Valère Twagirayezu (le président), 
Keith Burman et Bertrand Moupfouma, membres du conseil de LuxAfrica, sont conscients d’être au pied d’un colossal défi : formaliser et développer les relations d’investissements entre le Luxembourg et le continent africain. (Photo: Mike Zenari)

Valère Twagirayezu (le président), 
Keith Burman et Bertrand Moupfouma, membres du conseil de LuxAfrica, sont conscients d’être au pied d’un colossal défi : formaliser et développer les relations d’investissements entre le Luxembourg et le continent africain. (Photo: Mike Zenari)

L’épouvantable épidémie de fièvre Ebola qui sévit actuellement en Afrique de l’Ouest a de nouveau donné un sombre coup de projecteur dont le continent se serait évidemment bien passé. Plombés par un passé pas toujours flatteur – et par un présent qui, pour certains, ne l’est toujours pas – et généralement catalogués entre «tiers-monde» et «en voie de développement», les pays africains ont le double défi de devoir surmonter un contexte économique pas forcément favorable et une image qui ne l’est pas davantage.

Pourtant, le dernier rapport de Perspectives économiques en Afrique (PEA, réalisé conjointement par la Banque africaine de développement, le Centre de développement de l’OCDE et le Programme des Nations unies pour le développement) indique que le taux de croissance moyen du continent (composé de 54 pays) s’est maintenu autour de 4% en 2013, soit un point de mieux que les 3% de croissance enregistrés par l’économie mondiale. «Les deux régions les plus dynamiques en 2013 sont l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest, où la croissance a atteint, voire dépassé les 6%», indique le rapport. Et selon une autre étude, établie celle-là par le cabinet McKinsey, entre 2010 et 2015, sept des dix économies à plus forte croissance dans le monde seront en Afrique. Quant au FMI, ses prévisions sont tout à fait en phase avec ces données, puisque le Fonds monétaire international table sur une croissance entre 5,5% et 6% d’ici à 2017, portée  par le dynamisme de la consommation.

Cette agitation économique a de quoi, évidemment, susciter un intérêt grandissant de la part des économies du reste du monde. Et il n’y avait aucune raison qu’il n’en soit pas de même au Luxembourg. La création, en début d’année, de l’asbl LuxAfrica, réellement entrée dans sa phase active au cours de cet été, s’inscrit dans cette logique. «Cela faisait quelques années que les cercles de rencontre des Africains existant au Luxembourg évoquaient l’idée de créer, au-delà de ce qui existait déjà, une association qui soit vraiment orientée business, explique Valère Twagirayezu, aujourd’hui senior manager chez Deloitte Luxembourg et président de l’association. L’Afrique est en train de se réveiller économiquement et que le potentiel y est énorme, en particulier dans le secteur financier.»

Un potentiel énorme

À l’origine de ce projet LuxAfrica, on trouve 19 professionnels actifs au Luxembourg, majoritairement belges et français, pour la plupart juristes, comptables ou auditeurs. Parmi eux, aux côtés de M. Twagirayezu, Keith Burman (partner chez ManagementPlus Group, administrateur indépendant et ancien senior managing director AIS, private equity and real estate chez State Street) et l’avocat Bertrand Moupfouma (partner chez Themis Lex) qui occupent les fonctions de vice-présidents. Le poste de secrétaire, lui, a été confié à Frédéric Gnabro, audit manager chez Deloitte Luxembourg.

L’ambition de LuxAfrica est simple, au moins sur le papier: promouvoir et développer les relations économiques et commerciales entre le Grand-Duché et l’ensemble du continent africain et promouvoir, auprès des acteurs africains, le formidable potentiel de développement que peut représenter l’expertise du Luxembourg en matière de services financiers.

Derrière la grande locomotive que représente l’Afrique du Sud et, à un degré moindre, les pays du Maghreb, c’est tout un continent qui est à la recherche de passerelles renforcées avec le reste du monde. «L’Afrique du Sud n’est plus la plus grande économie africaine. C’est désormais le Nigeria, précise M. Twagirayezu. D’autres pays de l’Afrique sub-saharienne, tels que le Kenya ou l’Ouganda, attirent aussi de plus en plus d’investissements.»

Et puis il y a évidemment le centre financier de l’Île Maurice qui, en quelques années, au gré de conventions fiscales avantageuses, s’est aussi forgé une forte réputation et constitue aujourd’hui une porte d’entrée pour bon nombre d’investisseurs venus notamment de Chine, attirés par ce hub reconnu en matière de structuration de fonds d’investissement. Une compétence qui, alliée à l’expertise du Luxembourg en matière de services et produits financiers, «peut tout à fait représenter une force pour des acteurs africains», estime Habiba Boughaba (quality assurance leader chez SGG), une des membres fondatrices de LuxAfrica, en charge de la communication et du marketing de l’association.

L’idée serait donc de faire en sorte que le Luxembourg devienne à son tour un hub à travers lequel des investisseurs passeraient pour aller en Afrique. «Nous estimons que le Luxembourg peut faire aussi bien que l’Île Maurice à travers la position financière qu’elle a déjà sur d’autres régions, explique M. Twagirayezu. En l’occurrence, Maurice peut même être vue comme un réel partenaire.» Il faudrait, pour cela, que certains développements soient accélérés. Pour l’heure, le Luxembourg ne compte que cinq traités de non-double imposition avec des pays africains (Afrique du Sud, Île Maurice, Maroc, Seychelles et Tunisie) et cinq autres sont en préparation. L’Île Maurice en compte déjà 12 et autant sont dans le tuyau…En 2009, selon les données récoltées par Lipper et compilées par PwC, sur 233 fonds d’investissement distribués en Afrique, 128 fonds (soit 55%) étaient domiciliés au Luxembourg. En 2013, la proportion est montée à plus de 73% (201 fonds sur 274), avec une majorité de fonds (124) distribués vers l’Afrique du Sud, principale destination loin devant l’Île Maurice (55) et le Botswana (21).Plus largement, l’Afrique du Sud est toujours le premier partenaire économique du continent, pointant en 46e position en termes d’importations et 34e pour ce qui est des exportations. C’est du reste le pays d’origine de la seule grosse entreprise du continent (l’intégrateur ICT Dimension Data) présente au Luxembourg.

L’Égypte (63e) et le Burkina Faso (65e) complètent le podium des importations, alors que l’Algérie (39e) et le Maroc (44e) sont les deux autres principales destinations économiques «africaines». Le secteur des métaux et celui des machines sont ceux qui, globalement, génèrent le plus d’échanges.

Il n’est pas étonnant de retrouver, parmi les sociétés luxembourgeoises présentes en Afrique, les grands noms tels ArcelorMittal, Cargolux, Millicom International Cellular ou encore SES. Mais un acteur plus «local» tel Luxlait dispose également de points de chute sur place (au Congo, au Ghana et en Mauritanie).

Il reste, bien évidemment, à surmonter encore bon nombre d’obstacles, notamment psychologiques, au regard d’un continent souvent montré du doigt pour ses pratiques parfois douteuses. Le Corruption perception index 2013 de l’organisation Transparency International, mesuré sur 177 États, place ainsi huit pays africains parmi les 20 plus «corrompus» dans le monde (avec, en première position, la Somalie). «Cela fait en effet partie des challenges que représente le fait d’aller investir en Afrique, reconnaît le président de LuxAfrica. L’Afrique n’est pas encore assainie au niveau de la bonne gouvernance et de la bonne gestion, même s’il y a tout de même des améliorations notables comparées à il y a 10-15 ans. De plus en plus de pays se démocratisent et adoptent des règles conformes aux standards internationaux. Le simple fait qu’on en parle est déjà bon signe! Des esprits se sont réveillés, des gens sur place dénoncent certaines pratiques. Non, on ne peut pas dire que tout est réglé et que tout va bien, mais avec les années, cela va en diminuant. Il est surtout intéressant de noter l’émergence de nouvelles générations de dirigeants, beaucoup moins corrompus et moins enclins à développer des pratiques qui ne sont pas transparentes. C’est sur cette génération que les investisseurs potentiels doivent capitaliser.»

Le gouvernement au diapason

Les dirigeants de LuxAfrica ont donc pris leur bâton de pèlerin pour rallier à leur cause les instances gouvernementales au Luxembourg. Des rencontres avec les ministères des Finances et de l’Économie, ainsi qu'avec LFF, ont déjà eu lieu et l’intérêt d’un développement de ces relations financières avec l’Afrique a clairement été prononcé.

On se rappelle d’ailleurs que le Luxembourg a adhéré, en mai dernier, à la Banque africaine de développement et au Fonds africain de développement. Si le volet «coopération» est, dans ce cadre, le principal pôle attracteur, le ministre des Finances, Pierre Gramegna, avait profité de l’occasion pour annoncer l’organisation «dans un futur proche» d’un séminaire sur les opportunités d’affaires découlant des financements du groupe de la banque. Une manifestation à laquelle LuxAfrica souhaiterait évidemment apporter son écot.

En attendant, une grande conférence est prévue en novembre au Luxembourg et est en phase de finalisation sur le thème «African business and investment opportunities». Une première étape vers un objectif qui ne manque pas d’ambition lui non plus: la création d’une véritable Chambre de commerce africaine au Luxembourg, avec un vrai rôle actif.