Le Lux Future Lab est un écrin d’accueil pour des entreprises qui débarquent au Luxembourg. (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Le Lux Future Lab est un écrin d’accueil pour des entreprises qui débarquent au Luxembourg. (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Deux acteurs de carrure mondiale qui s’allient stratégiquement, avec le Grand-Duché pour point de convergence de leur développement. À gauche, Rakuten, plateforme de e-commerce d’origine japonaise, avec quartier général au Luxembourg depuis 2008 et qui y développe, depuis l’an dernier, son infrastructure IT. À droite, Yapital, nouveau système de paiement électronique porté par le groupe allemand Otto (spécialisé dans la vente par correspondance), qui se déploie avec ambition depuis le Luxembourg. Entre les deux, une synergie actée depuis quelques semaines à peine, pour permettre aux clients du premier de payer via le système du second. Ce n’est qu’un exemple, emblématique, du véritable trampoline que constitue le pays qui, parmi ses axes de développement, a misé sur le secteur ICT.

Bingo! Depuis quelques années – singulièrement depuis 2008-2009 – et avec un débit accéléré ces derniers mois, c’est un véritable flot, dense, varié. Le secteur ICT cultive ses avantages, le moindre n’étant pas son côté «no limit». «Au niveau européen, il n’existe pas encore de définition précise du secteur ICT», dit-on au Statec, qui s’évertue cependant à quantifier l’ampleur et l’impact des entreprises. «Nous utilisons la nomenclature européenne NACE pour le classement par branches d’activité.» Pour tenter de peser le secteur, il faut donc piocher dans l’existant, repérer les activités classables dans ce tiroir très large et, en parallèle, essayer de différencier par exemple les géants planétaires qui passent par le Luxembourg financier de ceux qui s’appuient sur les atouts multiples du pays pour s’implanter et croître vers des horizons multiples.

Un inventaire à la Prévert!

Ainsi, on croise du monde et du beau. La «digital security» accueille notamment Regify, Lumension, Symantec, McAfee. La VoIP (voice over Internet Protocol) court dans la foulée de Skype, Dellmont ou Nymgo. Dans le gaming, on retrouve des éditeurs comme Zynga, Kabam, Innova, OnLive, BigFish, Moyasoft et Bigpoint. Dans la gestion de contenu en ligne, il y a les e-bookstores (Sony, Kobo, Barnes & Noble, Bilbary, TEA…), la musique (7 Digital Europe, Pleimo), la vidéo à la demande ou VOD (Netflix, Mubi), avec une spécialité qui prend du corps, dans les contenus pour adultes (comme DuoDecad ou le sulfureux empire Manwin – voir encadré page 32)… Sans occulter évidemment ceux qui touchent un peu à tout, comme iTunes, MS Digital Download (groupe Media-Saturn) ou bien sûr Amazon. Ces listings – révélateurs, à défaut d’être exhaustifs! – peuvent aussi s’attarder sur des sous-secteurs aussi divers que les bouquets satellites, les éditeurs de logiciels en tous genres, le «dating and meeting», les réseaux sociaux, le conseil et la recherche, la banque ou le trading en ligne (lire aussi l’article en page 86), la gestion de noms de domaine ou de la propriété intellectuelle, l’hébergement de données, les télécommunications ou encore, bien entendu, les très prometteurs «online and digital payments»…

Dans ce véritable inventaire à la Prévert, on peut aussi isoler quelques cas qui résument bien le joyeux et grand mélange du secteur ICT. Sait-on que le leader mondial de la généalogie, Ancestry.com, a sa base européenne au Luxembourg? Qu’un acteur comme Play.com, un e-commerçant bien placé aux États-Unis et au Royaume-Uni et qui appartient à Rakuten, y est logé aussi? Comme la plateforme de billetterie Stubhub, filiale de eBay? Ou la librairie en ligne danoise Saxo, qui fonctionne avec le hub européen d’Amazon «made in Luxembourg»? Ou le géant multimédia planétaire Getty Images? Ou le leader mondial du online dating, Match.com, qui a notamment avalé le célèbre Meetic via un véhicule luxembourgeois?

Start-up ou tête de pont d’une multinationale en quête d’optimisation, on trouve un peu de tout. On trouve même de plus en plus de substance. Même si ces spécialistes du virtuel n’ont en général pas besoin d’énormes plateaux grouillant de main-d’œuvre, les annonces de recrutement tournent à plein régime. Bémol: faute de recul et de données, il est délicat d’évaluer, fût-ce à la louche, le nombre d’emplois que l’ICT a créés ces dernières années dans le pays. Sur base des chiffres de 2008 (fatalement dépassés!), le ministère de l’Économie et Luxinnovation évoquent près de 6% de la population active travaillant dans le secteur privé de l’ICT, sans compter les personnes actives dans les départements informatiques et employées directement par d’autres secteurs. Les mêmes sources voient l’importance du secteur à son poids grandissant dans l’économie luxembourgeoise, évalué à près de 7% du PIB – «C’est une des contributions les plus élevées en Europe» – pour plus de 1.800 entreprises (données de 2010 exploitées par le Statec, voir tableau page 32).

Comme les temps sont plutôt à la disette du côté de l’embauche globale, et que ces entreprises du vaste secteur ICT sont aussi génératrices d’une incontestable valeur ajoutée (quoique, deuxième bémol, difficilement mesurable en termes d’impact financier pour cause de données confidentielles), il n’y a aucune raison que le Luxembourg s’arrête au milieu du gué stratégique.

L’attractivité et l’optimisation, en surmultipliée

Luc Frieden, ministre qui, à son statut de grand argentier du pays, a ajouté récemment la charge des Communications et des Médias, ne dit rien d’autre dans le débat sur la compétitivité. Il souligne notamment un objectif: «maintenir un climat d’affaires stable et propice à la création d’emplois générateurs de croissance, tout comme de rentrées fiscales appropriées par le biais de l’impôt sur le revenu et de l’impôt indirect de la production des biens et services». Porteur de la casquette des Finances, il rejoint directement «une réflexion permanente sur l’économie du futur et sur la fiscalité de celle-ci», en ce compris «l’économie numérique». Limpide, Luc Frieden insiste: «La propriété intellectuelle ainsi que l’informatique y prendront une part de plus en plus importante. Dès lors, le gouvernement procède à une réflexion en vue de l’adaptation de l’article 50bis relatif au traitement fiscal de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, un processus de réflexion est en cours sur les possibilités d’améliorer l’encadrement fiscal des entreprises innovantes et notamment la mise initiale de capital que ces start-up requièrent.» Et le registre fiscal entend, de plus, donner un coup de pouce aux «experts qui viennent pour une durée limitée renforcer depuis l’étranger le savoir-faire de notre économie, largement tributaire des secteurs à haute valeur ajoutée nécessitant souvent le recours à une main-d’œuvre très qualifiée».

Le ministre enfonce le clou du potentiel de croissance à exploiter dans les domaines électroniques, considérés comme des facilitateurs ou des accélérateurs de croissance pour d’autres domaines. «Les entreprises qui sont à la recherche d’un site pour organiser efficacement leur présence en Europe procèdent souvent à une analyse comparative segmentée en quatre volets, explique Luc Frieden. Ceux-ci correspondent à une logique de business process optimisation».

Une politique orientée business

Le gouvernement souhaite positionner le Luxembourg comme un pôle d’excellence pour cette optimisation, avec un accent particulier «sur l’excellence des réseaux de communication et des centres de données sécurisés». De quoi laisser un vaste champ des possibles aux futures implantations; de quoi alimenter la coulée continue d’entreprises et sociétés liées à l’ICT qui choisissent le Luxembourg pour y poser leurs valises.

L’attractivité en surmultipliée permet, du coup, à d’autres acteurs de se placer dans le circuit, en amont comme en aval. BGL BNP Paribas, par exemple, s’est positionnée en facilitateur d’affaires et en pépinière d’entreprises, via les centres et bureaux fonctionnels du Lux Future Lab. Sur le versant politique, le ministère de l’Économie et du Commerce extérieur joue la carte de la promotion tous azimuts. L’ICT luxembourgeoise se retrouve en vitrine dans des foires et salons dédiés. Et 2012 a vu des missions en Israël, aux États-Unis, au Canada, en Chine, au Japon, en Corée du Sud, à Taiwan, mais aussi en Europe (Allemagne, France, Malte ou Pays-Bas), déboucher sur des contacts concrets dans le online gaming, le e-commerce, le paiement électronique ou les télécommunications.

Dans son rapport 2012, le ministère note que «presqu’une dizaine de nouveaux projets se sont réalisés en 2012» et cite «l’établissement de la société russe Alawar, de la coréenne Moyasoft, des canadiennes Kobo et Opentext, de l’américaine Barnes & Noble, de la britannique Play.com, de l’allemande Bigpoint ou encore l’extension de la présence des opérateurs comme Level3 et TeliaSonera. Des sociétés déjà établies, comme Nexon, Kabam et Innova, ont renforcé leur présence soit par une augmentation de leurs effectifs, soit par la mise en place d’une infrastructure technologique supplémentaire.»

Et pour 2013? «Nous avons des projets dans le pipeline, de nouveaux prospects, mais aussi des projets d’entreprises déjà établies au Luxembourg qui réaliseront des extensions de leurs activités», ajoute Étienne Schneider, ministre de l’Économie et du Commerce extérieur.

«Il faut aussi comprendre que les missions de prospection économique ne sont souvent que la pointe de l’iceberg, observe ce dernier. Il y a aussi un travail de préparation voire de démarchage, pour détecter des entreprises qui ont des projets pour le marché européen. Cette prospection initiale est réalisée par nos bureaux LTIO (Luxembourg Trade and Investment Offices) en collaboration étroite avec les équipes en charge du secteur ICT au sein de mon ministère et du Service des médias et des communications.» Étienne Schneider revendique aussi l’effet boule de neige. «Nous misons toujours sur un mix entre PME et gros acteurs. Il est vrai qu’il est devenu plus difficile d’attirer encore d’autres gros acteurs, puisque beaucoup sont déjà établis au Luxembourg! Mais nous les encourageons à étendre leur présence et leurs activités dans notre pays. En outre, ils sont les meilleurs ambassadeurs et n’hésitent pas, dans des séminaires par exemple, à expliquer pourquoi ils ont choisi le Luxembourg pour se développer.»

Le Luxembourg diversifie le panier en misant sur toutes les pistes de l’ICT. «On se positionne aussi particulièrement bien pour tout ce qui a trait à la sécurité, poursuit le ministre Schneider. Nous vendons le Luxembourg comme secure hub pour le cloud computing. La modification du Code de commerce n’est qu’un élément parmi d’autres, notamment l’accès à des datacenters certifiés Tier 4 (hautement sécurisés), la législation sur les PSF, les connexions redondantes en fibres des zones d’activités économiques et j’en passe.»

Il y a donc bien un «package Luxembourg» et le gouvernement parie sur un pays référence en Europe, «où les entreprises peuvent optimiser les procédures à tous les niveaux: autorisations, permis de travail et de séjour, cadre réglementaire et fiscal, protection des données, etc.», dit encore Étienne Schneider. «Lors du débat du 16 mai à la Chambre des députés, j’ai fait des propositions pour la compétitivité, pour offrir des services que je qualifierais de ‘lean government for process and procedure optimisation’ aux entreprises et écouter les recommandations reçues. L’idéal serait de profiter d’un réseau où tous les acteurs (ministères, administrations, CSSF, CNPD, chambres professionnelles…) travaillent étroitement pour faire avancer rapidement l’implantation d’un nouveau projet, à tous les niveaux, et assister aussi les entreprises de manière proactive dans leur développement, une fois celles-ci établies au Luxembourg. Ainsi, nous pourrons créer une véritable image du Luxembourg vers l’extérieur dans le sens ‘more business, less bureaucracy’.»

Car être online, c’est aussi être en ligne avec ses objectifs.

Fedil ICT

Un plan d'action

Quelles niches de compétences explorer au Luxembourg? Comment renforcer l’écosystème local en adaptant l’existant? Comment booster la dynamique de l’entreprise, son financement, ses débouchés, ses synergies, dans le secteur ICT? Fedil ICT, task force de la fédération des industriels, entend apporter des réponses et des pistes exploitables à échéance raisonnable, pour donner un coup d’accélérateur. «On travaille sur un plan d’action», confirme Romain Lanners, secrétaire général de Fedil ICT. Et les entrepreneurs sont allés s’inspirer des bonnes pratiques, dans la Silicon Valley et à Seattle (fief de Microsoft). La mission voulait «comprendre la dynamique de cette Silicon Valley, que d’aucuns prétendent à bout de souffle, mais que l’on a sentie en ébullition permanente».

Réputation

Risque d’effets pervers

L’un ou l’autre exemple – Manwin en tête – a démontré qu’il pouvait y avoir des effets pervers. Le Luxembourg, sans se voiler la face, court un «risque de réputation», en se révélant terre d’implantation pour de grosses plateformes web spécialisées dans les «contenus pour adultes». «Il faudra être particulièrement vigilant à ne pas démarcher activement des entreprises qui risquent de nuire à notre réputation, admet volontiers le ministre Schneider. En revanche, nous nous trouvons dans une économie de marché et nous ne pouvons pas interdire des activités qui ne sont pas contraires à la loi.» Le ministre se dit sûr que ses services «ne contacteront pas de manière proactive de telles entreprises. Les entreprises cibles de notre politique de prospection ne tombent pas sous ce champ. Nous sommes aussi très prudents dans le choix des prospects afin de ne pas risquer la violation de la législation sur la protection des données. De plus, nous travaillons, dans ces cas, étroitement avec la Commission nationale pour la protection des données.»