La Cellule de renseignement financier prendra en charge dès janvier deux nouvelles infractions primaires: la fraude fiscale aggravée et l’escroquerie fiscale aggravée. (Photo: Licence CC)

La Cellule de renseignement financier prendra en charge dès janvier deux nouvelles infractions primaires: la fraude fiscale aggravée et l’escroquerie fiscale aggravée. (Photo: Licence CC)

Avec 11.023 déclarations de soupçon traitées en 2015, les trois magistrats de la Cellule de renseignement financier ont absorbé 60% de travail en plus par rapport à l’année précédente. «Ce sont des chiffres énormes pour le pays mais ils reflètent la taille de la place financière: de plus en plus d’acteurs s’y installent pour notamment bénéficier du passeport européen», commente Michel Turk, premier substitut de la CRF.

Et comme la règle est que les sociétés doivent soumettre leurs déclarations de soupçon auprès de la CRF du pays où elles sont établies, quel que soit le lieu de résidence de la cible soupçonnée, toutes les entreprises ayant leur siège au Luxembourg doivent faire part de leurs soupçons auprès de la CRF luxembourgeoise. 

L’évolution des dossiers traités depuis 2009 dépend directement de la présence de deux acteurs majeurs du secteur des transactions en ligne, suivant l’explosion du commerce en ligne mais aussi les changements internes d’Amazon et Paypal. Le développement par le premier d’une plateforme de paiement en ligne (Marketplace) en 2013 a notamment fait rebondir un nombre de déclarations retombé à moins de 5.000 – en raison d’un changement d’algorithme chez Paypal – pour friser en 2015 le record établi en 2012. «Et nous en aurons encore plus en 2016», annonce le magistrat.

503 déclarations remises au Parquet

L’écrasante majorité des déclarations concernent le secteur financier avec 10.830 formulaires remplis contre 193 émanant des entreprises et des professions non financières désignées (avocats, experts comptables, marchands de biens ou encore notaires). Paypal pèse pour 57% des déclarations du secteur financier, devant les banques (38%) et les PSF (3%).

L’an dernier, 503 déclarations ont été transmises au Parquet économique, qui juge ensuite de l’opportunité de lancer des poursuites. Il arrive toutefois que l’entraide judiciaire internationale défaillante ne permette pas une instruction et que le dossier soit classé sans suite.

Les principales infractions dénoncées concernent les faux (48%) et la fraude (34%), en particulier à travers des virements illégitimes. Les cas de fraude décelés en 2015 portaient tout de même sur plus de 78 millions d’euros et les faux sur plus de 11,1 millions, devant la contrefaçon (8,5 millions).

«Nous avions averti les entreprises l’an dernier à propos des cas de personnes qui se font passer pour le directeur et demandent à un employé de débloquer des virements vers l’étranger», rappelle Michel Turk. «Malheureusement plusieurs entreprises n’ont pas mis de procédure interne en place et certaines ont dû fermer par manque de trésorerie» après avoir été victime de cette escroquerie.

Il faudra qu’on puisse coopérer avec l’Administration des contributions directes et l’Administration de l’enregistrement et des domaines.

Michel Turk, premier substitut

En 2015, 2% des dossiers transmis au Parquet concernaient le terrorisme et le financement du terrorisme, derrière le trafic illicite de stupéfiants et substances psychotropes (3%) et le faux monnayage (2%).

Si l’identité de près de la moitié des coupables reste inconnue, ne permettant pas d’alimenter les statistiques sur leur profil, le Grand-Duché et ses trois voisins concentrent entre un tiers et la moitié des personnes suspectées.

La CRF a par ailleurs procédé à 32 blocages de comptes, pour un montant de 308 millions d’euros, soit six fois plus que l’année précédente. Et soumis près de 9.900 demandes de coopération auprès d’États membres de l’UE dont la moitié émanaient du Royaume-Uni, alors que 316 demandes lui ont été adressées.

La charge de travail de la CRF ne devrait pas s’alléger dans les années à venir, avec notamment l’émergence de nouvelles infractions à la faveur de la réforme fiscale, prévue pour le 1er janvier 2017. La fraude fiscale aggravée et l’escroquerie fiscale aggravée tomberont en effet dans son escarcelle. «Si nous recevons des déclarations, il faudra qu’on puisse coopérer avec l’Administration des contributions directes et l’Administration de l’enregistrement et des domaines», souligne Michel Turk.

De nouveaux outils pour traquer Daech

Si le gouvernement avait promis un renforcement des effectifs dans le cadre de cette même réforme, tel n’est pas le cas pour l’instant. Les trois magistrats de la CRF, Michel Turk, Max Braun et Anouk Dumont, sont épaulés par cinq analystes financiers et quatre secrétaires, sans compter l’informaticienne détachée par le CTIE. Ils comptent toutefois beaucoup sur la nouvelle application numérique goAML qui sera déployée au 1er janvier, permettant aux différents acteurs financiers et non financiers de soumettre leurs déclarations de soupçon en ligne. Le gain de temps sera considérable pour la CRF, qui pourra en outre extraire sans peine des statistiques. Cerise sur le gâteau, les professionnels pourront transférer des données directement en format xml.

Dans un contexte marqué par la recrudescence des actes terroristes, de Paris en novembre 2015 à Bruxelles en mars dernier, la CRF est également active sur le front du financement du terrorisme. «La CRF avait initialement plutôt une mission de lutte anti-blanchiment mais depuis le 11 septembre, elle se porte davantage sur l’analyse des transactions financières qui permettent de perpétrer des attentats terroristes», rappelle la substitut Anouk Dumont. Le Gafi (Groupe d’action financière) et le réseau des CRF ont d’ailleurs développé des indicateurs spécifiques afin de déceler le financement d’activités terroristes et l’identification de combattants étrangers, Daech étant de toute évidence la première cible des investigations.

Ces indicateurs permettent d’analyser des transactions a priori innocentes comme les prestations familiales, les frais de location d’un véhicule ou encore de péage, afin de relever ce qui pourrait relever a posteriori de transactions liées aux opérations terroristes comme l’hébergement dans un hôtel près d’un lieu d’attentat par exemple. La CRF a transmis ces informations aux établissements de crédit et aux professionnels du secteur financier (PSF) afin de les sensibiliser à la question. «Les banques ont d’elles-mêmes vérifié les noms qui étaient dévoilés après les attentats», ajoute Michel Turk.