Dorothée Vincey, avocat, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Dorothée Vincey, avocat, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

La loi du 23 décembre 2016[1] (la Loi) réforme en profondeur l’horaire mobile[2] et le Plan d’Organisation du Travail (POT)[3], et notamment la manière dont les heures supplémentaires sont à calculer.

Dans ces cadres flexibles[4], les salariés à temps plein[5] peuvent être occupés au-delà de 8 heures par jour et 40 heures par semaine[6], sans que cela ne déclenche de paiement majoré pour heures supplémentaires, à condition que la durée hebdomadaire moyenne de travail, calculée sur la période de référence, ne dépasse pas 40 heures par semaine[7]. En d’autres termes, toute heure dépassant 8/40 heures de travail n’est pas toujours à qualifier d’heure supplémentaire, si elle est compensée par un repos équivalent au cours de la période de référence.

L’une des principales nouveautés[8] du POT concerne le calcul des heures supplémentaires, qui s’effectue désormais cumulativement sur plusieurs niveaux, en fonction des situations.

1. Pour toute période de référence, quelle que soit sa durée, les heures de travail dépassant, à la fin de chaque période de référence, une moyenne de 40 heures par semaine, sont des heures supplémentaires. Dans ce cadre:

  • Seule la moyenne des heures prestées en fin de période de référence est prise en compte;
  • N’est pas pris en compte le fait qu’à la fin d’un mois spécifique, au cours de la période de référence, le salarié a éventuellement dépassé un certain seuil d’heures de travail cumulées.

2. Un niveau additionnel de déclenchement des heures supplémentaires est prévu, lorsque la période de référence est de plus d’1 mois:

  • Si la période de référence est supérieure à 1 mois et de maximum 3 mois: les heures de travail cumulées dépassant, à la fin de chaque mois, 12,5% de «la durée de travail mensuelle normale légale» sont des heures supplémentaires, et ce même si au cours du mois suivant, au sein de la même période de référence, les heures en plus sont le cas échéant compensées par un repos équivalent.
  • Si la période de référence est supérieure à 3 mois et de maximum 4 mois: les heures de travail cumulées dépassant, à la fin de chaque mois, 10% de «la durée de travail mensuelle normale légale» sont des heures supplémentaires, et ce même si au cours du mois suivant, au sein de la même période de référence, les heures en plus sont le cas échéant compensées par un repos équivalent.

La notion de «durée de travail mensuelle légale normale»[9] n’est pas définie expressément en tant que telle dans le Code du travail[10], et n’est pas précisée dans le projet de Loi.

L’exposé des motifs du projet de Loi indiquait que «par rapport à une moyenne hebdomadaire de 40 heures par mois, cela équivaut à 45 heures respectivement 44 heures. Toute heure travaillée au-delà de la moyenne de 45 respectivement 44 heures sur un mois est automatiquement compensée comme heure supplémentaire».

Certes, si l’on raisonne sur une moyenne hebdomadaire, mais quid de la notion de «durée de travail mensuelle légale normale»?

Cette durée est-elle à calculer en fonction des jours effectivement travaillés chaque mois, ou sur une valeur théorique mensuelle, i.e. sur base de 173 heures?

Pour la Chambre de commerce et de la Chambre des métiers:«La durée du travail mensuelle «normale» peut soit varier d’un salarié à un autre (elle correspond alors à la durée effective de travail pour le salarié concerné et doit donc être calculée individuellement par mois), soit correspondre à la valeur théorique de 173 heures par mois avec pour conséquence que les mois plus longs vont générer automatiquement un nombre plus élevé d’heures supplémentaires par rapport à un mois plus court (en présence des mêmes activités), ce qui rend toute gestion impossible»[11].

Selon notre compréhension, la première interprétation serait à retenir car la durée de travail mensuelle serait ainsi définie sur base des 8h/40h définies par la loi, appliquées aux jours ouvrables de chaque mois[12].

La question est importante, car les heures supplémentaires ne seront pas déclenchées au même moment, en fonction des interprétations adoptées.

3. Une 3ème analyse est à effectuer au niveau du planning lui-même, et ce quelle que soit la durée de la période de référence. La notion d’évènement imprévisible est supprimée, au profit d’un délai de préavis de 3 jours de communication au salarié du POT modifié à l’initiative de l’employeur. En cas de non-respect de ce délai:

  • le décalage des horaires de travail de plus de deux heures entre le POT initial et le POT modifié, sans augmentation de la durée du travail initialement prévue, entraîne des majorations de salaire de 20%, qui sont considérées comme des heures supplémentaires[13] au sens de la législation fiscale et en matière de sécurité sociale;
  • une augmentation de la durée du travail, y compris journalière, déclenche en principe le paiement d’heures supplémentaires[14].

Les tribunaux auront certainement à se pencher sur ces problématiques complexes.

 

[1] Loi du 23 décembre 2016 concernant l’organisation du temps de travail et portant modification du Code du travail (notamment nouveaux art. L.211-6 et L.211-7 du Code du travail), publiée au Mémorial A n°271 du 27 décembre 2016, entrée en vigueur le 1er janvier 2017 («la Loi»).

[2] L’horaire mobile est un système d’organisation du travail qui permet à chaque salarié d’aménager au jour le jour la durée et l’horaire individuel de son travail, dans le respect de la loi et des règles internes définies par l’employeur. L’horaire mobile n’est pas traité dans le présent article.

[3] Le POT permet à l’employeur de faire varier la durée du travail sur une période de référence, selon des horaires définis à l’avance dans un planning. 

[4] Le calcul des heures supplémentaires en horaires fixes est différent car il s’effectue de manière fixe (en principe, heures entre 8 et 10 heures de travail par jour et heures entre 40 et 48 heures de travail par semaine).

[5] Les seuils de déclenchement des heures supplémentaires pour les temps partiels sont définis par l’article L.123-5 du Code du travail. En cas d’intégration de salariés à temps partiel dans un POT, l’article L. 211-7 du Code du travail leur est applicable (article L.123-1 (4) du Code du travail).

[6] Tout en respectant la durée maximale de travail, comme les temps de repos obligatoires, à savoir: 10 heures au maximum par jour, 48 heures au maximum par semaine, repos journalier de 11 heures consécutives au minimum, repos hebdomadaire de 44 heures consécutives au minimum (ou repos compensatoire).

[7] Article L.211-6 (1) du Code du travail. Il est loisible aux entreprises de prévoir un temps plein d’une durée de travail inférieure à 40 heures par semaine.

[8] Ces nouveautés s’entendent au sens de cet article hors négociation d’une Convention Collective de Travail (CCT).

[9] La «durée du travail mensuelle normale» peut être prévue par CCT.

[10] Seules les durées normales journalière (8 heures) et hebdomadaire (40 heures) de travail sont expressément prévues par le Code du travail.

[11] Avis commun du 21 octobre 2016, n°7016/02, relatif au projet de loi concernant l’organisation du temps de travail et portant modification du Code du travail. 

[12] Le Code du travail ne fait pas référence aux 173 heures par mois pour la détermination des heures supplémentaires. Cette valeur théorique n’étant prévue que pour le calcul de certains avantages (ex: rémunération du salaire pendant le congé annuel – art. L.233-14 du Code du travail).

[13] Ces heures sont compensées à raison de 1,2 heure pour une heure travaillée (art. L.211-7 (3) §2 du Code du travail).

[14] L’article L.211-7 (3) alinéa 1er du Code du travail prévoit que le travail presté au-delà des limites fixées par le POT pour la journée, la semaine ou le POT entier n’est pas à considérer comme heure supplémentaire, uniquement lorsque l’employeur respecte un délai de prévenance d’au moins 3 jours. A contrario, ce travail devrait donc en principe constituer une heure supplémentaire, lorsque ce délai n’est pas respecté. L’alinéa 2 du même paragraphe ne prévoit une exception à ce principe que lorsque le changement n’impacte que l’horaire de travail, sans augmenter les heures initialement planifiées.