Consultant international, Med Chani a été arrêté en septembre 2009 et est depuis lors en détention à Alger. (Photo: DR)

Consultant international, Med Chani a été arrêté en septembre 2009 et est depuis lors en détention à Alger. (Photo: DR)

Le procès à Alger devant le tribunal criminel pour corruption présumée du consultant international Medjdoub Chani, qui a la double nationalité algérienne et luxembourgeoise, et d’une quinzaine d’autres prévenus dans l’affaire dite de l’autoroute est-ouest, a été suspendu pour une semaine, après le premier jour d’audience dimanche. Il reprendra dimanche prochain, a signalé le juge d’Alger, en menaçant les témoins et les interprètes d’aller les chercher avec les gendarmes s’ils ne se présentaient pas au tribunal.

Selon le compte rendu que le site Huffpostmaghreb a fait de l’audience, le magistrat algérien a lancé à Med Chani: «La prochaine fois tu seras jugé avec ou sans avocats.» Une invective qui en dit long sur le respect que la justice porte à celui qui est présenté comme l’un des principaux prévenus du scandale de corruption autour de la construction de l’autoroute est-ouest en Algérie (1.200 km, de nombreuses malfaçons et un prix de revient qui a percé les plafonds prévus), mais aussi aux droits de la défense.

Car Chani doit être jugé sur la base d’aveux qui lui avaient été arrachés après 20 jours d’une garde à vue totalement illégale, passée dans les mains des services secrets qui l’avaient arrêté en septembre 2009 peu après qu’il débarque à l’aéroport d’Alger. Il ne fut présenté à un juge d’instruction qu’après ces 20 jours où il a subi de la torture. Il est revenu par la suite sur ses aveux devant le juge d’instruction. Mais rien n’y a fait, il fut renvoyé devant les juges, malgré ses dénégations sur son implication dans les rétro-commissions.

À Luxembourg, où il est résident et dont il a la nationalité, une juge d’instruction enquête depuis deux ans sur les conditions de son arrestation et de sa détention arbitraire, selon ses avocats Philippe Penning et William Bourdon.

Nullité de la procédure

Mais dimanche à l’ouverture du procès, les juges sont restés insensibles à la demande du collectif d’avocats (algériens, français et luxembourgeois) qui assure sa défense et qui ont demandé, au nom du respect des principes d’un procès équitable, la nullité de la procédure s’appuyant sur des aveux obtenus sous la torture.

Le procureur de la république n'était pas avisé à l'ouverture de l'enquête préliminaire, a affirmé dimanche à l’audience l’un de ses avocats algériens, toujours selon Huffpostmaghreb qui suivait le procès en direct. «Aucun document ne prouve que le procureur de la république n'était informé d'un mandat de dépôt ni d'une prolongation de la garde à vue et ce entre le 28 septembre et le 6 octobre 2009», rapporte le site en citant l’avocat de Chani.

La présence d’avocats étrangers comme William Bourdon, avocat du Barreau de Paris et Philippe Penning, du Barreau de Luxembourg, en renfort des avocats algériens pour assurer la défense de Chani, semble déranger la justice algérienne, sans toutefois rien changer à sa détermination de le juger coûte que coûte.

 Je n'ai jamais vu de ma vie un dossier de justice qui documente ainsi des faits de torture.

William Bourdon, avocat du consultant international Med Chani

Me Bourdon, lors de son intervention, s’interroge sur la légalité d’une procédure basée sur des faits de tortures: «Vous avez les éléments pour prendre la bonne décision du point de vue du droit. Je n'ai jamais vu de ma vie un dossier de justice qui documente ainsi des faits de torture. La procédure peut-elle être respectable et régulière si elle est précédée de trois semaines de tortures? Bien sûr que non», souligne l’avocat français qui interpelle le juge.

«Un juge, dit-il, doit être un bouclier contre l'arbitraire, un gardien de la dignité des citoyens.» L’avocat rappelle qu'une juge luxembourgeoise a envoyé une commission rogatoire pour entendre les officiers du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) pour les faits de torture sur Medjdoub, mais que la demande est restée lettre morte.

Les avocats plaident l’extinction de la procédure. Après plusieurs interruptions de séance, les juges passent outre et joignent l’affaire au fond, ce qui fait bondir tous les avocats du consultant, qui décident alors de jeter l’éponge et de déposer leur mandat, plaçant ainsi le tribunal d’Alger dans l’embarras.

Je n'ai plus d’espoir

Car sans avocat, Chani ne peut pas être jugé. Le tribunal n’est pas loin de crier à l’imposture. D’abord parce qu’en raison d’un problème de visa de William Bourdon, la première audience avait dû être reportée le 25 mars dernier. Après le forfait de ses avocats, Chani refuse de se faire défendre par un commis d’office et déclare au juge préférer assurer seul sa défense. Le tribunal doit encore interrompre l’audience, avant d’être acculé à suspendre le procès pendant une semaine.

On en est alors resté là.

«Nous sommes offusqués, car la Cour en joignant au fond un moyen de défense tendant à la nullité absolue de toute la procédure, a laissé apparaître qu’elle entendait poursuivre le but affiché de ce procès qui est une lourde condamnation de Chani», a expliqué dimanche soir à Paperjam.lu l’avocat Philippe Penning. «Or, seul un jugement séparé, prononçant la nullité aurait constitué l’unique décision cohérente possible. La Cour ne voulait rien entendre des plaintes déposées par la défense, ni à l’Onu, ignorant les pièces versées à ce sujet, ni au Luxembourg, traitant celui-ci de petit pays», poursuit-il.

Après le départ des avocats de la cour d’Alger, en protestation d’un simulacre de procès, le juge a demandé au principal prévenu, qui nie toute implication dans l’affaire, s'il avait quelqu'un pour l'assister, un parent ou une personne en qui il avait confiance, Chani a répondu: «Je n'ai plus d'espoir je ne sais plus quoi faire!»

À noter au passage que Chani, qui a la double nationalité algérienne et luxembourgeoise, n’a pas eu droit, comme il serait d’usage, à l’assistance consulaire qu’il avait réclamée auprès de l’ambassade de Belgique à Alger qui assure la diplomatie luxembourgeoise, à défaut d’une ambassade du Grand-Duché sur place.