Cyril Dagand et Jérôme Grandidier; fondateurs de SIT Group, ont été rejoints en 2009 par Gilles Saint-Guillain (à droite)  (Photo: Andrés Lejona)

Cyril Dagand et Jérôme Grandidier; fondateurs de SIT Group, ont été rejoints en 2009 par Gilles Saint-Guillain (à droite)  (Photo: Andrés Lejona)

Il n’y aura désormais plus à se poser la question de savoir s’il faut dire S.I.T ou SIT Group. La société, fondée il y a maintenant onze ans, vient de prendre un virage majeur et a changé sa raison sociale en Luxembourg Telecom. Sa tête de lion rouge a officiellement été présentée ce 16 septembre. Longtemps active, principalement, dans l’IT et l’outsourcing, la société marque ainsi de manière tranchée ses développements récents en matière de téléphonie, concrétisés en juin dernier par l’obtention du statut d’opérateur télécoms agréé par l’Institut Luxembourgeois de Régulation.

Cette nouvelle dénomination devrait s’accompagner d’un autre événement clé pour le développement à venir de l’entreprise: l’entrée dans le capital social de la société d’investissement BIP Investment Partners, qui est en train de finaliser une injection d’au moins six millions d’euros, partagés entre capital social, prêt classique et prêts de type mezzanine (à mi-chemin entre le crédit bancaire et les capitaux à risque, le financement mezzanine est généralement d’une durée de cinq à dix ans, subordonné par rapport au crédit bancaire traditionnel, tant du point de vue du remboursement que sur le plan des garanties. Son remboursement final n’intervient qu’après le remboursement du crédit bancaire traditionnel, ndlr.).

Un air de déjà vu

Les premiers contacts avec BIP remontent à 2005, à l’époque où SIT a commencé ses démarches pour obtenir le statut de PSF. «Nous nous voyions régulièrement, mais nous n’avions pas encore une taille suffisante pour susciter un intérêt de leur part, se souvient Jérôme Grandidier, CEO de SIT Group. Mais ils nous ont toujours suivis de près et m’ont toujours dit que le jour où il y aurait un projet à forte valeur ajoutée, ils l’étudieraient de près.»

Avoir l’opportunité de participer au développement d’un nouvel opérateur avait, du reste, de quoi rappeler de bons souvenirs à BIP. La société avait été, en 2004, un des actionnaires institutionnels de référence de l’opérateur Voxmobile, créé par Jean-Claude Bintz et Pascal Koster, deux «transfuges» d’un autre opérateur mobile, Tango (qu’ils avaient déjà créé eux-mêmes en 1998). Et comme pour mieux boucler la boucle, ce même Jean-Claude Bintz, qui a entre temps quitté Voxmobile pour créer Lakehouse, sa propre société de business consultant, a accepté d’apporter son expérience et son relationnel hors norme au Grand-Duché. Il a donné son accord pour entrer prochainement dans le conseil d’administration de Luxembourg Telecom.

Loin d’être un aboutissement en soi, cette entrée dans le capital n’en constitue pas moins une étape cruciale dans l’existence de la société, qui se donne ainsi les moyens de se positionner comme le premier opérateur télécoms alternatif global exclusivement dédié aux entreprises au Luxembourg. «Nous voulions, avec ce changement de nom facile à retenir, faire passer deux messages: montrer que nous étions une société locale et que nous étions actifs dans les télécoms, explique Jérôme Grandidier, désormais CEO de Luxembourg Telecom. Il fallait faire comprendre clairement le changement opéré ces dernières années au sein de la société.»

Tout ne s’est évidemment pas fait du jour au lendemain et à son arrivée à la tête de la société en 2001, M. Grandidier n’avait certainement pas encore une vision très précise de ce à quoi ressemblerait le paysage des technologies de l’information huit ans plus tard. SIT Group, créée en 1998 par Cyril Dagand, excellait, à cette époque-là, dans l’intégration de systèmes informatiques et dans la mise à disposition de personnels en outsourcing. Jérôme Grandidier y avait apporté, sous forme de prêt, la moitié du capital initial, mais était à l’époque country manager au Luxembourg pour le groupe CSS.

2005, le premier pas

Or, en 2001, ce groupe, managé depuis les Pays-Bas, commença à connaître des problèmes internes de trésorerie et de liquidités. Anticipant un risque de cessation de paiement pour l’entité luxembourgeoise dont il avait la charge, Jérôme Grandidier négocia une libération de sa clause de non-concurrence et de non-débauchage et intégra le giron de SIT Group dont il était devenu co-actionnaire. Il prit la fonction de CEO et amena avec lui une dizaine de ses anciens collaborateurs de CSS, «et nous avons retrouvé du travail pour la plupart des autres employés auprès de nos clients».

Peut-être faut-il trouver, il y a cinq ans, le point de départ de toute la mutation opérée aujourd’hui, au détour d’une conversation échangée avec un ami s’occupant, chez Vodafone, à Londres, de la partie stratégie commerciale. «Le constat était déjà clair que le métier d’intégrateur informatique en tant que tel était appelé à disparaître, se souvient Jérôme Grandidier. Déjà à l’époque, on imaginait un opérateur arrivant avec des lignes à connecter chez un client, lui proposant la fourniture d’infrastructures de type data center, si besoin. Sur le réseau installé, il serait alors possible d’y relier aussi bien de la télépho-nie que de l’informatique, puis de fournir les terminaux, que ce soit des GSM, des PDA, des notebooks, des imprimantes… et tous les services associés de type helpdesk centralisé ou pas, standard téléphonique ou call center.»

De la théorie à la pratique, il ne manquait plus que le premier pas à franchir, toujours le plus difficile. L’opportunité s’est présentée en juin 2005, lorsque SIT Group intégra les équipes techniques de la société AT Kess, alors leader du marché Avaya (le numéro Un mondial en téléphonie IP) au Luxembourg. Ce fut l’entrée officielle sur le segment de la téléphonie, à une époque où les systèmes Voice over IP arrivent à maturité. L’instant était donc crucial pour disposer de cette double compétence IT et Telco.

La machine était lancée, mais tout ne fut pas simple au début. Car, en 2005, faire cohabiter des équipes techniques télécoms et des équipes d’informaticiens relevait de la performance humaine, tant la «philosophie» était différente entre les seconds, généralement de niveau ingénieur, et les premiers, plus souvent techniciens de terrain, «au sens noble du terme», précise M. Grandidier. «L’osmose ne s’est pas faite sans mal et cela nous a pris deux ans pour disposer d’une équipe homogène.… Aujourd’hui, le problème ne se pose plus. Un système téléphonique n’est rien d’autre qu’un software qui tourne sur un serveur IT.»

Deux ans plus tard, SIT Group franchit de nouvelles étapes majeures dans sa mutation et donna un grand coup d’accélérateur à son développement. Il y eut, en cette année 2007, outre le déménagement dans de nouveaux locaux plus spacieux à Capellen, la reprise d’une bonne centaine de contrats de location et de maintenance supplémentaires auprès de Tenovis et de Bosch Telecom (deux entités rachetées entre temps par Avaya), correspondant à un montant initial d’investissement d’un peu plus de trois millions d’euros. Il y eut, aussi, le lancement d’une offre de téléphonie fixe et mobile, intégralement dédiée aux professionnels, et réalisée en partenariat avec l’opérateur Voxmobile.

Luxconnect, le tremplin

2007, c’est aussi l’année de l’ouverture, aux Pays-Bas, de la première filiale hors Belux du groupe (elle fermera deux ans plus tard, faute de développements vraiment conséquents. «Ce fut peut-être une erreur d’aller là-bas», concède Jérôme Grandidier aujourd’hui), mais aussi des premières ventes de terminaux IP spécialement adaptés aux salles de marché via la société IP Trade, dont SIT Group a pris une participation à hauteur de 7%.

C’est aussi (et surtout?) l’obtention du statut de professionnel du secteur financier (PSF), qui nécessita, en son temps, un gros effort financier, le ticket d’entrée étant alors encore de 1,5 million d’euros de capital social. Une injection supplémentaire de 500.000 euros fut réalisée par l’apport d’un actionnaire privé supplémentaire. «Nous avons été la première société à capitaux privés à devenir PSF, indique Cyril Dagand, associé historique de SIT Group. Notre ambition est aussi d’exporter ce label hors des frontières du Luxembourg. Il y a de plus en plus de banques internationales qui prêtent un regard attentif à ce statut.»

L’arrivée, début 2009, de Gilles Saint-Guillain et de Vincent Nicolay (lire encadré ci-contre) permet à SIT Group d’élargir son domaine de compétences à l’univers de la fibre optique et d’entreprendre un rapprochement stratégique vers LuxConnect, en intégrant, au cœur du data center de Bettembourg, 350 m2 de locaux. «Cela nous permet de bénéficier d’un réseau de fibres haut débit national et international, et de nous interconnecter avec tous les pays, via la technologie WDM (qui permet d’injecter simultanément dans la même fibre optique plusieurs signaux à des longueurs d’onde différentes, ndlr.). Nous pouvons désormais commercialiser des lignes à fibre optique de type dark fiber, à des prix compétitifs au niveau européen. Nous avons déjà des contacts avancés avec plusieurs entreprises internationales. C’est ce volet-là qui nous a permis de passer un cap supplémentaire et de devenir opérateur propre, agréé par l’Institut Luxembourgeois de Régulation (en mars 2009, ndlr.). Nous n’aurions évidemment pas pu investir nous-mêmes dans des installations similaires à celles que nous louons chez LuxConnect.»

Fort de cette palette élargie, la nouvelle Luxembourg Telecom peut étendre son offre globale aux «services managés», en hébergeant les équipements, mutualisés ou non, des clients. En juillet, la société a décroché des contrats de gestion de ce type auprès du Syndicat intercommunal de gestion informatique (Sigi) pour l’hébergement des sites Internet (qui se fait en partenariat avec la société Conostix) des communes qui en sont membres. «Quelle que soit la taille de l’entreprise, l’informatique devient incontournable. On ne peut plus faire tourner une société sans. Mais combien sont capables de redémarrer réellement, en cas de souci, avec un back up complet de leurs données? En dehors des très grosses banques, le nombre est très faible. Il y a six mois, nous n’avions pas de demande particulière. Aujourd’hui, nous avons plusieurs contacts chaque semaine, avec des demandes d’hébergement de tout ou partie du système ou encore la gestion de la sécurité.»

Les investissements consentis par l’Etat luxembourgeois dans les infrastructures de LuxConnect montrent bien l’importance stratégique que revêt le site pour l’ensemble de l’économie. La loi initiale de 2006 créant LuxConnect avait prévu une première enveloppe de 30 millions d’euros. Sont venus s’ajouter, depuis, 100 millions supplémentaires étalés sur trois ans, d’ici à 2011 avec, notamment, une extension du site «historique» de Bettembourg et l’ouverture d’un second centre à Colmar Berg, prévu d’être opérationnel fin 2012. «Je n’ai pourtant pas le sentiment qu’il y ait une commercialisation très proactive de ces infrastructures, regrette Jérôme Grandidier. Il faut à la fois cibler les acteurs locaux, mais aussi ramener à Luxembourg les grands noms internationaux, leur expliquer ce qu’ils vont gagner à venir ici et faire du Luxembourg le centre européen d’excellence en matière de traitement d’informations. Tout le monde insiste sur la nécessité de trouver d’autres revenus que ceux de la place financière. Le positionnement stratégique et géographique du Luxembourg dans le domaine des télécoms est, aujourd’hui, capital. Notre arrivée sur le marché va lui permettre de compter sur un acteur local réactif et attractif en termes de prix et va aussi créer de saines concurrence et émulation.»

Croissance externe à l’étude

La réactivité et la flexibilité d’une structure «à taille humaine» et à capitaux privés s’illustrent dans de nombreux domaines, que ce soit à destination de futurs clients ou de partenaires. Il a, ainsi, fallu à peine deux semaines pour établir un partenariat avec Infoguard en matière d’encryption des signaux destinés à traverser des fibres optiques. Car il faut savoir que les informations qui y circulent sont généralement «en clair», y compris dans le cas de liaisons entre banques et data centers (les établissements financiers qui encryptent leurs données se comptent sur les doigts d’une main), mais qu’il existe une possibilité technique d’intercepter ces informations directement au niveau de la fibre sans interruption de service, à partir d’un équipement qui, lorsqu’on dénude et courbe la fibre, récupère entre 1 à 2% de la lumière émise …

Aujourd’hui, le CEO de Luxembourg Telecom doit se réjouir de ne pas avoir écouté le chant des sirènes qui lui conseillait, en 2008, de se consacrer exclusivement aux activités d’outsourcing qui, en leur temps, étaient en effet extrêmement porteuses et lucratives. «Mais nous savions que cette embellie était cyclique et c’est là que nous avons vraiment développé notre projet d’opérateur télécoms. Nous savons qu’en période de crise, proposer des solutions économiques aux clients est forcément intéressant. Et nous pouvons nous le permettre, car nous sommes profitables depuis 1999 et nous avons toujours capitalisé et réinvesti nos résultats autant que nous le pouvions, sans nous payer, par exemple, de dividendes.»

L’apport de BIP Investment Partners va permettre à Luxembourg Telecom d’entrer définitivement dans une nouvelle dimension et d’étudier, différemment, des opportunités de croissance externes qui pourraient se présenter dans les prochains mois. D’ici là, la mission première de la société sera de se faire un nom avec sa nouvelle identité. Le lion rouge est prêt à rugir…