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Philippe Schlesser, Industrial Designer (Photo: Andres Lejona)  

Il parle huit langues. Il travaille comme design consultant et utilise le "Design Thinking" pour trouver des solutions se focalisant sur la responsabilité envers l'environnement (eco-design). Il affirme que le design n'est pas seulement forme et beauté, mais plutôt un outil pour résoudre des problèmes complexes de toutes sortes dans tous domaines. «Il faut donc intégrer le processus du design dans tous les projets». Dans son château de Wintrange, entre vignobles et Moselle, c’est un chevalier du XXIe siècle, un humaniste.
Philippe, vous allez avoir 32 ans et vous avez déjà parcouru 80 pays à travers le monde, comment vous est venue cette passion du voyage?

«Il faut dire tout d’abord que ma mère est Tchèque et mon père Luxembourgeois, donc famille un peu «cosmopolite». A la maison, nous parlons trois langues, un bon terreau. Les grandes forêts, les hautes montagnes me fascinent. A l’âge de 16 ans, je décide de partir, mais il faut revenir terminer mes études secondaires et j’attends avec impatience de repartir. C’est le Grand-Duché puis l’Iran, l’Amérique…

…les moyens de transport?

«La plupart de mes voyages se sont effectués en vélo et à pied!

Il faut donc avoir une bonne forme physique?

«Mais non! Vous savez, on peut s’arrêter si l’on est fatigué (rires).

Le voyage le plus réussi?

«C’est celui que j’ai fait avec un de mes meilleurs copains, Gaston. Un vendredi, nous nous posons la question: que faire ce week-end? Comme il restait quelques mois avant la reprise des études universitaires, nous décidons de partir vers la Grèce à bicyclette.

Ah oui, tout simplement?

«Nous partons donc le lundi matin, la Grèce après quelques semaines et décidons de continuer sans destination précise. Nous voulons voir jusqu’où nous pouvons aller… Découvrir en somme chaque jour de nouvelles cultures, de nouvelles gens. Après trois mois, nous arrivons en Iran. Nous sommes fatigués, nous nous arrêtons. Nous avons alors 19 ans, peut-être un peu ignorants et sans aucune idée de ce qui nous attendait. A la réflexion, cette ignorance nous permet de garder les yeux ouverts, de tout absorber. A noter que c’est un état d’esprit que j’ai gardé et que j’utilise dans mon travail. Alors donc, nous parlons aux gens, qui nous reçoivent avec le peu qu’ils ont, nous donnant vraiment tout. 

Le voyage le plus dépaysant, le plus étranger?

«Ce n’est pas la géographie qui dépayse, c’est plutôt l’état d’esprit dans lequel on est.  Il faut être ouvert, accepter et ne pas juger. J’ai fait un jour une sorte de test. Je suis allé à Luxembourg, en ville, avec un grand sac à dos. Je constate alors que les gens me parlent plus… J’ai l’air d’un touriste et je peux poser des questions! L’expérience me plaît! C’est la même chose en Afrique, en Iran ou dans n’importe quel autre pays. Si on écoute et qu’on donne, qu’on ne prend rien… sauf des photos (rires), alors on reçoit, c’est ma stratégie, ma méthode de voyage.

Celui que vous ne referiez pas?

«Il n’y en a pas. Il y a eu, certes, des expériences doutes, mais même ces expériences-là, on peut les utiliser et cela devient positif.

Vous n’y êtes pas encore allé, et vous en rêvez?

«Il y a toujours des rêves! Déjà enfant, je me disais que je devais vite les réaliser afin de faire place à de nouveaux rêves. Aujourd’hui, rien de changé, j’essaie de tous les vivre. J’ai vu les pays que j’ai voulu voir. Il y en a maintenant de nouveaux, mais ce ne sont pas de «vieux» rêves. L’Inde est une destination volontiers désirée mais, pour ce bébé, je veux acquérir de l’expérience et me préparer pour ressentir pleinement le choc et bien absorber. Je veux voir ce qui se passe vraiment chez les gens, là-bas.

Vous attendez donc d’être prêt, quelle préparation?

«Il faut comprendre les différentes cultures pour les découvrir, les accepter et les assimiler. Il ne faut pas courir le risque de se dire «ce pays ne m’a pas plu»! Si on se met dans le contexte, on observe, on comprend!

Avez-vous un ou plusieurs objets «fétiches» qui vous accompagnent en voyage?

«Des sacs à dos (rires)! J’adore les sacs à dos. J’ai toujours aussi un couteau et nécessairement, une tente, un sac de couchage, un petit calepin pour prendre des notes et des observations sur ce qu’on ne peut pas photographier. 

Avez-vous parfois ressenti de l’insécurité, au point de craindre pour votre vie?

«Non. Par contre, il y a eu des moments où j’avais vraiment faim et rien en poche. Si l’on n’a rien, on doit se débrouiller avec ce qu’on a sous la main, utiliser les ressources existantes. C’est l’un des enseignements les plus importants que j’ai tirés. Mais je n’ai jamais eu peur, vraiment.

A propos de ressources, comment vous organisez-vous sur le plan matériel?

«Je n’ai jamais voyagé avec beaucoup d’argent sur moi car, alors, on ne voit que ce qu’on veut voir mais certainement pas ce qu’on doit voir. Si on n’a rien, on communique beaucoup plus et (sourire discret) c’est plus facile de parler avec les gens. J’ai donc fait le choix de ne pas prendre trop d’argent avec moi. J’ai été invité une centaine de fois et j’ai, par exemple, utilisé quelques connaissances acquises par un bref passage à l’école hôtelière et travaillé comme cuisinier sur les bateaux, donc voyage gratuit et payé en plus, pour pouvoir continuer à l’arrivée! En Ecosse, j’ai aussi travaillé comme guide de kayak. J’aime la nature et les conditions de vie simples. Mes voyages m’ont appris à apprécier les choses essentielles que nous perdons de vue dans notre Grand-Duché tellement favorisé.

Lorsque vous n’étiez pas reçu par la population locale, c’était le bivouac, autour du feu de camp?

«Oui, mais j’ai le souvenir, au Canada, d’une expédition en solo où j’ai naïvement essayé de me prouver qu’il était possible de vivre sur ce que j’allais trouver.  Pas évident! Cela n’a pas marché comme prévu (rires). C’était en avril, les lacs étaient encore gelés mais la couche n’était pas assez solide. Alors là, j’ai eu faim, vraiment faim. 

Une belle école de la vie?

«La meilleure, sans aucun doute, et en tout cas bien meilleure que toutes les universités sur le plan humain.

Parlez-nous de la gastronomie vue par un globe-trotter?

«Difficile à expliquer. Chaque pays a sa gastronomie et j’aime observer la préparation, le choix des ingrédients, afin de tenter de refaire identiquement. Dans une famille, c’est intéressant, on peut voir la façon dont la nourriture est préparée, pas au restaurant.

Quel type de cuisine préférez-vous?

«J’adore manger et mes préférences vont vers la Thaïlande, la Turquie et l’Italie. Mes meilleurs et plus intéressants souvenirs viennent de petits villages où les gens utilisent les ressources locales aisées à trouver, par exemple au Cambodge, tout ce qui nage! Vous savez, on peut tout manger, plus ou moins. Tout est dans la préparation. En Afrique, j’ai découvert de nouveaux goûts que j’ignorais, presqu’une explosion. Je me suis rendu compte que nous sommes très limités par des papilles insuffisamment éduquées.

Un moment intense de bonheur?

«C’était lors de notre voyage en Iran en bicyclette et avec mon excellent ami, Gaston Trauffler, le premier grand voyage sans but précis. Dans la montagne, il me précède d’environ un kilomètre et je ne le vois plus. Je ressens alors un sentiment absolu de liberté, je ne dépends que de moi-même, je peux m’arrêter quand je veux et où je veux. Il était là, ce moment, si bref mais si intense. Mais l’idéal serait que cet instant devienne un standard permanent. En voyage, j’essaie non pas de répliquer mais de retrouver cette sensation.

Dites-vous parfois: «je pars en vacances» au lieu de dire: «je pars en voyage»?

«Lorsque je voyage, c’est plus dur que de travailler, car c’est 24h sur 24. Il faut trouver des ressources pour manger, une place pour dormir, etc. Cela prend beaucoup d’énergie. Lorsqu’on visite un musée, une exposition, on découvre et on est vraiment fatigué après quelques heures, on en sort avec une multitude de nouvelles idées. Si on voyage, c’est tout le temps comme cela, tant de nouvelles choses à absorber. Alors, pour mes vacances, je reste à la maison et je dors (rires)!

Vous paraissez infatigable, puisque vous continuez à restaurer la superbe demeure familiale dans laquelle vous nous recevez, le château de Wintrange?

«Bâti en 1610 et occupé successivement par plusieurs familles, il a été acquis en 1938 par mon grand-père. C’était alors presqu’une ruine. Né en 1929, mon père, après la seconde guerre mondiale, promet à mon grand-père de se consacrer à la restauration du château. Nous avons repris, ma sœur et moi-même, le flambeau et la restauration. Nous voulons en utiliser le potentiel. Ainsi, j’ai organisé dans ses murs il y a quinze jours, des design workshops avec la participation de designers internationaux. Nous recevons beaucoup d’encouragements des gens du village. Ils sont fiers du château et c’est de notre responsabilité de le garder.

En quelque sorte, vous posez votre sac?

«Oui, pour l’instant, car c’est ici que je sens mes racines».

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