Le Conseil d'État s'était déjà interrogé sur des avantages attribués aux fonctionnaires dans le cadre de l'examen d'un projet de loi ad hoc. (Photo: David Laurent / archives)

Le Conseil d'État s'était déjà interrogé sur des avantages attribués aux fonctionnaires dans le cadre de l'examen d'un projet de loi ad hoc. (Photo: David Laurent / archives)

Les agents de la fonction publique sont au service de la communauté et œuvrent au bon fonctionnement de l’État. Ils font un travail parfois contraignant (astreinte, horaire décalé, devoir de réserve, impossibilité de faire grève dans certains cas, obligation de formation, etc.) voire dangereux (police, armée) et doivent assumer de grandes responsabilités (former, éduquer, soigner, protéger, nettoyer, exercer la puissance publique, etc.). Il n’est dès lors pas «inconcevable» qu’ils puissent disposer de certains avantages (statut, prime, etc.) et que le législateur fasse de la fonction publique un secteur abrité. Les avantages liés à la fonction publique (en nature ou en espèces) sont d’ailleurs parfois la contrepartie de conditions de travail difficiles.

10% de l'emploi total

Du fait de l’existence de différents périmètres concernant les «agents publics et assimilés» (secteur public, fonction publique, entreprises publiques, établissements publics, Administration publique), le nombre d’individus présentés comme «travaillant pour le secteur public» peut varier d’une source à l’autre. Ainsi, le rapport d’activité 2014 du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative indiquait qu’au «1er janvier 2015, le nombre des agents au service de l’État s’élevait à 26.670», quand le Statec sur son portail statistique renseigne 29.120 agents au service de l’État, 4.922 dans les communes, et 3.214 dans les chemins de fer (soit un total de 37.256)… en 2013.

On considère cependant généralement qu’au Luxembourg l’emploi public représente environ 10% de l’emploi total; et surtout que les niveaux de rémunération y sont particulièrement confortables. Ainsi, les salaires annuels bruts moyens dans l’Administration publique (64.600 euros) et l’Enseignement (76.600 euros) étaient largement supérieurs en 2013 au salaire moyen pratiqué dans l’ensemble des branches d’activité (51.700 euros). Une partie de la différence de rémunération s’explique par le niveau d’ancienneté (48% des salariés de l’Administration publique et 32% des salariés de l’Enseignement ont une ancienneté de 15 ans ou plus) ou le niveau de qualification (80% des salariés de l’Administration publique et 96% des salariés de l’Enseignement ont un niveau d’éducation postsecondaire ou supérieur, contre 77% pour l’ensemble des salariés). Cependant, les multiples «accessoires de traitement» (allocations, primes, indemnités spéciales) dont bénéficient les agents de la fonction publique luxembourgeoise, et qui de l’avis du Conseil d’État «manquent parfois de justification», contribuent également significativement à l’écart de rémunération (de l’ordre de 20% à qualification équivalente selon une étude de la Commission européenne) observé entre les agents publics et les salariés du privé.

L’allocation de famille est symptomatique de cet état de fait.

À quoi rime l’allocation de famille alors que les allocations familiales ont la même finalité?

Le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi

Alors qu’il est question de «réforme des allocations familiales» au Luxembourg, l’allocation de famille est, et c’est regrettable, absente des débats. Cette allocation a la triple particularité d’être un avantage pour les seuls agents publics, un élément de rémunération (il est imposable et pensionnable) et une prestation sociale (liée à la charge effective d’enfant). Certes, elle a fait l’objet d’un lifting lors de la «réforme de la fonction publique», mais sa raison d’être est toujours aussi discutable, jugez plutôt!

De l'«allocation de chef de famille» à l'«allocation de famille»

L’«allocation de famille» a remplacé l’«allocation de chef de famille» en 1983. Elle était alors réservée: au fonctionnaire marié, non séparé de corps; et au fonctionnaire veuf, séparé de corps judiciairement ou divorcé ainsi qu’au fonctionnaire célibataire s’il a ou a eu des enfants à charge.

Depuis 1983, elle a été modifiée à plusieurs reprises, des modifications qui ont concerné notamment les montants versés, portés de 6% du traitement du fonctionnaire à 8,1% (sans pouvoir être ni inférieure à 25 points indiciaires (p.i.), ni supérieure à 29 p.i.).

La récente réforme de la fonction publique (votée en mars 2015), parce qu’elle considérait que ce système est «inégalitaire», a modifié les montants et conditions d’attribution de l’allocation. Désormais, elle «est fixée sous forme d’un montant unique de 27 p.i. (près de 500 euros par mois) indépendant du niveau de traitement (à la place d’un montant variant entre 25 et 29 p.i. en fonction du montant du traitement), et est liée à la charge effective d’un ou de plusieurs enfants, sans aucun rapport avec l’état civil des parents».

En «réformant» la fonction publique, le législateur a donc (légalement) donné naissance à des allocations familiales «spécialement» dédiées aux agents publics (en plus des allocations familiales générales auxquelles ils ont, comme toutes les familles, droit), et instauré un système à deux vitesses, puisque «l’ancien régime de l’allocation de famille pour les bénéficiaires d’avant la réforme est maintenu».

Plus de clarté et de bon sens

Et pourtant, comme le disait explicitement le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’État: «À quoi rime l’allocation de famille (versée à l’agent qui a un ou plusieurs enfants à charge) alors que les allocations familiales ont la même finalité?»

Plus généralement, ne faudrait-il pas faire le ménage parmi les près de 20 différents accessoires de traitement qui existent dans la fonction publique et intégrant dans le barème des traitements ceux qui sont réellement justifiables, pour plus de clarté (et de bon sens)?