Pierre Zimmer, directeur, Centre des Technologies de l’Information de l’Etat (Photo: David Laurent/Wide)

Pierre Zimmer, directeur, Centre des Technologies de l’Information de l’Etat (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Zimmer, à quoi sert le Centre des Technologies de l’Information de l’Etat (CTIE) que vous dirigez?

«Le rôle du CTIE a changé après la fusion entre le Centre Informatique de l’Etat, qui travaillait principalement pour les administrations internes à l’Etat, et le service eLuxembourg, en charge de tous les projets qui relevaient d’Internet.

Lorsque nous sommes passés de projets de diffusion d’information sur le web à des projets interactifs et transactionnels, le principe de la fusion a eu un sens évident. Le développement de l’interaction entre le secteur privé, les citoyens et la puissance publique passe nécessairement par la communication entre des solutions back-end et des interfaces web.

Depuis le 1er mai, un autre service a été intégré au CTIE: le Service Central des Imprimés de l’Etat (SCIE). La logique ici aussi est évidente: il s’agit de faire entrer la dématérialisation des documents dans tous les processus de l’Etat.

Comment choisissez-vous les projets prioritaires?

«Une entreprise privée voit son activité guidée par son carnet de commandes, les opportunités d’affaires, l’enjeu financier, les gains de productivité qu’elle peut réaliser avec un projet informatique… Nous sommes dans une situation comparable. En effet, les enjeux centraux sont l’amélioration de l’efficience de l’administration et la création de nouveaux services pour les citoyens ou les entreprises. Il y a un autre point qui est souvent négligé: nous avons des lois qui changent, des directives européennes que nous devons intégrer et qui ont des conséquences sur les applications métier.

Ce sont ces critères qui nous permettent de déterminer nos priorités. Et comme ils sont nombreux, nous avons créé une équipe Project Management Office. Nous avons adopté un référentiel qui s’appelle Quapital-Hermes, que tous les chefs de projet de la fonction publique peuvent adopter. Il est en effet applicable dans toutes les conditions, pour tous les types de projets. Il propose un certain nombre de critères de fixation de priorités, et permet d’identifier les risques dans la réalisation du projet. Connaître les endroits où l’on risque d’échouer est un des meilleurs moyens de limiter les risques.
Nous voulons faire bien les choses, proprement. L’informatique est un outil au service de la stratégie. La stratégie, c’est le gouvernement qui la fixe. Nous, nous donnons des éléments aux différents ministères, pour leur permettre de fixer consciemment leurs objectifs, en les mettant en regard des enjeux.

Les projets se déroulent-ils facilement, sachant que les transactions en ligne nécessitent d’intervenir ‘profondément’ dans les systèmes d’information…

«Pour certaines transactions, il faut effectivement souvent revoir les fondements informatiques des systèmes. L’idée d’un guichet en ligne est de faciliter et d’accélérer les différentes tâches à accomplir, et donc de tout numériser et d’automatiser au maximum ce qui peut l’être. Ce sera le meilleur moyen de diminuer le temps de réponse et d’améliorer la qualité de traitement.

L’autre défi, pour faire évoluer le guichet, c’est de réussir à motiver le secteur privé pour qu’il transmette les informations sous une forme électronique adaptée au guichet.

Il y a encore trop souvent de ruptures du média en cours de traitement. Un citoyen qui remplit un formulaire électronique ne devrait pas avoir à scanner des documents papier et à les attacher à son dossier en ligne. Par exemple, pour garantir le succès d’une déclaration de revenus en ligne à grande échelle, il faudra avoir toutes les informations directement sous forme électronique.

A charge pour le citoyen, ensuite, de décider lesquelles il transmet sous forme purement électronique. L’idée, à terme, est de réussir à avoir une déclaration de revenus en ligne totalement pré-remplie, où le citoyen n’a plus qu’à vérifier les données et à signer électroniquement.

Le défi n’est pas que technologique. Il consiste également à trouver le moyen de motiver le secteur privé à franchir le pas. La solution la plus simple est de montrer la valeur ajoutée qu’il aura en retour, au-delà de la plus évidente que constitue l’élimination du coût du papier. L’inves­tis­sement à faire pour émettre des documents électro­niques peut être utilisé pour échanger entre différents secteurs: les assurances, les banques, la Sécurité sociale, l’Etat… En essayant de construire un standard national, nous pouvons servir de catalyseur pour motiver les différents acteurs à s’accorder sur un standard unique.
Une chose à bien comprendre, c’est que lorsque je parle de standard, je ne parle pas forcément de quelque chose de lourd et compliqué. Je parle d’une structure de fichiers types, une manière de sécuriser les échanges, sans forcément rentrer dans des normes qui nécessitent des milliers de pages d’explications.

Avec de telles procédures, toutes les questions de sécurité sont évidemment essentielles…

«Effectivement… la protection des données est une question essentielle. A chaque procédure du guichet que nous mettons en place, nous faisons réaliser des audits par des sociétés externes. De la même manière, nous organisons régulièrement des exercices d’attaques informatiques, par des prestataires externes, et dont les dates et les modalités ne sont bien évidemment pas transmises à notre équipe sécurité.
Pour chaque procédure qui tombe sous le coup de la loi, nous travaillons en collaboration avec la Commission Nationale pour la Protection des Données, qui nous donne son aval à chaque fois.

Et les moyens? Comment réussissez-vous à les mobiliser?

«Nous sommes une administration publique. Cela veut dire que nous avons des contraintes de gestion qui peuvent être quelquefois difficilement compatibles avec la manière de gérer un service informatique. Par exemple, nous pouvons avoir du mal à recruter des ressources, même lorsque nous avons plusieurs postes de libres.

Concrètement, cela ne fait aucun sens, ni sur le plan financier ni sur le strict plan métier, de tout réaliser en interne. Notre stratégie est simple et classique: il s’agit de conserver en interne les éléments critiques pour le fonctionnement de l’Etat et la réussite des transactions nationales et internationales. Notre savoir-faire est alors interne, pour réussir à garantir la continuité de l’action de l’Etat.

Il faut bien comprendre que la gestion de ces différents projets, avec un personnel en nombre limité, et avec une complexité identique à celle des grands pays, est un véritable défi! Je pense que c’est plus dur pour nous que pour les grands pays qui nous entourent. La pierre d’achoppement, c’est la taille réduite de la sphère publique, quoi qu’en disent certains. Nous ne sommes pas suffisamment grands, ni suffisamment nombreux.

Nous n’avons pas de budget suffisamment conséquent pour réussir à développer des solutions spécifiques pour les différents secteurs de la fonction publique. Cela mènerait à des coûts exor­bitants et non tenables sur le long terme!

Dans tous nos projets, nous travaillons à améliorer la mutualisation des coûts et des technologies. Cela nécessite une compétence informatique et une compréhension des problématiques très élevées. Notre savoir-faire dans le domaine de l’architecture informatique est très élevé. Prenons l’exemple de l’émission de cartes administratives sécurisées, comme les passeports, cartes d’identité, les titres de séjour… Nous avons réussi à développer et adopter une plate-forme mutualisée. Cela n’a l’air de rien, mais c’est un gain d’environ 1 million d’euros pour chaque nouveau type de document émis, et, en proportion, des économies de l’ordre de 30 à 40%.

Pour arriver à ce résultat, nous avons investi beaucoup de temps et de travail dans la conception et la formulation de nos demandes. Notre approche est comparable à celle du secteur automobile: nous recherchons les économies d’échelle avec des produits réutilisables. Les constructeurs automobiles cherchent à réutiliser des pièces mécaniques dans différentes automobiles, nous cherchons à réutiliser des pièces informatiques dans différents contextes.

Les rapports avec les entreprises privées sont-ils simples?

«Depuis notre création, nous nous sommes ouverts au secteur privé. Nous ne négligeons aucune piste, nous observons ces offres qui nous sont transmises. Nous nous penchons sur des questions comme les managed services, le Software as a Service ou les service level agreements. Les offres de type cloud computing attirent notre attention ces derniers temps, même si je dois dire que les offres sont pour le moment encore souvent trop nébuleuses… Cela dit, je pense qu’il est dans la logique du service public d’adopter ce type de fonctionnement.

C’est un message que je veux faire passer d’ailleurs à toutes les sociétés privées: venez nous voir avec vos nouvelles initiatives, avec vos nouveaux modèles de contrat. Nous aurons une approche très rationnelle et positive de vos offres. Aussi longtemps qu’il est possible de contracter, tout en respectant les règles des marchés publics, et en restant dans la stratégie et le cadre budgétaire de l’Etat, nous sommes intéressés. C’est un moyen pour nous d’améliorer notre réactivité, de faciliter la migration vers de nouvelles technologies.»

 

Parcours - Branché

Agé de 46 ans, Pierre Zimmer a obtenu une licence en informatique à Liège: «Ma spécialité était les réseaux et la sécurité. J’ai rejoint l’administration, car un projet intéressant démarrait au moment où j’ai été diplômé: le système d’information Schengen. C’était un projet particulièrement intéressant… Il était international, avec une forte dimension sécurité. C’était un très beau défi, avec des interlocuteurs de haut niveau, dans différents pays. Ensuite, les défis se sont succédé…»

Il utilise le projet comme outil de management: «Je pense que c’est également une manière de motiver les troupes. Nous sommes dans la fonction publique, je ne peux pas donner de primes de fin d’année à mes collaborateurs. Je peux par contre les motiver en leur proposant des projets innovants et intéressants. J’étais conseiller du ministre Wiseler, au ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, pour tout ce qui touchait eLuxembourg. C’est tout naturellement que j’ai également travaillé sur la fusion entre le CIE et le service eLuxembourg. Et c’est dans le même élan que je suis devenu son directeur au moment de sa création.»