Cette affiche de Serge Wilmes hérisse l’artiste dont la signature apparaît en graffiti. (Capture d'écran: Facebook)

Cette affiche de Serge Wilmes hérisse l’artiste dont la signature apparaît en graffiti. (Capture d'écran: Facebook)

Les candidats aux élections communales ont beau jeu de poser devant des lieux emblématiques de leur commune, histoire de souligner leur ancrage local. C’est ce qu’a fait Serge Wilmes, tête de liste CSV à Luxembourg, en se faisant tirer le portrait devant un graffiti provenant de l’abattoir de Hollerich – sur un mur prévu à cet effet. Le graffiti consiste en la signature bien visible de Stick, un artiste luxembourgeois.

Sauf que Stick n’a aucunement été averti ou consulté à propos de l’utilisation de son graffiti, et s’en est plaint sur sa page Facebook.

En quelques heures, le message a été «liké» 151 fois et a suscité une cinquantaine de commentaires compatissants, ironiques, voire admiratifs – certains évoquant un «buzz» bienvenu pour l’artiste.

Je ne veux pas être mêlé à une élection ni que mon nom soit associé à quelque parti que ce soit.

Stick

«Surpris qu’il y ait tant d’échos sur les réseaux sociaux», Stick, interrogé par Delano.lu, ne cherche toutefois pas «le drame public» et parle de «gossip» (ragot) plutôt que de buzz.

«Je ne veux pas être mêlé à une élection ni que mon nom soit associé à quelque parti que ce soit, ni même à une entreprise ou une publicité», souligne Stick. «Je veux garder mon droit à l’image et ne veux pas que mon œuvre soit utilisée à des fins commerciales ou politiques.»

L’artiste, qui encadre régulièrement des ateliers de graffiti pour les jeunes pour le compte de communes, n’a «pas encore parlé à un avocat». Il a joint directement le CSV afin de manifester son désaccord. «La meilleure chose serait que le CSV retire ses grandes affiches pour qu’on ne puisse plus voir mon nom», estime-t-il.

Le CSV prévoit de publier un communiqué afin de dissocier l’artiste du parti.

À partir du moment où l’on considère qu’un graffiti est une œuvre, il est susceptible d’être protégé par le droit auteur.

Me David Alexandre, avocat et senior associate chez Arendt & Medernach

Du point de vue juridique, Stick serait tout à fait à même d’invoquer son droit d’auteur. «Le droit d’auteur protège toutes les œuvres dites originales et ce quelle que soit la forme ou le genre de l’œuvre en question», rappelle Me David Alexandre, avocat et senior associate chez Arendt & Medernach. «À partir du moment où l’on considère qu’un graffiti est une œuvre – il n’y a pas encore de jurisprudence luxembourgeoise, mais un graffiti revêt l’empreinte de la personnalité de son auteur –, il est susceptible d’être protégé par le droit auteur.»

Toutefois, l’artiste ne serait pas assuré d’obtenir gain de cause devant la justice, en raison d’une exception inscrite dans la législation: «la reproduction et la commercialisation d’œuvres situées dans un lieu accessible au public sont autorisées seulement quand elles ne constituent pas le sujet principal de la reconstitution», précise Me Alexandre. «Chacune des deux parties aurait des arguments. Le parti politique viendrait dire que la reproduction du graffiti ne constitue pas le sujet principal de la photo, mais bien l’homme politique. Le graffeur pourrait dire qu’on voit distinctement son œuvre, que la photo a été prise à dessein pour profiter de son œuvre et que l’œuvre est donc le sujet principal. Là-dessus le débat est possible.»

Un précédent récent en France

Tout dépend donc de l’importance de chaque élément sur la photo. Sujet principal ou présence accessoire? C’est d’ailleurs le sens d’une exception au droit d’auteur introduite en avril 2016 dans la législation française: l’exception de panorama concernant «les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial». Une exception que la Commission européenne souhaiterait étendre à tous les pays européens.

Les règles restent tout de même assez strictes. Si un parti ou une société publie une photo d’un bâtiment bien identifié à dessein – Philharmonie, Banque européenne d’investissement ou autre –, «si la photo concerne uniquement ce bâtiment, il s’agit là du sujet principal et l’architecte pourra l’interdire», indique Me Alexandre. L’autorisation expresse de l’architecte ou du titulaire du droit d’auteur est donc impérative. Le photographe Paulo Lobo en avait fait les frais au printemps dernier, qui avait subi les remontrances d’un agent de sécurité pour avoir pris en photo «un petit bout de Coque», incident rapporté à l’époque par Le Quotidien.

 «En revanche, la théorie de l’accessoire peut s’appliquer pour une vue aérienne de la ville de Luxembourg dans sa globalité», souligne Me Alexandre. Les journalistes échappent à cette règle, à condition que la représentation d’un bâtiment ou d’une œuvre soit «nécessaire» pour l’information du public.

Pour l’anecdote, un autre artiste de rue s’était ému de voir lune de ses œuvres récupérées par un mouvement politique récemment. À savoir C215, dont une fresque à Paris avait été utilisée par la section locale du mouvement En Marche du candidat Emmanuel Macron. De bon augure pour Serge Wilmes?