Pour Alain Grosjean, un juge luxembourgeois pourrait s'appuyer sur le droit national et se saisir d'un cas similaire à celui traité en France. ( Photo: Luc Deflorenne / archives )

Pour Alain Grosjean, un juge luxembourgeois pourrait s'appuyer sur le droit national et se saisir d'un cas similaire à celui traité en France. ( Photo: Luc Deflorenne / archives )

Le 5 mars dernier, une décision de justice française est venue ouvrir une brèche dans un certain sentiment d’impunité du géant Facebook.

Depuis quatre ans, un internaute lambda tentait de poursuivre le réseau en se basant sur la législation française. Instituteur féru d’art, ce dernier avait partagé sur son profil un lien renvoyant vers le célèbre tableau «L’origine du monde» de Courbet. Ce qui avait enclenché une suspension de son compte par Facebook, pour cause de nudité féminine dévoilée.

Malgré des conditions d’utilisation devant être approuvées par tout utilisateur et spécifiant un recours possible devant une cour californienne, le Tribunal de grande instance de Paris s’est finalement déclaré compétent pour se saisir du litige sur base des articles 46 du Code de procédure civile et L141-5 du Code de la consommation français.

En cours d'instruction

Cette possibilité actée de saisir un tribunal non américain vient créer un précédent pour d’autres juridictions européennes, mais aussi pour poursuivre d’autres poids lourds du web. Une limite toutefois, le récent arrêt français ne cible que les personnes physiques.

«Il est regrettable que seuls les consommateurs puissent agir contre la filiale irlandaise de Facebook, responsable pour la gestion du réseau en Europe. Ainsi, les personnes qui ouvrent un compte en lien avec leur activité professionnelle devront respecter la clause attributive de compétence et ne pourront pas saisir les tribunaux français en appliquant le même raisonnement», explique Alain Grosjean, partner au sein du cabinet Bonn & Schmitt. Sur le fond, l’affaire doit encore être tranchée.

Plusieurs cas similaires sont actuellement en cours d’instruction par des cours allemandes.

Un scénario à la française à Luxembourg?

Si jusqu’à présent, il n’y a pas encore eu de démarche judiciaire contre Facebook initiée au Luxembourg, un scénario à la française pourrait tout à fait avoir lieu ici. Pour s’en convaincre, il s’agit tout d’abord d’examiner la législation européenne. La question est toujours de déterminer si le recours devant une juridiction locale est envisageable. Dans cette matière, c’est le règlement européen «Bruxelles I bis», d’application depuis le 10 janvier 2015 et qui a abrogé le règlement «Bruxelles I», qui fait loi.

«L’article 6 du nouveau règlement se substitue à l’ancien article 4 et étend son champ d’application spatial», précise Alain Grosjean. Selon cet article 6, si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, le juge saisi doit appliquer son droit national, «sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25».

Or, selon l’article 18 en question, quel que soit le domicile du défendeur, un consommateur domicilié dans un État membre peut intenter une action devant le tribunal de son domicile.

Dans son article 15, le règlement Bruxelles I prévoyait déjà une règle protectrice des consommateurs, mais elle ne s’appliquait pas lorsque le défendeur était domicilié hors de l’Union européenne. Le juge saisi devait, dès lors, appliquer le droit commun de son pays pour déterminer le tribunal compétent. Désormais, le règlement Bruxelles I bis assure cette possibilité pour tout consommateur.

Au cas par cas

En s’inscrivant sur Facebook et en acceptant ses clauses d’utilisation, l’utilisateur noue une forme de contrat avec le réseau social. La question de savoir si la clause attributive de compétence désignant les tribunaux californiens comme seuls compétents peut être considérée comme abusive doit être appréciée au cas par cas par les droits nationaux, l’article 6 du règlement européen ne permettant pas de répondre à ce cas de figure.

Me Grosjean en conclut: «Le juge luxembourgeois, par un raisonnement analogue à celui du juge français, pourra appliquer son droit national aux clauses abusives et considérer que celle qui désigne les tribunaux de l’État de Californie est nulle. Suivant cette logique, le consommateur pourra intenter une action devant la juridiction du lieu où il est domicilié.»