Le livre «I’m not a refugee», publié par Maison Moderne,  reprend au total 17 portraits de réfugiés qu’a réalisés Frédérique Buck. Avec des photos de Sven Becker et Mike Zenari. (Photo: Maison Moderne)

Le livre «I’m not a refugee», publié par Maison Moderne, reprend au total 17 portraits de réfugiés qu’a réalisés Frédérique Buck. Avec des photos de Sven Becker et Mike Zenari. (Photo: Maison Moderne)

Madame Buck, vous êtes à la tête du projet «I’m not a refugee». Pouvez-vous tout d’abord nous rappeler comment est née cette initiative?

«Elle est née dans ma tête, après avoir constaté que le traitement de la crise migratoire était assez mal amené par les médias en général, notamment du point de vue de l’image. Cela a provoqué des craintes chez les Européens et déshumanisé en même temps ces réfugiés, également dans ce qui a été écrit sur eux.

En tant que communicante, je me suis demandé comment je ferais si Caritas, la Croix-Rouge ou Amnesty me demandaient une campagne de sensibilisation. J’ai donc planché sur cette question, et c’est ainsi que j’ai lancé le projet.

L’objectif a été de réhumaniser les réfugiés via des textes plutôt longs et des photographies, le tout en mode portraits.

Parce qu’en fait je suis d’avis – et je ne suis pas la seule – que réfugié c’est comme gaucher, ça ne veut rien dire sur la personne qui est ainsi qualifiée. Et beaucoup de réfugiés se sentent très mal à l’aise par rapport à ce qualificatif qui est plutôt d’ordre administratif ou légal, mais surtout très déshumanisant.

Un site internet ne suffit pas pour sensibiliser.

Frédérique Buck

De manière pratique, comment vous y êtes-vous prise?

«J’ai beaucoup lu sur ce qui se faisait à l’étranger et je suis tombée par hasard sur un site réalisé par des graphistes suédois et intitulé iamnotarefugee.com.

Malgré que son contenu soit assez sommaire, j’ai trouvé l’idée intéressante. Je me suis donc adressée à ces graphistes et leur ai demandé s’il était possible d’adapter le site à mes besoins, ce qu’ils ont accepté, avec enthousiasme.

Et donc je me suis mise à chercher des personnes intéressées à raconter leur histoire et j’ai tout de suite – sans aucun soutien financier – lancé cinq premiers portraits en même temps, en mai 2016.

J’ai demandé au photographe Sven Becker s’il pouvait les portraitiser, en lui expliquant mon projet en deux minutes. Il a dit oui sans hésiter, et c’est comme ça qu’on a commencé!

Après, j’ai soumis le projet à l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte qui l’a retenu dans le cadre de son projet mateneen (ensemble – ndlr) et qui le co-subventionne aujourd’hui.

Je l’ai aussi soumis à Mike Koedinger, CEO de Maison Moderne, qui m’a aussitôt proposé d’être notre partenaire média.

Techniquement, nous avons un site internet. Mais un site ne suffit pas pour sensibiliser. Raison pour laquelle il est lié à une page Facebook qui compte 4.600 followers aujourd’hui et, via les réseaux sociaux, nous arrivons actuellement à sensibiliser 25.000 personnes par portrait. Via la newsletter de Paperjam.lu, cela en fait près de 30.000 de plus. Nous en sommes donc aujourd’hui à plus de 50.000 personnes qui nous suivent.

Derrière chacun de ces portraits en ligne, il y a un bouton ‘connect’ qui permet à l’internaute de prendre contact avec le ‘réfugié’ par mail. C’est un peu la clé du projet, c’est un peu ce que je fais du matin au soir: connecter ou mettre en relation les bonnes personnes. Cela va donc bien au-delà d’une simple campagne de sensibilisation.

Frédérique Buck a rédigé ses premiers portraits en mai, l’an dernier.

Combien de portraits avez vous déjà réalisés?

«18 ont été bouclés, et il y en aura 25 au total.

Et aujourd’hui, seconde étape de votre projet, il y a un livre…

«Oui. Nous avons décidé de publier un livre pour toucher davantage de personnes puisque tout le monde n’est pas abonné aux réseaux sociaux. Les personnes qui ne sont pas connectées sont moins sensibilisées, moins informées, et donc on va aller chercher de nouveaux publics.

Le livre, dont les bénéfices de la vente iront à l’asbl Catch a Smile – active dans des camps de réfugiés en Grèce, en France et en Serbie –, est en anglais et on travaillera sur une version en allemand si on obtient un financement. On a choisi l’anglais parce que je ne m’imaginais pas sortir des textes sur des personnes qui ne seraient pas à même de les lire.

Le livre reprend les 18 portraits déjà réalisés?

«Non, 17! C’est intéressant, parce qu’il y a tout de même une personne qui n’a pas souhaité y figurer, car, tout simplement et je le comprends très bien, il en a marre d’être catégorisé comme réfugié. Il a trouvé du travail, il a un contrat, et il veut vivre sa vie comme une personne normale.

Nous recherchons d’autres familles souhaitant ouvrir leur domicile à des réfugiés.

Frédérique Buck

En quoi consistera la séance de dédicaces qui aura lieu ce samedi dans le cadre du Festival des migrations qu’organise le Clae?

«J’ai cocréé un autre projet, ‘OH! Open Home - Oppent Haus’ et avec ‘I’m not a refugee’, nous aurons un stand à ce festival. Ce samedi à 17 heures, Sven et moi dédicacerons ce livre en présence de certaines personnes portraitisées et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, Jean Asselborn, qui a signé la préface de cet ouvrage.

Le ministère des Affaires étrangères va acquérir 10 exemplaires du livre par ambassade luxembourgeoise. Ce qui constitue pour nous une reconnaissance importante et un honneur de taille. En effet, la thématique de la migration forcée touche le monde entier, les histoires sont universelles.

J’organise aussi ce dimanche à 14 heures, toujours au Festival des migrations, une table ronde sur la thématique de l’engagement citoyen dans l’inclusion des réfugiés. Nous serons à plusieurs à débattre sur l’importance de cet engagement, dont notamment Serge Tonnar (Mir wëllen Iech ons Heemecht weisen asbl), Martine Neyen (appel à projets mateneen), Julia Gregor (Catch a Smile asbl), ainsi que Marianne Donven et Pascal Clement (OH! Open Home).

Parlez-nous un peu de «OH! Open Home - Oppent Haus»...

«C’est une plateforme citoyenne visant à promouvoir l’accueil de réfugiés et de demandeurs de protection internationale dans des familles résidant au Luxembourg. Elle sensibilise, informe, met en relation des personnes réfugiées et des particuliers et surtout accompagne ces processus.

Au cours des derniers mois, quelque 140 réfugiés ont postulé pour rejoindre une famille. Ils sont 26 à avoir été accueillis à ce jour. Nous recherchons donc d’autres familles souhaitant ouvrir leur domicile.

Il faut continuer à batailler contre les replis populistes.

Frédérique Buck

Que sont devenues toutes ces personnes dont vous avez tiré le portrait?

«Celles que j’ai portraitisées en mai et en été ont pratiquement toutes obtenu leur statut de réfugié. C’est une étape importante dans le processus d’intégration, car tant qu’elles n’ont pas ce statut, elles n’existent qu’en pointillés. Elles sont en suspens. C’est une période difficile. Il y a donc eu de gros soulagements.

Je suis toujours en contact avec elles. Pas avec toutes, mais avec celles qui le souhaitent. Notamment pour les mettre en contact avec des personnes susceptibles de leur ouvrir une porte.

Elles ont ou recherchent un travail. Deux ou trois attendent d’obtenir leur statut. Et il y a eu un refus de statut aussi, pour lequel la procédure est en appel…

Quelle suite comptez-vous donner à cette initiative?

«Je travaille pour mon pays. J’aimerais qu’il reste ouvert, diversifié et coloré. Pour cela, il faut continuer à batailler contre les replis populistes. Il faut sensibiliser et rapprocher les gens. Dans ce sens, je suis très contente d’avoir été approchée par le Lycée Ermesinde, à Mersch.

J’y fais la curation de cinq semaines de projets autour de la problématique des réfugiés.

En clair, on aura notamment là-bas, en avril, une exposition de 30 photos de Sven Becker tirées de ‘I’m not a refugee’. Elle sera également présentée dans le courant de cette année au siège de l’Unesco à Paris.

Je vais aussi organiser le 26 avril, toujours au Lycée Ermesinde, une importante conférence – sur le thème «Quel avenir pour la politique européenne en matière d’immigration forcée dans le contexte de la montée des nationalismes?» – avec François Gemenne, qui est politologue, professeur à Sciences Po et spécialiste des migrations, et Jean Asselborn.

Quand j’aurai terminé les portraits de ‘I’m not a refugee’, je débuterai – en juillet – un autre projet très créatif sur la géographie subjective avec des enfants réfugiés à Dudelange.

Et je travaille également sur un documentaire, toujours sur la même thématique.

Comment jugez-vous la politique migratoire du pays? Ce qui y est fait officiellement?

«Le Luxembourg est un des premiers pays européens pour l’accueil de réfugiés par tête d’habitant. C’est une facette du nation branding inédite et importante.

Nous avons, comme d’ailleurs tous les pays membres de l’Union européenne, le devoir de suivre nos engagements en ce qui concerne les relocalisations et le resettlement. Or, les frontières à la migration forcée pointent aux quatre coins de l’Europe avec la montée des nationalismes.

Le Luxembourg est un pays ouvert et respectueux de ses engagements. Même si nous pourrions être plus innovateurs en matière d’intégration.»