Charles Ewert à sa sortie d'une audience. (Photo: DR)

Charles Ewert à sa sortie d'une audience. (Photo: DR)

Séance levée, procès recalé, les témoins peuvent rentrer chez eux et le principal prévenu Charles Ewert peut retourner en prison où il purge une peine de 20 ans. Mercredi, la 18e chambre correctionnelle du Tribunal de Luxembourg a levé le camp: le procès Ewert et deux anciens gestionnaires de la banque Ferrier Lullin pour faux et usage de faux dans une affaire impliquant le fabricant d’armes autrichien Gaston Glock a été reporté sine die. Il faudra peut-être recommencer l’instruction à zéro devant un tribunal ayant une autre composition, car un des magistrats de la 18e Chambre va bientôt changer d’affectation et il est pratiquement impossible que le procès, qui en était à sa troisième semaine d’audiences, se termine avant son départ. À moins que l’affaire soit purement abandonnée en raison du dépassement des délais raisonnables: la plupart des faits remontent aux années 1990.

Personne n’avait prévu que le procès de Charles Ewert dans le litige financier qui l’oppose à Gaston Glock ne soit pas expéditif. On pensait sans doute que les témoins allaient défiler en deux temps trois mouvements, la plupart d’entre eux étant des gens séniles, ou très âgés. Or, la défense de Charles Ewert et des deux gestionnaires a pris son temps de décortiquer et faire comprendre un dossier sans doute plus complexe qu’il n’y paraît à première vue.

Tout accablerait Ewert déjà condamné à 20 ans de prison pour complicité de meurtre en 1999 de Gaston Glock, son ancien «partenaire» (Glock se présente plutôt comme un client de la fiduciaire d’Ewert) dans la mise en place et le développement du groupe Glock dans le monde, notamment aux Etats-Unis, où chaque policier est équipé d’un Glock. La mise en place du réseau de distribution des armes automatique et de la caisse noire de l’industriel autrichien passait par les sociétés offshore Unipatent au Luxembourg et Reofin au Panama. Un différend financier opposa le Luxembourgeois à l’Autrichien, le premier se considérant comme coactionnaire avec le second d’Unipatent, et c’est à ce stade qu’Ewert aurait commandité à un ancien para français le meurtre de Glock dans le garage souterrain de ses bureaux au Luxembourg. Ewert était-il si bête de tenter de faire disparaître son partenaire dans son propre sous-sol? Quoi qu’il en soit il a été condamné à 20 ans de prison pour ça.

La justice avait laissé de côté le volet financier de l’affaire, qui apparaît pourtant comme le mobile du crime. L’instruction a pris plus de dix ans avant qu’Ewert et les deux autres prévenus ne comparaissent devant un tribunal correctionnel, avec une seule partie civile, celle de Gaston Glock.

Libérable depuis un an et demi

La défense d’Ewert a pointé des incohérences dans le dossier, en s’interrogeant notamment sur l’accélération que prit l’affaire à partir de 2002, soit trois ans après l’accident du garage souterrain du boulevard Joseph II: alors qu’Ewert, alias Panama Charly n’avait pas été trop inquiété (il avait passé quelques jours en détention en 1999 juste après la tentative de meurtre), les mauvaises nouvelles se précipitent sur lui peu après que l’avocat de Glock, Johann Quendler (il était aussi l’avocat de Jorg Haider, le chef de l’extrême droit autrichienne) ait inondé les autorités luxembourgeoises (banques, CSSF, ministère de la Justice, Parquet) de lettres «violentes» réclamant l’intervention de la justice contre Ewert en liberté. Le Luxembourgeois sera placé en détention à l’automne 2002 et n’est plus sorti de prison depuis lors, alors qu’il est «libérable» depuis un an et demi maintenant. «On ne veut pas me voir sortir de prison», avait récemment expliqué Ewert à la rédaction de paperJam.lu.

Les avocats de Charles Ewert ont cherché à savoir si la pression, voire le chantage que Glock fit alors sur les autorités luxembourgeoises a eu une influence sur le cours de la justice. La chronologie des faits, établie par la défense du Luxembourgeois, montre en tout cas que les deux places financières luxembourgeoise et autrichienne, toutes deux dépendantes du secret bancaire, se sont rapprochées à peu près à l’époque où Ewert commencera à avoir des ennuis. Pure coïncidence?

Déblocage des actions

L’ancien ministre de la Justice (et des Finances) Luc Frieden, CSV, avait été appelé comme à la barre des témoins par la défense d’Ewert pour s’expliquer sur plusieurs lettres que Me Quendler lui avait adressées, dont une en février 2002, dans laquelle l’avocat autrichien fait référence au montage de la société Cargolux BVI, clone exotique de la compagnie de fret par le cabinet d’avocats dans lequel Frieden fut associé. Les pièces d’un dossier administratif contenant des échanges de lettres entre la CSSF (alors dirigée par Jean-Nicolas Schaus), le ministère des Finances, celui de la Justice et le parquet, ont été transmises aux parties. Il reste encore à les exploiter.

Luc Frieden ne témoignera peut-être jamais dans cette affaire. Il fut appelé à trois reprises devant le tribunal sans que les juges aient pu l’entendre. Il aurait dû l’être ce jeudi matin, mais la veille la 18e Chambre a levé le camp.

Il n’est pas improbable que compte tenu des délais, l’affaire instruite depuis 13 ans soit enterrée et qu’Ewert et les deux employés de la banque Ferrier Lullin ne soient jamais poursuivis. Ewert ne sera pas jugé et donc ne pourra jamais avoir une chance d’être innocenté, alors qu’il a toujours nié avoir été mêlé à la tentative de meurtre de Glock. Le vieil industriel vient d’ailleurs de récupérer les 50% des actions (qui étaient jusqu’alors bloquées par la justice) d’Unipatent, société qui contrôlait en partie son réseau de distribution, qu’Ewert revendiquait et qui était au cœur du procès qui pourrait se terminer en eau de boudin.