Le journaliste à l'origine des LuxLeaks a fait un travail légitime, assure Premières Lignes. (Photo: Vimeo.com)

Le journaliste à l'origine des LuxLeaks a fait un travail légitime, assure Premières Lignes. (Photo: Vimeo.com)

L’agence de presse et société de production française Premières Lignes livre son étonnement, dans un communiqué publié sur son site internet, à la prise de position diffusée lundi par le Parquet de Luxembourg assurant que son employé, le journaliste Édouard Perrin aurait «dirigé» un ancien collaborateur de PwC Luxembourg et «joué un rôle plus actif dans la commission» d’infractions pour obtenir des documents.

«Nous nous interrogeons», souligne l’agence, «sur l’opportunité de la part du Parquet de prendre de telles libertés avec le secret de l’instruction». Premières Lignes rappelle aussi «que le secret absolu des sources de nos enquêtes doit demeurer un principe, le socle du travail de tous les journalistes».

Édouard Perrin n’a fait que son travail légitime de journaliste.

Premières Lignes, société de production et employeur d'Édouard Perrin

«Édouard Perrin n’a fait que son travail légitime de journaliste», assure encore le communiqué en évoquant sa longue enquête d’investigation dans l’émission Cash Investigation sur France 2, qui fut diffusée une première fois en mai 2012.

L’enquête consacrée aux pratiques d’optimisation fiscale des multinationales au Luxembourg et le peu de substance pour certaines sur le territoire grand-ducal avait rebondi en novembre 2014, sous le nom de l’affaire LuxLeaks, avec la publication par le consortium de journalistes internationaux ICIJ de centaines de rescrits fiscaux provenant de PwC Luxembourg.

Omerta?

Édouard Perrin a été inculpé jeudi 23 avril par la juge d’instruction luxembourgeoise Martine Kraus de complicité des infractions de vol domestique, violation du secret professionnel, violation de secrets d’affaires, blanchiment et accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données.

Cette inculpation, selon le Parquet, est à mettre en relation avec l’une des deux fuites de documents fiscaux s’étant produites après 2012 et l’émission de France 2 chez PwC Luxembourg.

Le journaliste aurait joué un rôle actif dans la commission des infractions reprochées à l’un des prévenus, un Français âgé de 38 ans, qui travaillait dans le département documentation du cabinet PwC et avait de ce fait accès à certains documents confidentiels.

L’homme fut rapidement identifié comme étant à l’origine de la fuite et licencié sur le champ. Son nom n’a pas été rendu public et l'intéressé se fait particulièrement discret, contrairement à Antoine Deltour, l’autre auteur de la fuite, qui assume, lui, pleinement son geste. L’ex-employé avait été inculpé en janvier 2015 de vol domestique, violation du secret professionnel, violation de secrets d’affaires, blanchiment et accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données.

Le rôle d’Édouard Perrin, selon le communiqué du Parquet, «ne se serait pas limité à recueillir des informations offertes par l’inculpé mais, au contraire, aurait consisté à diriger celui-ci dans la recherche des documents qui l’intéressaient tout particulièrement». «Le journaliste aurait ainsi joué un rôle plus actif dans la commission de ces infractions», poursuit la justice luxembourgeoise qui se défend de s’en prendre aux sources des journalistes et à la liberté d’expression.

«Il ne peut être question d’une violation ni du droit à la protection des sources journalistiques ni, plus généralement, des droits des journalistes dans leur rôle de ‘chien de garde’ de la démocratie», se défend le Parquet dans le communiqué.

Ce à quoi Premières Lignes répond, en reprenant les formules d’un communiqué de l’association du Prix Albert Londres que «le journaliste et le lanceur d’alertes ont besoin l’un de l’autre, engagés dans un même combat contre les détournements de la loi, les atteintes à la justice et aux fondements de la démocratie. Que vaudra le travail d’investigation du journaliste lorsque sa liberté de le divulguer sera entravée? Que vaudra la conscience d’un lanceur d’alerte lorsque l’omerta d’une multinationale la bâillonnera?».

C’est un peu le pot de fer contre le pot de terre.

Pour rappel, une première fuite de documents, des centaines de rescrits fiscaux entre les multinationales ayant un siège au Luxembourg et l’Administration des contributions directes, avait été opérée en 2010 par l’ancien auditeur français Antoine Deltour, qui a reconnu les faits et a été inculpé en décembre 2014 par la juge Martine Kraus.

Les centaines de rescrits fiscaux avaient permis à Édouard Perrin d’enquêter sur les pratiques d’optimisation fiscales des multinationales, comme Amazon, au cœur d’une enquête de la Commission européenne.

Les aveux de l’ex-PWC

Les rescrits fiscaux ont été ensuite confiés au consortium de journalistes internationaux ICIJ. Ces révélations ont permis à la Commission européenne de prendre le problème de l’optimisation fiscale des multinationales à bras-le-corps et de proposer des remèdes contre les pratiques d’évitement de l’impôt en mettant entre autres sur la table des 28 une directive sur l’échange automatique des rescrits fiscaux à l’échelle de l’UE.

La seconde fuite a porté sur 16 déclarations fiscales de multinationales américaines ayant leur siège européen au Luxembourg et s’est produite après l’émission de France 2 et après la démission d’Antoine Deltour, qui avait quitté PwC en 2011. Il ne pouvait donc pas en être à l’origine.

Le journaliste Édouard Perrin a été inculpé de complicité sur la seconde fuite. Sans aucun lien avec celle d’Antoine Deltour, cette troisième inculpation serait intervenue après les aveux de l’ancien employé du service documentation de PwC, qui cherche probablement à minimiser son rôle. «C’est en effet dans le cadre de l’interrogatoire du second employé que le rôle exact du journaliste a pu être cerné quant à son implication dans la commission des infractions reprochées au dit inculpé», précise le Parquet.