que l’héritière de Spoelberch avait sur le capital de l’empire brassicole (plus de 8 millions d’actions, dont l’essentiel fut transmis à ses héritiers réservataires), mais c’était déjà beaucoup d’argent et les héritiers de la vicomtesse, ses enfants adoptifs, réclament aujourd’hui des comptes à l’avocate qui était censée gérer les intérêts de la vieille dame et non pas la spolier. Son cas fait penser à celui de l’héritière du groupe L’Oréal, Liliane Bettencourt, dont le patrimoine fut particulièrement convoité en France par des personnes de son entourage qui abusèrent de sa faiblesse.  

Farida Chorfi aurait mis la main, en décembre 2004, sur les actions au porteur Ambev, placées dans un coffre de la banque Natixis au Luxembourg, et aurait ensuite dissimulé le magot en Suisse, avant de se faire rattraper par le scandale SwissLeaks. Le nom de l’ex-avocate, âgée de 53 ans, apparaît en effet sur les listes des clients de la banque HSBC à Genève volées par l’informaticien Hervé Falciani. Elle serait bénéficiaire d’un compte de quelque 40 millions de dollars. «Pour un avocat, c’est difficilement justifiable», a indiqué mardi à l’audience Me Fabio Trevisan, l’avocat de la partie civile, la société offshore Oldcab Investments Limited BVI, qui représente les intérêts des héritiers de la vicomtesse. Une société qui avait été financée par l'apport de 7,2 millions de titres Ambev. Physiquement, une partie des actions au porteur se trouvait dans des coffres à Luxembourg. Il avait d'ailleurs fallu en louer de dimension XXL pour y mettre les titres matérialisés par du papier. 

43 millions de dollars planqués en Suisse

Entre le jugement par défaut rendu le 5 novembre 2014 et les révélations en début d'année, dans le cadre du scandale SwissLeaks, du listing des clients de la banque HSBC à Genève, le nom de Farida Chorfi est tombé. Elle détenait un compte en Suisse fort de plus de 40 millions de dollars. Comment justifier une telle fortune? L'avocate était rémunérée 10.000 euros par mois par Amicie de Spoelberch pour la structuration de son patrimoine, via des sociétés offshore.

Alors que l’enquête à Luxembourg sur la disparition des 815.000 actions Ambev, pouvant représenter cette somme de 40 millions de dollars, a piétiné pendant des années, l’affaire SwissLeaks pourrait lever le voile sur l’origine de la fortune de l’avocate. C’est en tout cas la demande qui fut formulée ce mardi à l‘audience par la partie civile, Oldcab. Les héritiers demandent la réouverture de l’instruction au Luxembourg. Il s’agirait de forcer le juge d’instruction luxembourgeois à entamer de nouveaux devoirs d’enquête en Suisse, via une commission rogatoire internationale, afin de lever le secret bancaire chez HSBC, et peut-être remonter l’origine des fonds placés par l’avocate Chorfi dans la banque genevoise. Un fait nouveau que les enquêteurs ignoraient à l’époque de l’instruction et lors du premier jugement rendu le 5 novembre 2014. Le jour où un autre scandale, celui de LuxLeaks1 fut révélé par le consortium de journalistes ICIJ.

Me Lydie Lorang, avocate de Farida Chorfi, a indiqué à l’audience que les 43 millions de dollars découverts sur le compte suisse HSBC auraient été détenus par sa cliente Farida Chorfi à titre fiduciaire seulement pour le compte des héritiers de Amicie de Spoelberch. De l'argent gris donc? On navigue ici en pleine zone grise, avec le scandale SwissLeaks qui entre en collision avec celui des LuxLeaks qui a fait apparaître le groupe AB Inbev et ses secrets pour échapper à l'impôt grâce à des rulings validés par le bureau 6 de l'Administration des contributions directes. Une histoire à tiroirs dans laquelle le traitement fiscal de la multinationale brassicole pourrait connaître un autre rebondissement. L’Administration des contributions directes s’intéresse en effet depuis quelques semaines au système offshore de rétribution que le groupe brassicole aurait mis en place pour récompenser ses conseillers fiscaux au Luxembourg pour les économies d’impôts réalisées à l’international, notamment aux États-Unis. Mais c’est là une autre histoire et d'autres acteurs.

L’affaire Chorfi se poursuivra la semaine prochaine, avec les plaidoiries et le réquisitoire du ministère public avant une mise en délibéré.