Selon Marie-Anne Thériez, pour faire une bonne promotion, il importe de définir la stratégie en amont et de travailler dès la phase de préparation du film. (Photo: Mike Zenari)

Selon Marie-Anne Thériez, pour faire une bonne promotion, il importe de définir la stratégie en amont et de travailler dès la phase de préparation du film. (Photo: Mike Zenari)

Madame Thériez, depuis combien de temps êtes-vous installée au Luxembourg?

«Je suis arrivée au Luxembourg en janvier 2013. J’ai débuté ici en tant que responsable de la communication pour la société de production Iris. Au même moment, Filmland était en train de se créer: je me suis occupée de l’élaboration de son identité visuelle, des relations avec la presse… C’est à ce moment-là que j’ai créé ma propre société spécialisée dans la communication artistique et culturelle.

Qu’est-ce qui vous a décidée à créer Think Twice?

«J’avais déjà une société lorsque je vivais en France. C’était une société de production à l’époque. Cela répond à ma nécessité personnelle de collaborer avec différents types de projets, dans différents secteurs, avec des clients issus de différents horizons. J’ai commencé ma carrière en tant que journaliste de presse écrite, puis je suis passée à la production de magazines et de documentaires. Parmi mes excellents souvenirs, il y a Terre de sports, une émission hebdomadaire diffusée sur TV5 Monde sur les pratiques sportives à travers le monde, ainsi que plusieurs longs métrages documentaires tournés aux États-Unis sur de grands faits de société, tels que la transplantation cardiaque et la peine de mort pour ne citer que les plus marquants. En tant que rédactrice en chef, mon rôle consistait à nourrir le propos du film en étroite collaboration avec le réalisateur: pour le premier film, il a fallu suivre des chirurgiens cardiaques en exercice, et pour le second, rencontrer dans le couloir de la mort des condamnés dont la culpabilité était remise en question par Amnesty International.

Comment tombe-t-on dans la grande marmite du cinéma?

«En dehors du fait que mon père était producteur de films et que je le suivais, petite, sur les tournages, j’ai commencé avec les films de fiction à mon arrivée au Luxembourg. Papa n’aura jamais eu l’occasion de me voir sur un plateau mais je crois que la pomme n’est pas tombée très loin de l’arbre et que, comme lui, je suis passionnée par la découverte et les rencontres sans cesse renouvelées que ce secteur permet.

Diriez-vous que ce que vous faites aujourd’hui est dans le prolongement de votre ancienne activité?

«L’économie du secteur culturel fait que la production et la promotion sont intiment liées. On est au four et au moulin, la plupart du temps au sein d’une petite structure. Comme avec les documentaires de société que j’ai produits par le passé, pour n’importe quel projet de promotion, je m’immerge dans le sujet pendant un certain temps afin d’avoir une vision la plus complète possible de la problématique, une idée claire du cadre dans lequel je vais travailler : travail de documentation, recherches, entretiens avec les protagonistes du projet (réalisateur, producteur, scénariste…), benchmark, etc. Je propose mes services en tant que consultante, principalement dans le milieu culturel et artistique. Mon activité consiste majoritairement à faire la promotion d’événements culturels, en particulier des sorties de films pour le cinéma et la télévision ou des événements sportifs.

Comment fait-on la promotion d’un film? Le seul envoi d’un dossier de presse ne suffit pas…

«Cela peut parfois être le cas mais mon but est de travailler pour des projets auxquels je peux apporter une plus-value, avec un client qui est convaincu de ma démarche. À mon sens, pour faire une bonne promotion, il importe de définir la stratégie en amont et de travailler dès la phase de préparation du film, avant même que le tournage ne débute. La promotion doit raconter des histoires, comment les choses sont faites, qui les fait, pourquoi, en quoi le film s’inscrit dans une réalité contemporaine, ouvrir des parenthèses documentaires pour expliquer les épisodes historiques qui ont donné naissance à l’idée même du film, fédérer des partenaires autour d’événements périphériques à la sortie… Il y a mille chemins pour faire la promotion d’un film mais, avant toute chose, il faut savoir de quoi on parle.

Pour Eng nei Zäit de Christophe Wagner, nous avons défini une stratégie de communication pour exploiter les forces du projet et éveiller l’intérêt des spectateurs autour du thème principal du film: l’histoire du Luxembourg et en particulier la délicate période de la Libération. Pour cela, nous avons organisé un colloque international avec l’Université du Luxembourg et le CNA, dont l’objectif est de présenter la période 1940-1950, non pas comme une période de rupture totale mais de continuité. Des historiens experts de la période, des spécialistes du cinéma qui a été produit à cette époque, interviennent sur le sujet, c’est passionnant.

Eng nei Zäit est basé sur des faits historiques, mais pas seulement. Pour que le spectateur puisse découvrir comment l’on passe d’un fait divers à une fiction, nous avons prévu une exposition à Neimënster du 31 octobre au 22 novembre 2015 au cours de laquelle nous retraçons toute l’épopée de la production d’Eng nei Zäit. Au moyen de photographies, de pièces d’archives, d’images de making of, notre but est de montrer comment l’équipe (de décoration, costumes, accessoires, effets spéciaux…) est parvenue à représenter et à respecter l’époque. L’exposition comprend également des objets qui ont été fabriqués pour les besoins du film: quand il ne s’agit pas de véritables objets chinés sur des brocantes ou loués auprès de collectionneurs, il faut créer l’illusion! C’est un travail d’artiste passionnant qui mérite une exposition.

«La promotion doit raconter des histoires et en exposer les coulisses»

La notion de partenariat semble importante…

«Elle l’est. Pour le documentaire Black Harvest de Jean-Louis Schuller et Sean Clark produit par Antevita Films, nous avons établi un partenariat avec Greenpeace car le film abordait clairement la question du prix que l’on est prêt à payer pour conserver son idéal et son cadre de vie. Il nous a donc semblé, avec le producteur Raoul Nadalet, que cette association apporterait une visibilité décuplée au film, ce qui est le cas puisqu’il a trouvé un distributeur américain et qu’il sera projeté dans le cadre de la Cop21.

Quelles sont les étapes pour atteindre le public?

«Il faut définir la cible du film, le message qu’il véhicule, les thèmes qui le traversent, les questions qu’il soulève… puis concevoir son identité visuelle en cohérence et ensuite adopter la stratégie adéquate pour atteindre ses objectifs. Ma démarche est d’exploiter la singularité du projet, c’est-à-dire d’organiser des événements cohérents autour de l’œuvre afin de l’inscrire dans une actualité qui intéressera la presse puis, par son intermédiaire, le public.

À quel moment commencez-vous à communiquer sur un film?

«Pour Eng nei Zäit, j’ai eu la chance que Claude Waringo soit convaincu de la stratégie de faire entrer le public dans les coulisses, et donc qu’il fallait amorcer le travail de promotion avant même le tournage. Comme le public n’y a pas accès, nous avons exploité les réseaux sociaux et conçu les événements dont on a parlé tout à l’heure. Nous sommes dans une ère de promotion par les contenus sur tous les médias et plateformes, il faut donc se diversifier. Ce travail a duré plus d’un an et nous a donné le temps de fédérer de nombreux partenaires autour du projet qui, à leur tour, ont diffusé l’information.

La création de l’identité visuelle s’établit-elle avant le travail de promotion?

«Dans la définition de la charte graphique, il y a tout un lot d’entités à réaliser. Cela va du logo à l’affiche, puis à sa déclinaison sur différents supports. Respecter une charte est primordial. Le logo permet d’identifier le projet. Même si je réalise le travail artistique pour cette partie, je ne travaille pas en roue libre; nous définissons les objectifs et les moyens pour les atteindre avec le producteur et le réalisateur, et l’image du film fait partie de ces moyens. Assez rapidement arrive la question du site internet. Cet outil fait partie du kit indispensable à la promotion d’un film. Cela évite aux journalistes et aux partenaires de devoir chercher l’information n’importe où sur la toile. Le web est le point de ralliement du projet qui permet en outre d’avoir une visibilité à l’international, notamment dans le cadre de la distribution internationale du film que gère Katarzyna Ozga chez Samsa Film.

Quelles sont les principales difficultés dans votre métier?

«Il faut déployer beaucoup d’énergie lorsque l’on fait de la promotion culturelle de nos jours! Pendant les repérages, à l’atelier de construction, sur le plateau, en postproduction, j’ai dû intervenir à toutes les étapes de la production du film pour collecter les contenus, photos, objets, décors, séquences filmées. Puis il faut donner forme à une expo, des supports, les diffuser, embrasser tous les médias, les réseaux sociaux, s’adapter à chacun, établir et alimenter des partenariats. Ce métier demande beaucoup de polyvalence et une certaine flexibilité. 

«Il faut déployer beaucoup d’énergie pour la promotion culturelle!»

Y a-t-il un événement en particulier qui vous a marquée? 

«Je pense que c’est d’avoir découvert ce film sur un écran de cinéma pour la première fois. La promotion reste de la publicité, ce ne sont que des promesses et le produit doit les tenir pour que le tout fonctionne.

À quel moment estimez-vous que votre travail a été bien accompli?

«La plupart du temps, j’estime que mon travail est accompli quand mon client est satisfait. Sinon, pour Eng nei Zäit, je me suis clairement mis un objectif d’entrées en tête! Si le film atteint ce chiffre, j’aurai un peu plus que le sentiment du devoir accompli… Mais ma plus grande satisfaction, c’est d’avoir l’opportunité de satisfaire ma curiosité naturelle, de comprendre le travail du cinéaste, du chef décorateur, des scénaristes, de m’immerger dans le processus créatif en cours d’élaboration. Chaque projet apporte son lot de rencontres et de découvertes passionnantes.

Et pour l’avenir? Des projets en cours?

«Entre autres choses, et dans un autre domaine, le développement d’Equicare, un centre de soins pour chevaux de sport et de course basé à Deauville que j’ai créé en 2009 avec des ostéopathes. Je serai un peu plus en Normandie ces prochains temps, ainsi qu’à Bruxelles pour un jumping international.»

Parcours
Des chevaux et des plateaux
À 36 ans, Marie-Anne Thériez a fait de ses deux passions, les chevaux et le cinéma, ses spécialités. Sa société Think Twice défend des projets dans ces deux domaines, autour de la promotion et de la diffusion d’événements sportifs et culturels.

Après un DUT en communication des entreprises à l’Université René Descartes à Paris et un diplôme de l’École supérieure de journalisme (ESJ), Marie-Anne Thériez démarre sa carrière dans la presse sportive à 20 ans. La jeune femme, née à la Martinique, elle-même cavalière, écrit, produit et réalise des sujets sur ce milieu équestre qu’elle connaît par cœur, puis élargit son champ de compétence au sport en général. En 2006, elle devient productrice et rédactrice en chef d’émissions télévisuelles (France 2, TF1, TMC et E ! Entertainment USA, pour ne citer que quelques-unes) par l’intermédiaire de la société de production qu’elle a créée.  En 2013, après 15 années passées à Paris, elle vient écrire une nouvelle page dans le cinéma au Luxembourg. L’amour des plateaux n’a pas évincé celui des chevaux. Mais les deux sont désormais conciliables.