Pierre Gramegna lors de son passage devant la commission taxe, aux côtés du président Alain Lamassoure. (Photo: Parlement européen)

Pierre Gramegna lors de son passage devant la commission taxe, aux côtés du président Alain Lamassoure. (Photo: Parlement européen)

Lors de son audition le 22 septembre dernier devant la commission taxe du Parlement européen, qui se penche sur les schémas d’optimisation fiscale agressive des multinationales, dans la lignée du scandale des LuxLeaks, Pierre Gramegna avait mis le focus sur le programme de «sa» présidence de l’UE en matière de transparence fiscale qui a d'ailleurs débouché sur l’accord sur les rulings au conseil Ecofin de hier mardi, évitant de répondre aux questions des députés sur son programme luxembourgeois.

Le ministre des Finances vient de se faire rattraper par les membres de la commission taxe qui n’ont pas jugé avoir obtenu de réponse satisfaisante. Le secrétariat de cette commission ad hoc lui a adressé cette semaine un questionnaire de trois pages, lui laissant jusqu’au 22 octobre prochain pour y répondre. Le temps presse désormais, les puissants groupes des conservateurs du PPE, appuyés par les Libéraux, souhaitant mettre fin au mandat de la commission spéciale, alors que les Verts et la Gauche souhaitent le prolonger pour rendre ses travaux à la fois crédibles et utiles. La Gauche européenne aimerait entendre une seconde fois le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. 

Les questions à Pierre Gramegna viennent de tous les bords politiques, les plus pertinentes émanant du groupe de la Gauche européenne (CUE/NGL) ainsi que des Verts européens.

Le député allemand de Die Linke, Fabio de Masi, dont la détermination a permis la publication de la page manquante du rapport Krecké sur les rulings, cherche désormais à lever le voile sur les documents attestant que l’administration fiscale luxembourgeoise avait bien joué le jeu de l’échange de rescrits fiscaux sur demande avec la France et l’Allemagne (comme une directive de 1977 le prévoit) pour signaler des anomalies dans des montages juridiques passant par le Grand-Duché. Pierre Gramegna avait indiqué que face au peu de coopération de ses partenaires, le Luxembourg avait renoncé à jouer le bon élève de la classe européenne. L’eurodéputé souhaite obtenir davantage d’informations à ce sujet.

La non double imposition et la substance en questions

Il s’interroge également sur le sens des plusieurs accords bilatéraux de non double imposition entre le Grand-Duché et des juridictions connues pour pratiquer une fiscalité légère. «Nous craignons, écrit-il, que ces traités soient utilisés dans un but de planification fiscale agressive, et aimerions entendre quelles démarches le gouvernement est en train de prendre pour s’assurer que ces traités soient déviés de leurs buts.»

Les Verts, par l’intermédiaire de la députée britannique Molly Scott Cato, ont ressorti de leurs tiroirs un graphique qu’ils avaient déjà exhumé devant Jean-Claude Juncker lors de son audition du 17 septembre dernier, faisant un lien entre la montée en puissance des multinationales américaines au Luxembourg pour y loger une partie de leurs bénéfices et la prise de fonction en 1995 du Premier ministre luxembourgeois.

«Pouvez-vous nous dire quelle part de votre économie dépend aujourd’hui de l’activité d’évitement fiscal?», interroge-t-elle.

L’eurodéputée revient à la charge sur la question de la substance économique des sociétés exigée pour qu’elles tombent sous le pavillon luxembourgeois. Pierre Gramegna avait assuré le 22 septembre, lorsque la question lui fut posée, qu’il jugeait le concept de substance économique suffisant dans la législation luxembourgeoise. Or, la présence de 22 filiales de Walmart au Grand-Duché, dont cinq auraient été mises en place en 2015, démontre une conception particulière de la substance économique, fait valoir la députée des Verts. «De deux choses l’une, écrit-elle, soit vous n’appliquez pas vos propres lois sur la substance économique et les clauses anti-abus, soit votre législation manque de substance.»

Molly Scott Cato souhaite par ailleurs obtenir la position de Pierre Gramegna sur la question des déclarations des entreprises multinationales pays par pays, renseignant de leurs activités réelles ou supposées dans des pays à fiscalité avantageuse.

L’OCDE a publié ce lundi à ce sujet dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale un plan d’action qui obligera les grandes firmes à ces déclarations pays par pays, mais les informations ne seront pas publiques, elles seront uniquement adressées aux administrations fiscales. Il s’agit d’un sujet de controverse, tant au niveau de l’OCDE qu’à l’échelle de l’Union européenne.

La députée britannique met le doigt sur le discours contradictoire du ministre luxembourgeois, qui d’un côté a fait une profession de foi de transparence, mais d’un autre côté se refuse toujours à communiquer sur le nombre de rescrits fiscaux qui sont sortis des ateliers du bureau 6 de l’Administration des contributions directes.

Pourquoi, demande t-elle enfin, le Luxembourg n’a-t-il pas mis en place une liste noire des paradis fiscaux, à l’instar de l’initiative prise récemment par la Belgique… qui a placé le Grand-Duché dans la catégorie des paradis fiscaux.