Quel est l’avenir de la fondation patrimoniale? Denis-Emmanuel Philippe et Kheira Mebrek s’expriment sur le sujet.  (Photo: Maison Moderne)

Quel est l’avenir de la fondation patrimoniale? Denis-Emmanuel Philippe et Kheira Mebrek s’expriment sur le sujet.  (Photo: Maison Moderne)

«L’avenir de la fondation patrimoniale: un clair-obscur», selon Kheira Mebrek, tax adviser chez Loyens & Loeff Luxembourg.

La fondation patrimoniale a été présentée en 20131 dans le but de doter le Luxembourg d’une entité compétitive en matière de structuration et de planification patrimoniale. Alors que le projet était sur le point d’être voté en 2014, il a soudainement été suspendu. Selon une déclaration du ministre des Finances de l’époque, il était d’abord nécessaire de se concentrer sur l’intégration des futures dispositions de la quatrième directive anti-blanchiment2.

Le projet de loi mettait en avant deux objectifs principaux: d’une part, la cohésion et la continuité du patrimoine familial, et d’autre part, la protection de la vie privée, nécessaire aux familles fortunées afin de limiter la visibilité sur leur patrimoine et d’assurer ainsi leur sécurité. Le législateur avait néanmoins pris soin de concilier ce désir de confidentialité avec une certaine transparence, en exigeant que des informations relatives aux bénéficiaires effectifs de la fondation patrimoniale soient tenues à la disposition des autorités luxembourgeoises.

L’opacité fiscale de la fondation patrimoniale représenterait un avantage certain par rapport aux structures étrangères existantes.

Kheira Mebrek, tax adviser chez Loyens & Loeff Luxembourg

À ce jour, un tel équilibre ne paraît cependant plus conforme aux nouvelles normes européennes, bientôt mises en œuvre par l’instauration d’un registre luxembourgeois des bénéficiaires effectifs3. Cette dernière entraînera un changement de paradigme, en requérant la communication active d’un certain nombre d’informations privées au lieu d’une démarche passive de simple mise à disposition de ces données. Par conséquent, des ajustements seraient requis si le projet de loi sur la fondation patrimoniale venait finalement à être voté. Dans un tel cas, ce nouveau véhicule pourrait renforcer la compétitivité du Luxembourg et constituerait un concurrent de taille face à des structures étrangères comparables4 à la fondation patrimoniale. Celles-ci sont généralement issues de législations vieillissantes et nous semblent moins à même de répondre aux besoins actuels, qui s’inscrivent notamment dans un contexte d’internationalisation croissante.

En matière d’imposition directe, l’opacité fiscale de la fondation patrimoniale représenterait un avantage certain par rapport aux structures étrangères existantes, considérées comme fiscalement transparentes par le Luxembourg. Seule la fondation patrimoniale (et non les investisseurs) serait en effet imposée sur les revenus générés pendant sa durée de vie, certains desdits revenus bénéficiant d’ailleurs d’une exonération totale. Alors que la SPF5 offre actuellement un avantage similaire, elle ne peut néanmoins détenir qu’une catégorie limitée d’actifs. 

Même si les nombreux atouts du Luxembourg lui permettent de pallier l’absence de fondation patrimoniale, une reprise du projet serait sans aucun doute bénéfique.

Kheira Mebrek, tax adviser chez Loyens & Loeff Luxembourg

Même si les nombreux atouts du Luxembourg lui permettent de pallier l’absence de fondation patrimoniale, une reprise du projet serait sans aucun doute bénéfique à la compétitivité de la Place en matière de gestion patrimoniale. Il est donc regrettable qu’elle n’ait, pour l’instant, été évoquée par aucun candidat aux prochaines élections d’octobre et semble ainsi rester lettre morte.

1Projet de loi 6595.

2Directive UE 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

3Projet de loi 7217. 

4Par exemple, la Stichting néerlandaise, ou la fondation privée belge ou suisse.

5La société de gestion de patrimoine familial, mise en place par la loi du 11 mai 2007, est exempte de l’impôt sur le revenu, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune, et n’est soumise qu’à une taxe d’abonnement annuelle.

«La fondation patrimoniale: Pourquoi n’a-t-elle toujours pas vu le jour?», se demande Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law.

Voilà cinq ans que les banquiers privés luxembourgeois attendent l’introduction de la fondation patrimoniale, afin de pouvoir proposer à leur clientèle fortunée un véhicule ‘pure souche’ dédié à la gestion d’un patrimoine privé au profit de bénéficiaires. L’idée consiste à instaurer un instrument équivalent au trust anglo-saxon ou à la Stichting hollandaise... sans devoir franchir la frontière. 

 Qu’est-ce qui fait son charme? 

  • Une fiscalité attrayante?

Si la fondation patrimoniale est soumise au régime fiscal de droit commun (soumission à l’IRC et ICC), elle bénéficie néanmoins d’une exonération sur certains types de revenus, notamment les dividendes ou les intérêts, les plus-values réalisées lors de la cession des biens qui sont à la base de ces revenus de capitaux mobiliers, le capital et la valeur de rachat de contrats d’assurance, etc. 

Pourquoi la fondation patrimoniale n’a-t-elle toujours pas vu le jour? Ne passe-t-on pas à côté d’une magnifique opportunité d’insuffler un nouveau souffle au secteur des banques privées?

Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law

Exemple: Une personne physique apporte un portefeuille-titres d’une valeur de 10 millions d’euros à une fondation patrimoniale. La fondation aura pour objet de gérer et d’administrer ce patrimoine au profit de ses enfants (financement de leurs études, satisfaction des besoins d’un enfant handicapé,…). Les intérêts et dividendes générés par le portefeuille seront exonérés au niveau de la fondation. Les versements effectués ensuite par la fondation aux enfants ne seront pas soumis à une retenue à la source au Luxembourg. Ils pourront néanmoins être soumis aux droits de donation si le versement a lieu du vivant du fondateur. Des droits de succession pourraient être dus si le fondateur résidait au Luxembourg à son décès.  

À mon estime, pareil véhicule pourrait s’avérer fiscalement attrayant si le fondateur et les bénéficiaires de la fondation sont résidents luxembourgeois. Si tel n’est pas le cas, la prudence est de mise. Imaginons, par exemple, que le fondateur et les bénéficiaires soient résidents belges. Dans ce cas, le fondateur sera taxé par transparence à l’impôt des personnes physiques en Belgique sur les revenus recueillis par la fondation, même s’ils ne sont pas distribués. Il est ainsi piquant de souligner que la Belgique n’a même pas attendu l’adoption formelle de la fondation patrimoniale avant de l’inclure dans le champ de la taxe Caïman. Après le décès du fondateur, les paiements effectués par la fondation aux enfants sont en principe passibles des droits de succession en Belgique. 

  • La fondation: un véhicule discret?

On a aussi loué la discrétion de la fondation patrimoniale, qui procède de l’absence de publication de données sensibles (identité du fondateur et des bénéficiaires, montant de la dotation,…), ou encore de l’absence d’obligation de déposer des comptes annuels. 

Mais alors, pourquoi n’a-t-elle toujours pas vu le jour? Ne passe-t-on pas à côté d’une magnifique opportunité d’insuffler un nouveau souffle au secteur des banques privées, particulièrement touché par la disparition du secret bancaire? 

L’explication réside à mon avis dans les nouveaux impératifs de transparence sur la scène internationale, notamment la création du registre des bénéficiaires effectifs (UBO) ou les échanges automatiques d’informations financières (CRS): Ne battent-ils pas en brèche la discrétion tant recherchée par les auteurs de la proposition de loi de 2013?