Paul De Cooman, président de l’Association des Compagnies d’Assurances (Photo: David Laurent/Wide)

Paul De Cooman, président de l’Association des Compagnies d’Assurances (Photo: David Laurent/Wide)

Le président de l’Association des Compagnies d’Assurances croit au potentiel de développement du secteur au Luxembourg. Un essor qui passera nécessairement par la création de nouveaux produits de niche.

Monsieur De Cooman, quel regard portez-vous sur les statistiques 2010 du secteur des assurances, présentées au début de l’été?

«Globalement, l’année 2010 a été très bonne, après une année 2009 de forte croissance. Mais nous notons aussi quelques sujets de préoccupation, comme la réduction des marges par deux, qui tient essentiellement à la structure même de nos activités. Près de 80% des encaissements se font dans le segment de l’activité internationale vie, qui est composée de contrats avec des primes de plus en plus élevées. Or, les marges sont toujours plus réduites pour de tels contrats que pour une somme de petits contrats.

Par ailleurs, les assureurs investissent majoritairement dans des obligations à taux garantis. Là non plus, les returns ne sont pas très élevés. Ce sont ces deux éléments majeurs qui expliquent que les marges se sont globalement rétrécies pour les acteurs du secteur.

Comment expliquez-vous cette grande distorsion en assurance vie entre le marché à l’international, où cette branche est très développée, et le marché local, où elle est loin d’être mature?

«La principale raison réside dans le fonctionnement de la sécurité sociale, qui est très généreuse, autant dans le domaine de la santé que dans celui de la prévoyance. En comparaison avec d’autres pays, les assurés éprouvent moins le besoin, ici, de se constituer une pension complémentaire.
En règle générale, la proportion entre assurance vie et IARD (incendie, accidents, risques divers, ndlr.) est de deux tiers/un tiers. Ici, le rapport est inverse. Mais la réflexion commence tout doucement à évoluer. On voit de plus en plus de contrats de type 111 bis (le régime de la prévoyance-vieillesse, ndlr.) qui sont souscrits.

La croissance a été de 10% en 2010. On peut y voir à la fois la recherche du bénéfice fiscal et une prise de conscience que le système de pension et de santé actuel prodigué par l’Etat risque de ne pas tenir la route à moyen et long termes. Il y a encore du chemin à faire dans cette prise de conscience, mais cela devrait être porteur pour le secteur.

Dans le segment IARD, comment se porte le marché local, dont la croissance est, par essence, limitée?

«Il est vrai que le marché est bien mature. Pour gagner une affaire, il faut généralement la prendre à un concurrent, en jouant sur les prix. La guerre fait donc rage et donne la possibilité de capter de plus grosses primes.

D’une manière générale, si le marché se porte relativement bien, nous avons tout de même quelques inquiétudes en termes de rentabilité pour les assurances automobiles, car nous avons constaté que les coûts des réparations augmentent très fortement. Nous avons donc entrepris une série d’actions avec les garagistes afin d’y remédier. Cela commence par une phase de transparence. Les fédérations de professionnels avec qui nous travaillons (la fédération des garagistes Fegarlux, l’association des distributeurs Adal et la fédération des entreprises de carrosserie et des métiers connexes, ndlr.) n’ont pas de données collectives, mais nous estimons que nous représentons plus de la moitié de leurs chiffres d’affaires.

Nous leur avons montré qu’il y avait une évolution des coûts de réparation, qui était en moyenne assez liée à l’évolution des coûts de la vie. Mais nous avons constaté que cette hausse était aussi tirée vers le haut par quelques francs-tireurs qui, pour des raisons peut-être justifiées à leurs yeux, facturent beaucoup trop.

Après cette phase de transparence, il faudra passer par une conscientisation des membres de ces fédérations. Nous souhaitons l’établissement d’une sorte de code d’éthique. Nos intermédiaires (agents et courtiers, voire experts, ndlr.) se font souvent reprocher de vouloir pousser à la consommation, en faisant passer dans une réparation d’autres petits dégâts qui n’ont rien à voir avec le sinistre concerné. Or, c’est également le reproche qui est exprimé à l’encontre des garagistes. Dans les deux cas, il y a une part de vrai. On est, certes, dans le marginal, mais il est clair qu’il y a des choses à redresser des deux côtés. Par ce code d’éthique, chacun s’engage à faire les choses dans la correction. Je note une réelle ouverture des deux côtés. C’est assez prometteur.

Quid de l’assurance vie, notamment internationale?

«Il y a eu un boom dans les ventes en 2009 et 2010, dans l’attente de l’adoption de toute une série de dispositions légales. Fin 2010, par exemple, a été signé l’accord sur l’échange d’informations entre les administrations fiscales, concernant directement l’assurance vie. Même si on peut considérer cette information comme étant négative pour le secteur, cela a permis de clarifier les choses, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Ce qui est important pour un investisseur amené à prendre une décision, c’est de savoir précisément à quoi il peut s’en tenir.

Au-delà de cet aspect légal, le défi pour notre secteur, sur base de l’expérience accumulée au sein des différents acteurs, c’est de faire valoir cette expertise. Je pense que la plupart des sociétés d’assurance au Luxembourg ont développé un savoir-faire suffisant. La place luxembourgeoise, dans son ensemble, jouit d’une excellente réputation. Dans l’esprit d’un investisseur étranger, surtout européen, mais aussi de plus en plus en dehors de l’Europe, le Luxembourg devient incontournable dès que l’on est à la recherche de diversification géographique.

Les stabilités politique, législative et fiscale sont autant d’éléments qui rassurent très fort un étranger qui va investir. Nous sommes convaincus que notre know-how sera suffisant en dehors des dispositions légales et fiscales en vigueur.

Il reste néanmoins quelques interrogations: comment croître sur base de nos propres forces et non pas grâce à des facteurs extérieurs? Comment trouver de nouveaux débouchés pour faire croître le secteur financier dans le domaine de l’assurance? N’oublions pas que l’assurance est considérée comme un des cinq piliers forts du Luxembourg par le Haut comité de la place financière.

Quel est, à vos yeux, le degré de préparation du secteur à la future directive Solvency II? Certaines études récentes ne semblent pas montrer un grand degré d’avancement…

«Il vaut bien voir qu’il y a, au Luxembourg, plusieurs types de compagnies. Il y a des filiales et succursales de groupes internationaux et, pour elles, la préparation est bonne. Les grandes sociétés ‘luxembourgeoises’ sont en train de se préparer elles aussi. Je ne me fais pas de soucis.

En revanche, c’est moins évident pour des petites sociétés, notamment certaines captives de réassurance, qui souvent n’emploient que deux ou trois personnes. Le problème vient surtout du fait que, lorsque l’on combine Solvency II avec les nouvelles normes comptables IFRS, les assureurs sont poussés à sortir de tout ce qui est investissements dans les marchés de type action, puisque le capital qu’il faut immobiliser pour ce genre de placement est beaucoup trop élevé.

Cela pose alors une série de questions. Car s’il ne reste plus que les fonds souverains, la rentabilité du secteur ne pourra plus s’appuyer que sur la partie technique, alors que, traditionnellement, il est aussi possible de s’appuyer sur la partie placement des avoirs des clients. La seule façon de s’y retrouver serait alors d’augmenter les marges techniques et cela se répercutera forcément sur les prix.

Une autre inquiétude vient du fait que les normes IFRS et Solvency II ne sont pas forcément homogénéisées en termes de reporting. Par ailleurs, la charge de travail est souvent sous-estimée, notamment en ce qui concerne la mise en place des processus de contrôle systématique, surtout s’il n’est pas tenu compte du principe de proportionnalité et que les mêmes règles doivent être appliquées pour les entreprises employant deux personnes ou bien 15.000. Mais le Commissariat a conscience du problème et travaille dessus.

Cela est-il source d’inquiétude sur le marché?

«Je ne sens pas forcément d’appréhension, mais en revanche un réel besoin d’accompagnement. Il suffit de voir le nombre de personnes qui assistent aux différentes séances d’information sur le sujet. Les entreprises d’assurance ont également pris l’engagement de mettre en place, en interne, une charte de gouvernance, une sorte de code de bonne conduite. Si, dans les groupes internationaux, cela se fait généralement au niveau de la maison mère, je n’ai pas le sentiment que beaucoup des autres acteurs y travaillent. Or, nous nous sommes engagés à ce que cela soit fait avant l’entrée en vigueur de la directive.

Etes-vous impatient que soit créé le nouveau statut de PSA (Professionnel du Secteur de l’Assurance, voir aussi l’article page 66) qui devrait être présenté à la rentrée?

«Oui, mais nous le voyons également dans une optique de développement pour l’ensemble de la Place. Puisque l’assurance en est un des piliers, nous avons évidemment envie qu’il se développe fortement. On voit dans le secteur bancaire que l’emploi est en stagnation, voire en léger recul, alors que l’emploi dans les PSF (Professionnels du Secteur Financier, ndlr.) augmente. Cela dénote un transfert d’activité et non pas une diminution de l’activité générale. Nous supposons qu’il peut en être de même pour les PSA.

Nous avons été fortement consultés pour l’élaboration du texte et nous avons proposé une série d’adaptations qui nous semblaient importantes, devant justement permettre de promouvoir ce nouveau statut, en termes d’obligations à respecter et de fonds propres nécessaires.

L’idée est aussi de pouvoir attirer de nouveaux types de business satellites autour de l’activité de base. Je pense par exemple aux activités de gestion du run-off (des anciens contrats souscrits sur la base de produits qui ne sont plus commercialisés aujourd’hui, ndlr.) pour lesquelles il se profile une réelle opportunité.

Sur quelles autres pistes de développement travaillez-vous?

«C’est un peu trop tôt pour le dire. En juin dernier, nous avons remis au ministre Luc Frieden une série de propositions. Il s’agit tout autant d’optimiser des choses qui existent que de nouvelles idées à mettre en place. Nous y travaillons également au sein de l’ACA.

Y a-t-il encore de la place pour l’innovation en matière d’assurance?

«Bien sûr! Récemment, un courtier a lancé un produit relatif à la santé des animaux, qui n’existait pas encore au Luxembourg. Tous les besoins de base sont couverts, c’est une évidence. Mais il reste encore des produits de niche. Je comparerais un peu notre marché avec celui de la téléphonie il y a quelques années, lorsque les opérateurs fixes se disaient qu’il n’était plus possible de grandir. Il y avait alors un téléphone par ménage. Maintenant, chaque personne qui compose un ménage possède un, voire deux appareils!

Le mélange de téléphonie et de mobilité était un nouveau concept. Je pense que, de la même façon, l’assurance en tant que telle n’apportera peut-être pas d’innovation, mais associée à un autre support, cela pourra être le cas. Il y a vraiment de la place pour l’innovation. Il faut simplement se creuser.
Les défis ne manquent pas dans les pays comme les nôtres. L’allongement de l’espérance de vie, par exemple, génère des approches différentes dans bien des domaines. Il faut alors sortir des sentiers battus et combiner des concepts pour apporter des idées différentes.»

 

ACA - «Mutualiser les efforts»

Président depuis 2010 (il avait succédé à Marc Lauer), Paul de Cooman a pu noter, ces dernières années, une certaine évolution dans le fonctionnement de l’association. «Auparavant, beaucoup de choses restaient confidentielles et chacun des membres gardait pour lui certaines informations. Maintenant, il y a une large participation collective à bon nombre de sujets qui nous concernent tous, se réjouit-il. Nous avons, par ailleurs, récemment organisé un grand séminaire interne afin de nous positionner dans les ambitions de développement de la Place. Ça aussi, c’est nouveau: nous ne nous contentons plus de réagir à de nouvelles lois, nous pensons aussi à demain. Du reste, cela répond à une demande globale de plus en plus forte de l’ensemble des acteurs de mutualiser les efforts, plutôt que de travailler chacun dans son coin.»

Marché - Retour à la normale

Publiés par le Commissariat aux Assurances à la mi-mai, les chiffres du 1er trimestre 2011 ont marqué «un retour à la normale» en termes d’encaissement, après la flambée constatée début 2010, toutes branches d’assurances confondues. Ainsi, en glissement annuel, les primes reculent de 30,86%, mais enregistrent néanmoins une hausse de 35,25% par rapport à 2009.
Ce repli sur douze mois n’a concerné que l’assurance vie (-33,58%), puisque l’assurance non-vie a progressé de 0,75%. C’est surtout l’encaissement relatif aux produits à rendement garanti qui affiche le repli le plus prononcé (-44,38%), alors que les produits vie en unités de compte ont été moins touchés (-24,21%). «Les incertitudes sur l’évolution future des taux d’intérêt, d’une part, et la stabilité relative des marchés boursiers, d’autre part, peuvent expliquer ces différences», indique le Commissariat.

Formation - Partenariat avec l’IFBL

Les différents métiers et branches d’assurances feront l’objet, à compter du 2e semestre 2011, d’une offre de formation professionnelle complète et structurée, définie dans le cadre d’un partenariat signé entre l’ACA et l’IFBL (Institut de Formation Bancaire, Luxembourg). Cette formation s’adresse tout aussi bien au personnel des compagnies et à leurs agents qu’aux personnes souhaitant se familiariser avec les concepts et spécificités du monde des assurances. La nouvelle offre est conçue de façon modulaire et propose, dans une première phase, un cycle de quatre modules dispensé par des experts-praticiens désignés par l’ACA. Ce premier cycle de cours, ciblant en priorité l’activité locale, sera complété dans une deuxième phase par des modules axés sur les produits financiers offerts aux clients en libre prestation de services.