Philippe-Emmanuel Partsch est spécialisé en droit européen de la concurrence. (Photo: Arendt & Medernach)

Philippe-Emmanuel Partsch est spécialisé en droit européen de la concurrence. (Photo: Arendt & Medernach)

Comme cela était attendu, l’accord trouvé entre le gouvernement britannique et l’Union européenne dans le cadre du Brexit a été rejeté par le Parlement mardi soir. Un camouflet pour Theresa May, la Première ministre, qui doit aussi faire face à une motion de défiance déposée par Jeremy Corbyn, le leader travailliste. 

La situation actuelle, incertaine, inquiète en tout cas les dirigeants européens. Aucun d’entre eux ne sait réellement de quelle manière les choses évolueront au cours des prochains jours et des prochaines semaines.

Associé au sein du cabinet Arendt et spécialiste du droit européen de la concurrence, MePhilippe-Emmanuel Partsch nous donne son analyse par rapport à quatre scénarios possibles jusqu’au 29 mars prochain, date à laquelle il est prévu que le Royaume-Uni largue les amarres.

1. Rien n’évolue: vers un «hard Brexit»

«C’est évidemment la perspective qui inquiète», souligne Me Partsch. «Une sortie sans accord, cela signifie que le Royaume-Uni redevient un pays tiers. C’est le rétablissement de droits de douane minimaux comme prévu par l’OMC, la perte de la citoyenneté européenne pour les ressortissants britanniques, la fin de la libre circulation – sauf des capitaux –, la perte de passeports financiers... Et pour l’Union, l’adieu au chèque britannique de 45 milliards d’euros.» 

Une sortie sans accord entraînera une période de discontinuité. Mais, ensuite, on pourra passer à autre chose.

Me Philippe-Emmanuel Partsch, associé au cabinet Arendt

Un cataclysme? Philippe-Emmanuel Partsch estime en effet que la situation pourrait être chaotique, du moins dans un premier temps. Et avoir des effets «que l’on a du mal à estimer. Certains États sont sans doute plus prêts que d’autres, ont plus anticipé une sortie sans accord.»

Mais cela pourrait aussi apporter de la clarté. Ce qui manque cruellement actuellement. «Le Royaume-Uni serait parti et il faudrait faire avec. Les Britanniques auront obtenu ce qu’ils voulaient. Cela amènerait à faire retomber la tension actuelle là-bas et du côté des pays de l’Union. Le Brexit enclenché, une analyse sereine de la situation pourrait être menée», développe encore Philippe-Emmanuel Partsch. Si les Anglais venaient à constater que leur départ était une erreur, «il y aura possibilité de redemander leur adhésion à l’Union». Si leur départ leur convient, la possibilité existera de négocier des accords «de qualité avec l’Union. Alors, certes, une sortie sans accord entraînera une période de discontinuité. Mais ensuite, on pourra passer à autre chose.»

2. Le Royaume-Uni renonce au Brexit

C’est une possibilité qui a été confirmée par la Cour de justice. Tout le processus peut être arrêté, à la seule initiative du Royaume-Uni et sans préjudice de ses droits au sein de l’Union. «Estimer que ce sera la voie choisie est prématuré. Il y a une majorité parlementaire contre l’accord de départ passé avec l’Union. Mais y en a-t-il une pour renoncer totalement à un départ de l’Union?», se demande Philippe-Emmanuel Partsch.

Si tu reviens, tout est pardonné? C’est techniquement possible. Mais il est évident que cela laissera aussi des traces.

3. Un délai supplémentaire est accordé au Royaume-Uni

Il faut tout d’abord que la demande soit faite. Ce qui n’est pas (encore) à l’ordre du jour. Puis que les 27 autres États l’accordent à l’unanimité. Ce qui n’est pas une certitude acquise.

Pour le moment, les Britanniques savent ce qu’ils ne veulent pas. Mais pas ce qu’ils veulent.

Me Philippe-Emmanuel Partsch, associé au cabinet Arendt

Philippe-Emmanuel Partsch pointe d’autres obstacles. «Notamment le fait qu’il faudrait alors que les Britanniques déterminent entre eux ce à quoi ils veulent arriver dans le cadre d’un départ de l’Union. Or, pour le moment, ils savent ce qu’ils ne veulent pas, mais pas vraiment ce qu’ils veulent.» Il est vrai que les opposants à l’accord forment «une coalition hétérogène. Certains veulent quitter l’Union pour faire du Royaume-Uni un Singapour occidental. D’autres veulent la quitter car ils trouvent que la politique européenne est déjà trop néo-libérale.»

L’approche des élections européennes complique encore l’octroi possible d’un délai et surtout la fixation de son échéance.

4. Un nouvel accord est trouvé avant le 29 mars

«Il faudrait que tout le monde le vote: le Parlement britannique, le conseil européen, les Parlements nationaux des États de l’Union... C’est possible. Reste à savoir quelles concessions les parties peuvent faire pour trouver un nouvel accord et éviter un hard Brexit. Va-t-on se contenter de quelques aménagements cosmétiques? Veut-on des changements plus profonds?», se demande encore l’avocat. Qui sait que tous les États ne seront pas d’accord de renégocier ce qui l’a été durant un an et demi. Et que les Britanniques pourraient se déchirer afin de déterminer quoi demander et quoi imposer. 

Un espoir? «L’approche de la date du 29 mars va sans doute amener les deux camps à assouplir leur position et à envisager de négocier des points qui jusque là étaient vus comme non négociables.»

Le Brexit occulte d’autres enjeux européens

Philippe-Emmanuel Partsch estime que le mieux serait de trouver «un accord, même imparfait, qui pourrait ensuite évoluer». Sinon, un hard Brexit sera sans doute alors salutaire. «Car le Brexit occulte les autres enjeux du moment, importants pour l’Europe et sur lesquels il faut travailler: les rapports avec la Russie, les relations Europe-USA, la montée des populismes... Tout cela est un peu laissé de côté et ce n’est pas bon.» D’autant que les prochaines élections seront périlleuses et que le mandat de la commission Juncker arrivera aussi à son terme cette année.

Les enjeux sont donc nombreux. Pour les citoyens britanniques et européens. Pour les États, aussi. «Car ce que la crise du Brexit a mis en lumière, parfois à l’étonnement de certains États membres, c’est l’imbrication inouïe des économies de tous les pays européens.»