Le tout nouveau Centre Culturel de Rencontre de l'Abbaye de Neumünster entend financer une partie de ses activités grâce à des partenariats avec des entreprises.
L'Abbaye bénédictine de Neumünster - qui date de 1606 et fut détournée de son utilité première en 1796 pour devenir une prison durant deux siècles -, est désormais méconnaissable aux yeux des ex-taulards, après cinq années consacrées à donner une seconde vie à ce site classé.
Le premier Centre culturel de rencontre du pays est ainsi né et a ouvert ses portes ce 28 mai. "L'idée des Centres culturels de rencontre vient de France où Jacques Rigaud, alors directeur de cabinet du ministre de la Culture, Jacques Duhamel (de 1971 à 1973, NDLR), a eu l'idée heureuse de trouver un avenir à des bâtiments historiques vides ayant perdu leur fonction première", explique Claude Frisoni, directeur de l'Abbaye de Neumünster.
Au milieu des années 80, le ministre luxembourgeois de la Justice, des Affaires Culturelles et de l'Environnement (de 1984 à 1989), Robert Krieps, avait lancé le débat sur la construction d'une nouvelle prison, celle du Grund étant vétuste. M. Krieps, interné dans cette prison à l'âge de 17 ans avant d'être déporté par les Nazis, tout comme 3.500 autres Luxembourgeois, s'est battu pour classer ce bâtiment monument culturel.
C'est Jacques Santer, alors Premier ministre, ministre du Trésor et ministre de la Culture (de 1989 à 1995), qui, en 1993, déposa une loi de réhabilitation de l'Abbaye visant à transformer l'ensemble des bâtiments de l'ancienne prison en Centre culturel de Rencontre.
Autofinancement
Le budget voté à l'époque - restauration et mobilier compris - correspond à un montant actualisé d'environ 42 millions d'euros. "Ce chantier n'a pas dépassé le budget, insiste M. Frisoni. Nous avons seulement demandé une rallonge de 1,73 millions d'euros pour l'installation d'équipements qui ne pouvaient être prévus dans la loi de 1993, tels que la climatisation de la salle de spectacles, pour permettre l'installation de projecteurs de théâtre, le contrôle centralisé des portes, ou encore des équipements multimédias".
Outre la seconde vie qu'ils offrent à des monuments historiques menacés de disparition, les CCR poursuivent deux objectifs, l'un culturel, l'autre économique. Le thème culturel proposé par Claude Frisoni évolue autour du "dialogue des cultures et de la culture du dialogue". "J'ai finalisé le thème mais la voie inspirée par l'expérience française était naturelle", précise-t-il. "Allier l'économie et le culturel était dans la philosophie du projet", ajoute encore le directeur, qui a intégré le groupe de travail en 1997.
"L'idée est d'autofinancer une partie des activités du centre grâce à la location de salles, l'organisation de séminaires, la mise à disposition de structures adaptées aux congrès internationaux, explique-t-il. Fondamentalement, on est un centre culturel. On va essayer d'autofinancer 25% de nos activités, puis 30% et ensuite davantage. C'est pour nous un apport d'équilibre, de liberté, d'autonomie et donc de qualité", ajoute-t-il. La volonté était d'établir un "lien avec le monde économique même si la mission privilégiée reste le culturel. Des rencontres entre artistes et créateurs mais aussi entre monde économique et culturel auront lieu", s'enthousiasme M. Frisoni.
A cette fin, les deux "mondes" disposeront d'un lieu privilégié de rencontres: la brasserie où se tiendra un apéro-jazz tous les dimanches, après la messe. D'ailleurs, l'Eglise Saint-Jean voisine étant actuellement en travaux, le CCR va prêter sa chapelle qui deviendra ensuite une bibliothèque virtuelle. Mais en attendant que cette chapelle soit, elle-même, prête, c'est dans la salle de spectacles Robert Krieps - du nom de l'ancien président du parti socialiste, pas très calotin - que seront, provisoirement, donnés les Offices.
"Dès 2005, j'espère avoir mis sur pied un forum-débat permanent sur l'économie de la culture et la culture de l'économie comme l'a fait Rigaud en France", annonce encore Claude Frisoni. Une voie déjà ouverte par le forum sur la diversité culturelle et l'économie, qui a eu lieu ces 24 et 25 mai à l'institut Pierre Werner. "Je voudrais que l'on innove avec le partenariat, le sponsoring, le mécénat. Aujourd'hui, les entreprises sont moins généreuses. On ne peut plus accepter que l'économie considère les culturels comme de doux rêveurs", insiste celui qui a quitté la direction de l'agence luxembourgeoise d'action culturelle au début 2002 pour relever un autre défi.
Partenaires privilégiés
Claude Frisoni envisage ainsi de créer un club de partenaires privilégiés qui accompagneraient financièrement l'ensemble des activités et s'associeraient à l'image du CCR. Le partenaire jouirait d'une priorité de réservation mais c'est le Centre qui déciderait de l'utilisation de l'argent apporté. "Les entreprises bénéficieraient d'un partenaire de prestige, d'un retour d'image très positif et de structures adaptées à leurs besoins. En revanche, le contenu de la programmation resterait du ressort du CCR. Il s'agirait, dans l'idéal, d'un partenariat sur 3 ans avec 5 ou 6 entreprises, pas plus", explique-t-il.
La dotation de l'Etat pour le budget 2004 - une demi-année - s'élève à 1,944 million d'euros. "C'est moins que ce que nous espérions, à savoir 3 millions, mais certains postes difficiles à estimer, comme le chauffage ou le nettoyage, bénéficient d'un crédit non limitatif ", précise M. Frisoni.
Depuis le classement du bâtiment, le vote de la loi en 1993, le début des travaux en 1998, la nomination du Conseil d'administration du CCR en 2001, chaque étape aura été longue à franchir et, malgré l'ouverture ce 28 mai, Claude Frisoni estime que les travaux de finition prendront encore six mois, sans pour autant perturber le fonctionnement du centre.
Le directeur est d'avis que la longueur des travaux a été bénéfique car "cela a permis de faire mûrir le projet". Et ce dernier de saluer l'oeuvre de l'architecte: "Il a gardé les vieilles pierres, a respecté la beauté du bâtiment mais a rendu le lieu fonctionnel. Il a réalisé un mariage audacieux entre le classicisme et le contemporain. Cet un endroit de dialogue culturel. On ne ressort de l'Histoire que ce qu'il y a de positif", rassure-t-il.
Situé dans une zone classée patrimoine mondial de l'Unesco, le Centre culturel de rencontre est constitué de trois bâtiments totalisant 12.000 m2: l'abbaye bénédictine de Neumünster datant de 1606 - elle est devenue une prison en 1796, après la prise de la forteresse par les révolutionnaires français -; l'ancien hôpital militaire de la garnison prussienne, édifié en 1866, et, enfin, la salle Robert Krieps, qui abritait autrefois un atelier - le Tutesall - où les prisonniers fabriquaient des sachets.
L'abbaye se compose désormais d'une salle d'exposition de 350 m2, d'une brasserie, d'un restaurant de 300 couverts maximum, d'une bibliothèque virtuelle, de salles de réunions, de presse et de visioconférence. Adjacent à l'abbaye, on trouve le cloître Lucien Wercollier - incarcéré dans le Grund durant 15 jours, en 1942, pour avoir, notamment, refusé d'enseigner en langue allemande - où prendra place une exposition permanente des oeuvres du sculpteur; mais aussi un jardin, une terrasse et une verrière qui a été imaginée et ajoutée aux bâtiments existants par l'architecte, Jean Ewert.
L'hôpital militaire, rebaptisé bâtiment Robert Bruch, héberge 12 studios et 2 ateliers résidences pour les artistes, ainsi que l'Institut culturel franco-germano-luxembourgeois Pierre Werner et l'Institut européen des itinéraires culturels du Conseil de l'Europe. Enfin, le Tutesall a été transformé en salle de spectacles et de conférences pouvant accueillir 280 personnes. Les trois bâtiments encadrent un parvis pour les spectacles en plein air.
Le directeur de l'Abbaye de Neumünster a encore l'ambition de réaliser un partenariat avec les réseaux de CCR. En octobre, se déroulera une bourse européenne de textes dramatiques. Par ailleurs, M. Frisoni envisage d'organiser un atelier d'écriture chorégraphique. C'est pourquoi, des studios ont été prévus, afin de pouvoir loger les artistes étrangers en visite au Luxembourg pour un projet culturel bien précis.
"Les autorités ont bien compris qu'aujourd'hui la culture est un secteur d'activités, un gisement d'emplois", se réjouit M. Frisoni. "Il existe 700 festivals en France, c'est aussi pour cela que les touristes en ont fait la première destination du monde. La culture a un prix mais il faut en accepter les coûts, parce que cela fait marcher le commerce, l'industrie et cela aurait dû être une évidence depuis longtemps. Si un spectacle en plein air, avec un jeu de son et lumière sur la falaise, est organisé il y aura plus de touristes au Luxembourg", conclut le directeur.
Le menu du CCR est déjà bien garni. Il est à découvrir dans son magazine, sorti le 19 mai, qui paraîtra trois fois par an.