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Il est des sociétés et des entrepreneurs plus médiatiques que d'autres. Primesphere ? ex Tecsys Infopartners ? en fait partie. A sa tête, Gary Kneip. Le bonhomme a été très actif, aussi bien à la tête de sa société qu'en tant que premier président de l'Association des Professionnels de la Société de l'Information (APSI). Que ce soit dans le domaine du commerce électronique, des solutions ASP et Unified Messaging, Primesphere était en première ligne dans la Grande Région. Il y a un peu plus d'un an, le développement de la société a été soutenu par l'investissement conjoint de Mangrove Capital Partners et BGL Investment Partners. Les projets, au cours des mois, se sont multipliés. 

Mais depuis la mi-septembre, et le ralentissement économique, le retour de bâton s'est fait ressentir. La survie de l'entreprise n'est pas en jeu, mais on parle d'une réorganisation.

Entretien avec le CEO.

Historique des 12 derniers mois

"Il y a un peu plus d'un an, nous nous sommes lancés dans un grand projet de commerce électronique européen. Nous étions partenaires dans l'aventure everyday.com au niveau technique. Plutôt que d'attaquer 'tout' le commerce électronique, tous les clients potentiels, nous nous sommes contentés de nous intéresser aux clients de Tele2 en Europe, ce qui fait déjà une bonne somme de prospects. Assez rapidement, le marché du portail s'est trouvé être plus difficile que prévu. Les revenus issus de la publicité et du référencement, par exemple, n'ont pas été à la hauteur des attentes" constate Gary Kneip.

Autrement dit, les plans qui avaient guidé à la création et au lancement d'Everyday.com se sont rapidement avérés trop optimistes. Si cette erreur est celle de tout un secteur et non pas celle de deux entreprises, les objectifs n'en sont pas moins devenus inatteignables. "Au début, il y a eu des retards sur les objectifs. En soi, un retard n'est pas gênant, sauf s'il n'est pas rattrapé ou qu'il augmente, comme cela a été le cas".

Conséquence: à un moment ou à un autre, une décision doit être prise: "aujourd'hui le projet est, certes, repositionné, mais n'est pas arrêté. Les investissements continuent dans tout ce qui relève du fonctionnel. Techniquement, la plate-forme a été un peu repositionnée elle aussi, vers une 'toolbox' pour des applications et des projets Business-to-Business. Via cette dernière, nous aidons des jeunes pousses à démarrer leur projet. Exemple: il y a quelques mois, nous avons pris une participation dans une société française, en échange de l'achat de services, y incluse cette plate-forme".

Marché B2C contre marché B2B. La confrontation n'est pas nouvelle? "L'évolution des deux marchés ne s'est pas faite au même rythme? Pour ce qui concerne le marché du particulier, le seul élément qui est aujourd'hui développé est celui qui concerne les loisirs, qui a une dimension ludique. Avec Tango TV, dont nous sommes partenaires, nous allons essayer d'opérer la fusion des différents canaux de communication. Internet, télévision, radio, téléphonie mobile? vont interagir, en temps réel. Nos attentes par rapport à ce business sont importantes".

Les attentes sont importantes, car l'on compte sur le début d'effet d'expérience apporté par l'aventure Everyday Shopping. "Je crois que le commerce électronique local va se développer, à travers des opérations de promotion ponctuelles, grâce à des commandes rapides, pourquoi pas via le téléphone mobile. Encore une fois, c'est le côté ludique de l'achat qui va impulser l'acte d'achat. Aujourd'hui, je dois reconnaître moi-même combien acheter un produit en ligne ? y inclus sur un de 'nos' sites ? manque de côté amusant. On est en train d'apprendre! Nous tous! Nous, les consommateurs, mais aussi les commerçants !"

De l'importance d'une offre

adaptée

En effet, les différents acteurs de la chaîne progressent dans leur connaissance de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas? "Si l'on regarde les boutiques ouvertes sur Everyday Shopping, il faut reconnaître que peu d'entre elles ont des produits adaptés au commerce électronique. Et si elles en ont, elles ne savent pas comment les présenter. Sur le site d'Everyday, on trouve des biens qui coûtent 2.500 Euro. Il est rare de vendre ce type de produits, même dans la 'vraie' vie. Cette rareté oblige à se poser la question de la présentation du produit: est-on certain de donner assez de renseignements, de détails'"

Mais alors, quels sont les produits adaptés, ceux qui se vendront? "Ce à quoi l'on travaille actuellement, c'est au développement de la nouvelle génération de commerce électronique, le commerce ponctuel, la vente de promotions, de produits en fin de stock. Ce sont deux exemples où l'on peut proposer en ligne et dans le commerce traditionnel des offres différenciées. N'offrir des produits qu'en ligne, pas dans un magasin physique".

Ce concept rejoint une pratique déjà développée par Apple sur son Apple Store depuis quelques temps? Sur la totalité de la gamme d'une machine, un modèle va être réservé à la commande en ligne, et n'est pas disponible dans le réseau des distributeurs traditionnels (à leur grand dam). Le site web bénéficie dès lors d'un produit qui attire le consommateur, le détourne du brick & mortar traditionnel. "Il ne faut pas non plus être complètement noir, le site d'Everyday connaît une croissance régulière du chiffre d'affaires malgré tout!"

Repositionnement et réorganisation

D'objectifs repoussés en ambitions réadaptées, il devient obligatoire, pour la société, de se réorganiser, autrement dit de réduire la voilure. Aujourd'hui, "il faut être conscient que la plupart de ce business est un business d'investissement. Il n'y a pas de retour immédiat. On ne va pas mettre un Euro aujourd'hui pour toucher un Euro demain' On va mettre un Euro aujourd'hui pour en remettre cinq demain! Nous avons rajouté une certaine dose de réalisme à notre stratégie et à notre organisation. On doit continuer à investir, mais être réalistes. Nous devons savoir que pendant encore un certain temps nous devrons faire des investissements marketing, pas mercantiles. Ceci posé, le contexte concurrentiel global va évoluer à son tour'"

Pour 2002, la société a donc réorganisé une partie de ses activités pour assurer la pérennité de son fonctionnement. "Le premier axe de développement concerne notre activité ?systèmes?. Nous avons là 30 ingénieurs qui y travaillent en permanence. C'est un secteur qui marche très bien' Nous avons une bonne position sur ce marché au Grand-Duché. Au cours du dernier trimestre, nous avons, pour citer un chiffre, vendu plus de 100 Tera de disques durs. Pour Compaq, nous sommes un des 6 prestataires les plus qualifiés en Europe".

Deuxième axe? "Nous avons une partie 'solutions', dans laquelle nous développons les projets des clients'  Le marché privé, depuis environ six mois, est morose. De nombreux projets qui étaient engagés ont été repoussés, sinon annulés, notamment dans le secteur bancaire. Ceci nous met dans une situation difficile. En définitive, nous avons été dans l'obligation de nous séparer d'un certain nombre de nos collaborateurs. Pour relancer notre activité, avec certains partenaires, nous avons réussi à obtenir un nombre important de contrats institutionnels. Une grande partie des entreprises regarde peu ce marché, mais en fait il est très intéressant. Même si les marges y sont faibles, elles sont garanties sur la durée des contrats, à savoir 3 à 5 ans. Avoir ce type de revenus garantis est très intéressant. C'est un support pour tout développement supplémentaire".

Cet axe est en fait un axe quasi historique pour la société? Primesphere est en effet le nouveau nom de Tecsys Infopartners. Infopartners, à l'époque de son indépendance, s'était justement spécialisé sur les contrats avec la Commission Européenne et d'autres institutions publiques. Si, en termes d'activité, le choix est nécessaire et sans difficulté justifiable, il faut cependant être attentif aux conséquences internes: "cette stratégie nous oblige à un nouveau dialogue avec nos employés? Chaque individu a son propre objectif personnel. Lorsque nous menons en priorité nos propres projets, nous demandons aux gens de faire preuve d'autonomie, de se fixer eux-mêmes les buts à atteindre. Dans des contrats avec des institutions, les tâches à accomplir sont fixées a priori de manière très stricte, très claire".

Le dernier axe est tout ce qui relève de la recherche et développement, en interne ou pour des clients. "Dans le domaine du commerce et du paiement électronique. Avec Tele2, encore une fois, nous allons continuer à développer de nombreux produits très innovants". Cette partie de l'activité, visiblement, reste celle qui fait le plus réagir, briller l'?il de Gary Kneip: "C'est ici que l'on se rend compte que les informaticiens ne sont pas des scientifiques. Ce sont avant tout des artistes. Ils veulent créer, aller plus loin, innover? Gérer et faire évoluer une plate-forme existante les intéresse moins".

On retrouve des projets dans la téléphonie et la mobilité: "Avec l'UMTS, le GPRS, les opérateurs doivent développer de nouvelles manières d'utiliser le téléphone. Avec Tango, nous avons développé une plate-forme de m-commerce qui fonctionne très bien' Nous voulons participer à la promotion d'une autre utilisation de ces terminaux mobiles. Les outils à disposition ne sont pas encore en tout cas à la hauteur des ambitions. Les produits aujourd'hui disponibles connaissent de grandes lacunes. Ils sont encore trop complexes, trop compliqués".

Sans compter le problème que les terminaux posent à leur tour: "Si l'on prend l'une ou l'autre application WAP que nous avons développée, tout a été fait très rapidement, en quelques heures'  jusqu'aux tests successifs sur les différents téléphones? Cette partie du marché n'est pas encore mature".

Globalement, Primesphere est en train de retrouver une activité adaptée à sa taille: "Nous retrouvons un taux d'occupation des équipes à peu près normal, mais on va encore devoir adapter leur taille dans les semaines à venir? Nous devrons faire le 'match' à un moment donné, entre une équipe qui baisse et une activité qui monte? Il faut également signaler que nous avons largement augmenté la taille de nos équipes commerciales".

En attendant

e-Luxembourg

On l'a dit en introduction, en plus d'être le CEO de Primesphere, Gary Kneip est le président sortant de l'APSI. Si le gouvernement semble décidé à remettre de l'énergie dans l'affaire (voir l'article suivant et l'interview de M. Juncker), Gary Kneip a également son idée précise sur ce qui est à faire? "Le Luxembourg a eu comme ambition d'être numéro 1 dans la 'eEurope'. La 'eEurope' avait pour ambition d'être la première au monde? Conséquence, le Luxembourg devait être numéro 1 mondial pour l'utilisation des nouvelles technologies. L'étude Ernst & Young nous classe plutôt dans le dernier tiers du peloton, pour ne pas dire en dernière place. Au sein de l'APSI, nous trouvons cette situation déplorable. Il faut que eLuxembourg sorte du discours et se mette à devenir concret: que lorsque l'on veut développer un projet, les pouvoirs publics arrêtent de sauter du coq à l'âne".

Si cette ambition se veut citoyenne, elle se veut aussi un intérêt entrepreneurial bien compris. En effet, "de tels projets feraient du bien à tout le monde. Chez de nombreuses entreprises, le taux d'occupation des employés est très faible. Le Luxembourg a de l'argent. Il a de l'ambition. Il faut maintenant prendre des décisions. Nous ne demandons pas du sponsoring, nous ne sommes pas l'Arbed. Pour les institutions européennes, par exemple, nous développons des programmes de recherche.

?Dans une telle optique, tout le monde en profite: l'Europe, qui se trouve dotée de solutions innovantes et efficaces; l'entreprise, car elle a acquis de nouveaux savoir-faire, avec une activité qui est financée. Nous essayons de remplir ces projets à 200%. Un exemple? Si dans eLuxembourg, on pouvait décider de lancer deux projets de e-TVA au lieu d'un seul, sur des spécifications uniques? Les deux projets seraient développés en parallèle, au départ, et le choix définitif n'interviendrait qu'aprés quelques mois d'avancement. À l'arrivée, ce sont deux sociétés qui auraient eu l'occasion de développer des compétences. Tout le Luxembourg y aurait gagné".

Le jugement est franc, direct: "Il y a un discours,  une volonté affichée, mais la dynamique concrète manque. Après l'étude PISA, l'étude Ernst & Young et enfin le rapport Montebourg, je pense que l'on a les stimuli nécessaires pour repenser les démarches prévues. Il faut être clair: dans certains domaines, au Luxembourg, nous sommes des amateurs, et nous n'avons pas les moyens d'être autre chose. Pour de nombreuses entreprises et institutions, le fait de sortir du Luxembourg signifie prendre régulièrement des baffes".

Voici le diagnostic. Mais quelle peut être la réaction' "L'APSI  va devenir plus militante, plus revendicatrice. Nous restons ouverts au dialogue mais celui-ci, comme l'association, doit être actif. Il y a beaucoup d'initiatives, qui ne sont pas forcément concertées. Nous appelons à la création d'un forum, d'une table ronde pour amener les différents interlocuteurs à débattre des vrais problèmes".