Paul Schuh: «Je laisse une ambiance et un climat de travail excellents.» (Photo: Jessica Theis)

Paul Schuh: «Je laisse une ambiance et un climat de travail excellents.» (Photo: Jessica Theis)

Pour ses dernières semaines en tant que directeur général de l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR), Paul Schuh aurait sans doute espéré un peu plus de tranquillité. L’actualité judiciaire en a décidé autrement, puisque le tribunal administratif a rendu coup sur coup, en mars, deux décisions annulant les tarifs de terminaison d’appels mobiles qui avaient été imposés à 0,98 centime d’euro par minute (contre 8,80 centimes, précédemment) par l’ILR en février 2014. Ces décisions n’ont pas manqué de surprendre celui qui, au 1er mai, sera officiellement en retraite, laissant la place à Luc Tapella. «Nous n’avons pas bien compris pourquoi le juge s’est prononcé en faveur d’un benchmark ne tenant compte que de nos trois pays voisins (Belgique, Allemagne et France, ndlr). Nous avions, pour notre part, basé notre évaluation sur un calcul moyen établi pour sept marchés. On nous reproche une ‘erreur d’appréciation’, car les réseaux de ces sept pays ne sont pas similaires avec le réseau luxembourgeois. Mais en quoi les trois réseaux voisins le sont-ils ?»

Selon toute vraisemblance, l’ILR fera appel. Bien plus que pour le principe. «Ne serait-ce que parce que l’argumentation avancée par le tribunal administratif nous semble farfelue», précise M. Schuh. Car dans les faits, un nouveau règlement a été publié, fixant la tarification de ces terminaisons mobiles (MTR, mobile termination rates) à… 0,97 centime d’euro. Un calcul établi, cette fois, selon la méthode du modèle des coûts.

«Nous n’avons peut-être pas suffisamment développé l’argumentaire expliquant que le réseau en tant que tel n’a rien à faire avec les tarifications des terminaisons mobiles et qu’il n’existe donc pas de spécificité luxembourgeoise pour ces tarifications», précise M. Schuh, qui s’attend à ce qu’il y ait de nouveau des recours déposés par les opérateurs avec cette nouvelle tarification. «Cela fait partie du jeu.» Les opérateurs, eux, se posent la question de la rétroactivité des paiements concernés.

Du reste, ce n’est pas la première fois (et sans doute pas la dernière) qu’un litige oppose l’un ou l’autre opérateur avec l’institut qui a en charge la régulation. Ainsi, il y a un an, le Groupement des transporteurs avait déposé deux recours auprès du tribunal administratif, mettant en question la hausse de la taxe prélevée par le régulateur pour la surveillance du secteur postal, dénonçant au passage une transposition arbitraire de la réglementation européenne. Le tribunal administratif l’a, par deux fois, débouté.
Directeur général de l’ILR, c’est donc loin d’être une sinécure. Paul Schuh le savait déjà quand il prit ses fonctions en 2011, puisqu’il avait déjà occupé, entre 2000 et 2006, un siège au conseil d’administration. Cela ne fut d’ailleurs pas, au commencement, sans lui poser quelques problèmes puisque, parallèlement, il occupait (depuis sa création en 1993) la présidence du conseil d’administration de l’Entreprise des P&T! Un mandat qu’il dut donc se résoudre à abandonner en 2000.

Recrutements pointus

À son arrivée, l’ILR comptait 41 collaborateurs. Il est aujourd’hui à pratiquement 60. Et l’augmentation n’a pas été que quantitative. «Lorsque je suis arrivé, j’ai surtout essayé de recruter des spécialistes et je crois que j’ai réussi. Par exemple, un ingénieur spécialisé en satellites est sur le point de nous rejoindre. Ce serait alors le troisième de niveau doctorat que nous engagerions. Nous avons maintenant le savoir-faire en interne, et nous n’avons plus besoin de consultants pour traiter certains dossiers.»

L’allusion n’est pas anodine. Car si l’ILR s’est longtemps «cherché» – au point de s’attirer les foudres de la Commission européenne, fin 2013, elle avait adressé un avis motivé au Luxembourg en raison de son retard dans la mise en œuvre d’un cadre réglementaire datant de 2009 – c’est aussi pour des raisons autant liées à ses ressources humaines qu’à son organisation initiale. «Nous sommes totalement à jour aujourd’hui, précise M. Schuh. Mais nous ne l’étions pas au moment du dépôt de l’avis. Cela s’est joué à quelques mois. Mais il y a d’autres régulateurs en Europe qui ont des retards plus importants.»

Et d’expliquer, que tout au début, l’institut travaillait avec des consultants, que certains dossiers ont pu traîner en raison de «batailles» entre eux. «Et ce sont eux qui, au final, nous disaient quoi faire et combien ça allait nous coûter. Désormais, nous n’avons plus affaire à eux que de manière très ponctuelle. Et dans ce cas, nous savons parfaitement ce que nous devons leur demander de faire.»

Du travail pour son successeur

À l’heure de quitter ses fonctions, Paul Schuh ne revendique pas de fierté ou de satisfaction particulière, si ce n’est celle d’avoir su établir et entretenir «de très bonnes relations avec pratiquement tout le monde ici» et de partir «en laissant une ambiance et un climat de travail excellents». Quant à ses relations avec les acteurs du marché, il reconnaît avoir peut-être été un peu plus «sec» et moins consensuel que son prédécesseur, Odette Wagener.

Il n’aura donc pas l’occasion de plancher sur un des sujets cruciaux du moment: celui de l’avenir même de l’ILR et de son statut, alors que le gouvernement a annoncé, dans son programme, vouloir considérer et étudier un rapprochement entre l’institut et le Conseil de la concurrence, «afin de pouvoir mettre à profit les compétences de ces deux autorités indépendantes». Une démarche qui n’est pas aussi simple sur le terrain, même si les deux parties travaillent déjà conjointement sur certains dossiers, puisque dans le cadre des analyses de marché réalisées par l’ILR, un avis du Conseil de la concurrence est indispensable.

Intéressant sur le principe, ce «rapprochement» est cependant loin d’être une évidence dans le concret, ne serait-ce qu’en raison du statut différent des deux entités: l’ILR est un établissement public indépendant, financé par les sociétés qui sont sous sa surveillance, tandis que le Conseil de la concurrence est une autorité administrative indépendante, dont le budget est fixé par l’État.

Ce sera là assurément un des dossiers majeurs à attendre Luc Tapella, qui prendra ses fonctions début mai.

À propos…

… du projet de loi sur la gouvernance de l’Entreprise des P&T:
«C’est une évolution logique dans le management, mais c’est un retour en arrière, car l’entreprise continue de conserver tous les métiers sous un même toit et ça, je ne le comprends pas. Il n’y a plus vraiment de synergies entre le métier de postier et celui de telecom provider.»

… de la notion de service universel dans le secteur postal:
«Sans doute faudra-t-il dans le futur la modifier à l’échelle européenne. Cela ne fait plus vraiment de sens d’envoyer un facteur chaque matin pendant cinq jours par semaine devant une boîte aux lettres pour voir s’il y a quelque chose à mettre dedans.»

… du projet de rapprochement entre l’ILR et le Conseil de la concurrence voulu par le gouvernement:
«Cela fait du sens! Mais il faudra tout repenser depuis le début, notamment pour ce qui est du financement. Il ne suffira pas de mettre les deux institutions ensemble et de dire ‘débrouillez-vous’.»

… des prix élevés de certaines offres télécoms:
«Ce qui revient cher, c’est la partie génie civil, avec l’enterrement des fibres. Certaines règles techniques, à mon avis, ne font pas de sens, comme celle de devoir creuser si profondément (80 cm) pour enterrer un câble. Je suis très curieux de voir comment ils vont se débrouiller avec le chantier Aldringen.»

… de son successeur:
«Je n’ai pas de conseils à lui donner. Il connaît bien le sujet et la maison. Je ne suis pas de ceux qui veulent que l’avenir ressemble à ce qu’ils désirent. Place aux jeunes!»

Il entre en fonction le 1er mai
Luc Tapella, le connu dans la maison

La succession de Paul Schuh sera assurée, à compter du 1er mai, par Luc Tapella, qui occupe actuellement les fonctions de directeur financier et administratif chez Wagner Management, la société qui gère l’ensemble du groupe Wagner, soit une cinquantaine de sociétés.

Âgé de 46 ans, M. Tapella arrive néanmoins en terrain connu, puisqu’il a, précédemment, travaillé pendant cinq années en tant qu’économiste au sein de l’ILR. «Je me suis occupé, directement en relation avec la direction, des volets économiques tous secteurs, explique-t-il. Mais je me suis plus spécifiquement occupé du secteur postal. J’ai aussi travaillé sur le projet de déménagement de l’institut.» Un changement d’adresse (de l’allée Scheffer à la rue du Fossé, où l’ILR a pris possession de la maison de Raville). «Bien sûr, je connais une grande partie des personnes. C’est forcément un atout, mais c’est aussi à double tranchant, car sans doute leurs attentes seront-elles d’autant plus grandes.»

Commencée au sein du cabinet Coopers & Lybrand, la déjà riche carrière de Luc Tapella l’a ensuite conduit à la BCEE, pendant trois ans, puis chez SES où il a, pendant six ans, occupé diverses fonctions chez Astra, puis Satlynx où il fut le bras droit du directeur général. «J’ai toujours travaillé dans le domaine des finances et de la gestion de projets et de personnes et j’ai toujours eu la chance de rencontrer des gens intéressants. Et je suis impatient de pouvoir commencer ce nouveau défi», explique l’intéressé, pour qui la candidature à ces nouvelles fonctions est loin d’avoir été une promenade de santé. «Je n’ai jamais passé autant de tests et d’entretiens avant une embauche. Sans doute la volonté était-elle d’être sûr de trouver la bonne personne. À moi de prouver que c’est bel et bien le cas.»