Yann et Roland Munhowen travaillent de concert pour faire évoluer une marque presque centenaire. (Photo: Jessica Theis)

Yann et Roland Munhowen travaillent de concert pour faire évoluer une marque presque centenaire. (Photo: Jessica Theis)

Messieurs Munhowen, pouvez-vous revenir sur l’histoire de la Moutarderie et ses liens avec votre famille?

Roland Munhowen: «La maison Munhowen existe depuis 1908 et était spécialisée dans le commerce de boissons, avec notamment l’exploitation des champagnes Mercier, ainsi que la production, avec une cave à vin, une vinaigrerie, du cidre... D’un autre côté, la Moutarderie de Luxembourg a été créée en 1922 au Pfaffenthal par un Alsacien et un Luxembourgeois. En 1976, mon grand-père et mon père ont racheté la Moutarderie, puis en 2000, mon fils et moi l’avons reprise à notre nom en la sortant du groupe Munhowen lors de son intégration à la Brasserie Bofferding.

La plupart des gens ignoraient que la Moutarderie était liée à Munhowen...

R. M.: «Ça ne va pas de mélanger le vin que nous distribuions avec le vinaigre nécessaire à la moutarde! À l’époque, nous étions deux sur le marché luxembourgeois. Munhowen avait une autre marque, Moutarde royale, qui ne représentait que 3% du chiffre d’affaires de son activité. Quand nous avons acheté la Moutarderie de Luxembourg, nous avons gardé le nom car il était largement leader du marché. Sa part de marché était importante, sans doute 60-65%, ce qui rendait le produit intéressant.

Comment développer cette part de marché?

R. M.: «C’est tout le défi que nous avons relevé. On imaginait bien que les gens n’allaient pas manger plus de moutarde et qu’il fallait dès lors diversifier les produits. Nous avons donc lancé une moutarde forte, puisque la moutarde traditionnelle luxembourgeoise est assez légère, puis une moutarde à l’ancienne. Ces deux produits restaient cependant marginaux, l’Original représentant plus de 90% de notre chiffre d’affaires. Pour poursuivre la diversification, il y a 18 ans, nous avons commencé à faire de la mayonnaise. Cela suppose une autre méthode de production. Nous avons lentement gagné des parts de marché. En mars 2015, mon fils a lancé en plus un ketchup et une andalouse.

Le verre à moutarde n’avait pas changé depuis 50 ans, un coup de jeune était indispensable.

Yann Munhowen

Le succès est-il au rendez-vous?

Yann Munhowen: «Face aux grandes marques internationales, surtout pour le ketchup, ce n’est pas facile de faire sa place. Mais on voit quand même de plus en plus de clients s’intéresser à ces produits. On avait acheté de quoi faire 5 tonnes la première année et on en est déjà à presque trois fois plus.

Parallèlement à ces nouvelles sauces, la Moutarderie de Luxembourg a connu un changement assez radical d’image. Comment avez-vous envisagé ce tournant?

Y. M.: «En fait, c’est le projet des nouvelles sauces qui nous a obligés à réfléchir à notre image et notre identité. On s’est aperçus que nos emballages étaient assez disparates et que nous n’avions pas de logo unique et clair. Le verre n’avait pas changé depuis 50 ans… Plutôt que d’ajouter encore de nouvelles étiquettes, nous avons voulu retravailler le tout et unifier notre corporate identity.

R. M.: «Par exemple, les étiquettes étaient totalement différentes entre la moutarde et la mayonnaise. Donc on ne savait pas que la mayonnaise venait de chez nous, alors que la moutarde marchait très bien.

Avez-vous travaillé avec une agence? Comment l’avez-vous choisie?

Y. M.: «Nous avons travaillé avec Plan K. On avait déjà travaillé avec eux quand on a lancé les sticks, ces petites portions individuelles de sauce. Ils avaient dû bien réfléchir à trouver une manière de communiquer sur une si petite surface et sur une ligne et non sur un verre rond.

R. M.: «J’avais aussi repéré leur site internet qui était original et efficace. On leur a laissé carte blanche pour nous faire différentes propositions en ayant toujours en tête de mettre en avant le côté artisanal et luxembourgeois. Les gens sont de plus en plus attachés à la fabrication locale.

Y. M.: «On a voulu quelque chose de simple, sans trop de détails. Nous avons pris notre temps pour décider, avec beaucoup d’allers-retours entre l’agence et nous. Un des points importants était de décider si on montrait l’utilisation (viande, barbecue, salades…) des sauces ou pas.

Comment avez-vous tranché?

Y. M.: «Des études de marché ont été faites pour comparer les différentes options: soit des images, soit des codes couleurs. Cela nous a permis d’opter pour le choix le plus simple, sans fioriture. Les étiquettes sont trop petites pour se laisser aller à ajouter plein de choses. La réflexion a dû aussi être menée sur les couleurs.

Quelles couleurs ont été adoptées?

R. M.: «Nous avons choisi du vert pour la moutarde, en souvenir des sceaux qui étaient destinés aux professionnels et qui ont été verts pendant les 30 dernières années. La moutarde forte est marquée par le rouge. La mayonnaise a eu un bleu frais pour rappeler le citron et un orange pour celle aux œufs. Nous avons voulu trancher avec les habitudes et éviter le rouge pour le ketchup. C’est pourquoi on y a mis un turquoise. Et pour l’andalouse, le violet.

Il y a aussi de nouveaux emballages?

Y. M.: «Nous avons choisi de nouveaux verres, plus faciles à étiqueter ainsi que les bouteilles à dosette. Les petites portions individuelles en sticks existent depuis deux ans et sont plutôt destinées au marché de la restauration. Elles sont quand même vendues en supermarché, surtout en été pour les pique-niques ou les barbecues…

Le rebranding s’est accompagné d’une vaste campagne de publicité. Quels supports avez-vous choisis?

Y. M.: «Pour la Moutarderie, c’était historique de faire une grande campagne comme cela. On n’avait pas du tout l’expérience. On a cherché des supports grand public et pas trop onéreux: les supports internet et mobile de RTL, les arrières de bus, tout en gardant de la presse grand public comme Revue ou Télécran.

R. M.: «On a aussi arrêté les pubs que l’on faisait à la télévision deux ou trois fois par an avec des comédiens de théâtre luxembourgeois parce qu’elles ne cadraient plus du tout avec notre image.

Y. M.: «Nos campagnes ont aussi mis en scène des personnages étrangers avec un message en allemand, français, anglais et portugais parce que nous avons constaté que les résidents étrangers nous connaissaient peu. Il était intéressant de les cibler pour élargir notre part de marché.

Vous avez aussi une page Facebook. En quoi est-ce important pour une entreprise telle que la vôtre?

Y. M.: «L’idée est d’élargir la cible vers des consommateurs plus jeunes et plus internationaux. Elle est gérée par l’agence et ils y postent des recettes qui utilisent nos produits. Cela va sans doute évoluer vers une direction plus humoristique. Sans oublier nos actualités, nouveautés…

Quelles sont les réflexions pour la suite de la communication?

Y. M.: «Avec l’agence, on réfléchit à de nouveaux axes, notamment autour de l’événementiel pour être présents par exemple au Rock-A-Field ou au ING Marathon.

Comment avez-vous choisi les nouveaux produits que vous alliez développer?

R. M.: «Ajouter d’autres variétés de moutarde était intéressant parce que c’était le même outil de production et un créneau que l’on connaissait bien. À l’époque, on avait aussi lancé cinq autres moutardes, à l’estragon, au miel, au piment d’orient… C’était une trop petite niche avec un résultat trop marginal pour continuer. Depuis cinq ans, en collaboration avec Naturata, nous avons créé une moutarde bio, sous leur branding. C’est la seule moutarde dont tous les ingrédients viennent du Luxembourg (les autres moutardes de la maison utilisent des graines qui viennent du Canada pour assurer la quantité, ndlr).

Et la mayonnaise?

R. M.: «L’idée est venue d’un ancien chef de production, en 1995. Les débuts ont été difficiles. On a dû investir dans de nouvelles machines et dans la distribution pour se faire une place dans des rayons déjà bien fournis, où on ne nous attendait pas. Notre recette était proche du goût allemand alors que les Luxembourgeois préfèrent la recette belge. Nous avons beaucoup travaillé pour faire évoluer cela et elle représente maintenant 3% de part de marché.

Vous avez aussi créé des produits en partenariat avec d’autres, comme tout récemment la moutarde au riesling avec Vinsmoselle. Comment se passent ces actions spécifiques?

R. M.: «On aime bien l’idée de développer des séries limitées. En général, c’est un partenaire qui vient nous voir avec une idée pour faire un produit avec de la moutarde. Il y a sept ans, à l’initiative d’une étudiante, Luxlait a fait un Kachkéis à la moutarde. Il y a deux ans, on a fait une moutarde à la bière avec Diekirch et donc maintenant, la moutarde au riesling. Beaucoup de gens nous approchent, mais on ne peut pas se lancer dans n’importe quel projet parce qu’on n’est pas équipés pour produire de petites quantités. Le minimum, c’est 2 tonnes.

On imagine bien que les gens ne vont pas manger plus de moutarde. Il faut alors diversifier les produits.

Roland Munhowen

Envisagez-vous de vous développer vers l’étranger?

Y. M.: «L’export représente à peine 0,5% de notre chiffre d’affaires. C’est assez difficile de percer ces marchés déjà très matures. Il faudra adapter les recettes, les étiquettes et allonger les dates limites de consommation. Parce que nous travaillons sans conservateurs.

R. M.: «Notre moutarde est un produit local, adapté au goût local. Pour le faire connaître ailleurs, il faudrait investir beaucoup dans les médias et pour entrer dans les rayons des grandes chaînes internationales. Cela dit, nous avons commandé de nouvelles machines qui vont nous permettre d’élargir la production pour être prêts à aller vers l’export.

Vous voyez loin!

R. M.: «Avec les nouvelles sauces, on doit de toute façon agrandir la capacité de production et de stockage. Comme on a encore de la place ici, on va pouvoir investir dans une machine qui permet de produire sept fois plus qu’avant. Avant de peut-être attaquer l’international quand nous serons prêts.»

Parcours
Tombé dans la marmite
Yann Munhowen représente la cinquième génération de la famille et il a très tôt eu l’occasion de se frotter au monde de l’entreprise.

«J’ai fait beaucoup de jobs de vacances au sein de Munhowen Distribution.» Après ses études à l’École de commerce et de gestion, il a rejoint la Moutarderie en 2000. «C’était le moment de la fusion avec Bofferding et de la séparation de mon père avec ses frères. Il y avait énormément de travail administratif et comptable que j’ai pu prendre en charge», se souvient-il. «Toute l’administration de la Moutarderie était chapeautée par Munhowen et c’était une aubaine pour moi d’avoir à mes côtés quelqu’un formé à la comptabilité et la gestion», renchérit son père. C’est ce qui lui a mis le pied à l’étrier et il n’a plus voulu en sortir: «J’avais envisagé de poursuivre mes études à l’étranger ou de commencer dans d’autres entreprises, mais le virus était pris.»