Lors d'une précédente rencontre, Monsieur Helminger, nous vous avions demandé si vous aviez une passion. Réponse spontanée autant que brève: 'mon métier'. Englobez-vous toutes vos fonctions, mandats ou professions dans ce terme?
"S'il y a une continuité, c'est-à-dire restant dans le même cadre qui est de m'intéresser au développement des gens, à leurs ambitions, à leur devenir, à leurs conflits aussi, j'ai quand même souvent changé de métier! Mais commençons par le commencement (rires). Mes parents étaient tous deux instituteurs. Donc, dans une belle optique d'ascension sociale, je pense que ma destinée est de devenir professeur. Or, pendant mes études secondaires, je fais partie d'une classe dont les élèves sont restés pratiquement ensemble depuis le début jusqu'à la première et nous avons tant fait souffrir nos professeurs que je me suis juré de ne jamais être de l'autre côté de la barrière! Mais, certains de ces maîtres, en particulier mon prof d'histoire, m'ont donné ce goût de m'intéresser aux gens, à leur vie, à leurs conflits. C'est alors que je me suis orienté vers la diplomatie, mon premier métier passionnant, qui me permit de vivre ailleurs qu'à Luxembourg, de voir le monde, de rencontrer des collègues tout à fait intéressants et surtout, par un concours de circonstances tout à fait exceptionnel, de passer plusieurs années à Londres. J'ai été ensuite délégué pour le Grand-Duché à la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, ce qui m'a amené à passer un hiver à Helsinki, aventure tout à fait exotique qui nous a permis (nous ne nous en rendions pas tout à fait compte à l'époque), d'être parmi ceux qui ont semé les graines de la fin de l'empire soviétique, la réunification de l'Europe, dans le respect des droits de l'homme, des libertés d'expression et la libre circulation des personnes! Pour la première fois, on osait parler publiquement de tout cela, au-delà du Mur qui nous séparait. Oui, c'était passionnant d'avoir directement à faire au sort des peuples, à la qualité de leur vie.
Et puis en 1974, retour à Luxembourg?
"Oui, Gaston Thorn, le Premier ministre, m'a rappelé à Luxembourg, me demandant de devenir son directeur de cabinet. C'était une autre époque où il y avait l'ambition extraordinaire d'adapter ce pays plein de qualités mais à qui l'on reproche, pas toujours à tort, d'avoir quand même des réflexes conservateurs. Il fallait changer certaines choses fondamentales, surtout dans la façon dont la société était organisée. Il y eut plus de dialogue social... c'est le modèle luxembourgeois né à cette époque, dialogue entre patrons, syndicats, gouvernement, réforme du droit des sociétés, l'avortement, abolition de la peine de mort. C'était un gouvernement qui n'essayait pas seulement d'être au diapason de la société, mais de la faire avancer.
Nous sentons du regret et un brin de nostalgie dans votre propos?
"Non, non! Je dis simplement que j'avais de la chance de retourner, après l'international, dans mon pays au moment où, justement, il y avait une coïncidence de volonté politique et une disponibilité de gens extraordinaires, Gaston Thorn, Emmanuel Tesch, John Castegnaro, etc. qui ont fait vraiment bouger les choses d'une manière fondamentale. Je constate que j'ai eu la chance de faire partie de cette équipe et de cette époque. J'ai donc été chargé, comme secrétaire d'État, de la diversification de l'économie industrielle et j'ai parcouru le monde à la recherche de nouveaux investissements, ce qui ensuite, m'a fait plonger dans le secteur privé.
Un autre monde en effet!
"J'ai été directeur général de Computer Land à une époque où le monde a changé. Souvenez-vous, IBM a introduit le PC en Europe en 1982. J'ai pris la tête de Computer Land Europe en 1985, deux ans à peine après le lancement du produit qui allait révolutionner l'approche du travail, des loisirs, de la culture. J'ai une foule de souvenirs passionnants autour de l'organisation de ce réseau. Dans un pays comme l'Allemagne, les managers étaient littéralement rebutés à l'idée d'être devant un clavier: c'était pour les secrétaires. En revanche, en France, avec la 'gadgetomanie' qui caractérise les Français, c'était un jouet qui arrivait et le projet a été saisi à bras le corps et avec enthousiasme. Il en fut de même dans les pays scandinaves et anglo-saxons. J'avais dans ma famille Computer Land autant d'approches et de réactions différentes en fonction de la mentalité et même des cultures vis-à-vis de cet instrument qui révolutionnait la manière dont se géraient les entreprises.
Il s'agissait effectivement d'une révolution dont les développements n'ont pas fini de nous surprendre! Et après cette passionnante expérience?
"Finalement, je me suis retrouvé 'en ville' où j'ai retrouvé les mêmes éléments d'invitation à la passion, car c'est une ville qui, surtout aujourd'hui, est une capitale européenne, un centre financier d'importance mondiale et le coeur de l'économie du Luxembourg. C'est néanmoins une cité à dimension humaine... 80.000 habitants la nuit, 200.000 la journée (rires), cosmopolite...
Ne faut-il pas trouver une solution qui permette de garder tous ces gens un peu plus longtemps le soir?
"Mais si! Nous nous y attachons. Voyez le programme d'animation culturelle que nous offrons dans les institutions de la Ville et dans celles de l'État. Nous allons rouvrir le Cinécité avec la Bibliothèque municipale et un vrai complexe multimédia, avec des heures d'ouverture au-delà de 18h, pas seulement dans un souci commercial, mais aussi pour s'adapter au changement et prévoir. Je me rends très bien compte que les mécanismes d'intégration que nous avions par le passé ne fonctionnent plus aujourd'hui pour tout le monde.
Quelle en est la raison?
"Nous avions, dans le temps, une économie essentiellement industrielle, nous étions déjà un pays d'immigration et nous avions besoin de main-d'oeuvre, de connaissances et de capitaux qui nous venaient de l'étranger. Mais parlons des hommes et des femmes qui venaient travailler ici, souvent de loin, et s'installaient à Luxembourg et qui, sinon à la première mais à la deuxième génération, devenaient Luxembourgeois. Avec l'économie d'aujourd'hui, nous avons un recrutement tout à fait différent. Nous recrutons en France, en Belgique, en Allemagne. Nous voyons de plus en plus, pour maintes raisons - entre autres, la cherté de la vie à Luxembourg, il faut bien le dire - que ces hommes et ces femmes essentiels au développement et à la prospérité de notre économie et de notre pays ne viennent plus habiter chez nous. Ils restent dans leur pays et ne passent plus par les mécanismes traditionnels d'intégration qui étaient les écoles luxembourgeoises, les associations, clubs, etc.
Que proposez-vous alors?
"À mon avis, nous avons besoin d'élargir le cercle de convivialité, de ne plus le restreindre ni à la ville, ni même au pays, mais de l'étendre à la Grande Région. Nous devons faire en sorte que ces gens, qui gagnent leur vie à Luxembourg, développent d'autres relations avec notre pays et avec la ville en particulier, qu'une relation de travail. Nous pouvons y contribuer et cela passe, entre autres, par la Culture. Une fois ce relais enclenché, j'attends que le commerce lui emboîte le pas.
Le sujet fait couler beaucoup d'encre, tout le monde en parle et on ne bouge pas!
"Vous savez, les gens que nous essayons de retenir à Luxembourg par des animations touristiques ou culturelles, des manifestations que nous organisons tout au long de l'année, aimeraient de temps à autre pousser la porte de magasins après 18 h. Avec ce qui se passe chez nos voisins, la compétitivité à laquelle nous sommes confrontés est accrue sur tous les plans, culturels, commerciaux, académiques!
Qu'avez-vous changé depuis que vous êtes bourgmestre de la ville de Luxembourg?
"Nous avons essayé d'insuffler plus de professionnalisme à nos services et sortir la ville de cette mentalité qui voulait qu'il y ait, d'un côté, une sorte de 'souverain municipal' et de l'autre, les 'administrés', instaurer enfin une véritable interaction avec les citoyens. Prenons l'exemple de l'autorisation à bâtir. À la limite, ce n'est pas tant une autorisation de faire quelque chose, mais plutôt la manifestation de l'insertion d'une entreprise individuelle dans un ensemble. Sans règles, cela ne marche évidemment pas, mais l'autorisation que je donne, ce n'est pas un pouvoir que j'exerce mais un permis pour l'initiative dans un rôle de 'facilitateur'. Essayons d'avoir une vision plus cohérente du développement de cette ville et ne le subissons pas. Nous avons une dynamique extraordinaire, nous avons l'argent pour prévoir, un territoire varié et encore très généreux, mais ne laissons pas cela au hasard. Guidons le développement dans une direction qui permette de garder ce dynamisme et cette qualité de vie si particulière. Nous sommes allés à la rencontre des citoyens en leur donnant l'occasion de s'exprimer, recherchant les forces et les faiblesses de chaque quartier pour faire une synthèse et constituer la trame de l'action à venir, le pilier sur lequel construire le nouveau plan d'aménagement général.
Quel est votre auteur préféré?
"Je m'intéresse volontiers aux biographies, je viens de terminer celle d'Hillary Clinton.
Votre peintre préféré?
"Vous voyez que mon bureau est une galerie de peintres luxembourgeois! Aussi le peintre catalan Navarro.
Votre compositeur préféré?
"Jean-Sébastien Bach".