Patrick Verhamme (Country manager, Delhaize Luxembourg) (Photo: David Laurent/Wide/archives)

Patrick Verhamme (Country manager, Delhaize Luxembourg) (Photo: David Laurent/Wide/archives)

Monsieur Verhamme, le groupe Delhaize semble très actif au Luxembourg ces derniers mois… Ouverture du supermarché à Esch Belval, ouverture à Strassen… N’est-ce qu’une impression?

«Effectivement, nous avons ces dernières années considérablement renforcé notre présence au Grand-Duché. Pour simplifier les choses, elle a dou­­blé en cinq ans. Nous avons aujourd’hui 38 maga­sins, dont 11 sont des magasins intégrés, le reste étant géré par des affiliés. Il y a cinq ans, nous n’en avions qu’une vingtaine. En termes d’effectifs, en les limitant aux magasins que nous possédons en propre, nous employons environ 500 person­nes au Luxembourg.

Quelle est votre autonomie par rapport à la maison mère belge? Comment adaptez-vous l’entreprise aux spécificités nationales?

«Au Luxembourg, nous appliquons la stratégie du groupe Delhaize, en adaptant ce qui doit l’être, en fonction des habitudes de consommation de nos clients, qui ne sont pas les mêmes que chez nos voisins belges, français ou allemands.

Mon rôle est de gérer l’équipe locale, et de créer le lien entre les services nationaux et les services bruxellois. C’est pour assurer cette bonne communication que je suis un à deux jours par semaine à Bruxelles… la plupart du temps, d’ailleurs, en réunion pour résoudre les problèmes spécifiques du Luxembourg.

Dans chaque équipe, nous avons mis en place un modèle de gouvernance: il y a un responsable luxembourgeois et un responsable belge qui fonctionnent en binôme. Les deux correspondants se voient, dans des réunions régulières, et se coordonnent sur différents projets. Cela permet d’augmenter les compétences à la fois en Belgique et au Luxembourg, dans un véritable échange d’expé­riences.

Dans quels domaines, concrètement?

«Par exemple, pour ce qui est des ressources humaines, nous avons l’ambition d’améliorer nos méthodes d’évaluation des collaborateurs. Il n’y a pas de raison que le Luxembourg ne profite pas des initiatives belges! Mais cela se fera dans le cadre de la convention collective luxembourgeoise. Le défi sera d’adapter la philosophie d’évaluation de la maison mère à la réalité locale et contractuelle du pays.

Dans le même temps, nous avons des projets qui sont strictement locaux: par exemple, tous nos magasins sont ouverts le dimanche, ce qui n’est pas le cas en Belgique. Dans la même logique, la campagne marketing pour communiquer cette ouverture a été pensée ici.

Quelles sont les différences avec les pays voisins, dans les rayons de vos magasins?

«Les consommateurs au Luxembourg ont globalement le même comportement qu’en Belgique. Les gens qui voyagent beaucoup sont à la recherche de produits exotiques et étrangers. Dans le même temps, les consommateurs attachent de plus en plus d’importance au fait de trouver des produits locaux dans les magasins qu’ils fréquentent. Ce n’est pas un paradoxe: on achète ce que l’on connaît, tout ce qui fait du sens et avec lequel on a un lien affectif… qu’il s’agisse d’une grande marque internationale ou d’une ‘petite’ marque locale.

Notre défi, dans les rayons des magasins, c’est de trouver cette balance entre la tendance internationale et les spécificités locales. Quel produit allons-nous conserver de la sélection belge? Lequel allons-nous spécifiquement choisir pour le Luxembourg? Dans chaque magasin, il est nécessaire de faire un choix sur la composition de l’assortiment proposé. C’est évidemment plus simple lorsque le magasin est plus grand, car il y a plus de mètres linéaires disponibles, donc plus de place pour offrir une plus grande variété.

Comment se fait justement la construction de cet assortiment?

«Elle se fait à différents niveaux. Nous souhaitons systématiquement avoir un premier prix: c’est le moins cher, dans une qualité standard. Nous avons ensuite la marque Delhaize: la même qualité que les produits de grandes marques, mais avec un prix inférieur de 15 à 30%. Nous avons ensuite une marque qui s’appelle Taste of Inspiration. C’est la meilleure qualité que l’on peut trouver.

Nous avons également, pour les produits alimentaires, la volonté de proposer un maximum de produits bio. Enfin, nous proposons les plus grandes marques. Le nombre de ces dernières dépend bien évidemment de la catégorie de produits. Par exemple, dans le domaine des pâtes et du café, il y a de nombreuses marques. Le rayon ‘nourriture pour bébé’ a lui un nombre de marques plus limité, au maximum deux ou trois.

Et pour ce qui est des différences, donc?

«On peut dire qu’environ 80% des produits au Luxembourg sont identiques à ceux de Belgique, avec des variations entre les rayons. L’immense majorité des produits frais sont les mêmes ou dans le rayon poissonnerie. Le rayon boulangerie, lui, n’est pas composé de la même manière: la moitié des pains proposés sont spécifiques au Luxembourg.

Dans le domaine alimentaire, on peut estimer qu’environ 60% des produits proposés sont locaux. Les marques de confiture peuvent être différentes, comme les pâtes alimentaires… Par exemple, ici, la marque Maxim est inévitable! Pourquoi? Tout simplement, et c’est tout à fait normal, parce qu’une entreprise active depuis 20 ans sur ce marché a réussi à se faire sa place et à susciter une demande.

Après Esch Belval il y a quelques mois, vous ouvrez un supermarché route d’Arlon… En quoi sont-ils différents?

«Route d’Arlon, il s’agit d’un supermarché traditionnel, qui devrait rapidement atteindre son rythme de croisière sur un axe de circulation très fréquenté. A Belval, le magasin est un peu particulier: il est proche de la France et, en plus des habitants eschois, nous visons les gens qui travaillent sur la zone d’activité, ainsi que les frontaliers. C’est la raison pour laquelle nous proposons une gamme d’alcools plus importante et plus variée que dans d’autres magasins. Nous y proposons également plus de produits traiteur et de produits frais. Nous adaptons systématiquement notre offre au contexte du magasin.

Je comprends que les magasins qui se sont installés en premier sur le site de Belvalplaza aient connu des difficultés et puissent être mécontents. Du point de vue du commerçant, il est plus intéressant de s’installer à un endroit où des habitations ont déjà été construites. Nous aurions également préféré que les chemins d’accès, et notamment l’accès direct à partir de l’autoroute, aient déjà été mis en place. Dans la logique du développement d’un centre commercial, cela aurait permis de soulager un certain nombre de soucis.

Cela dit, Bevalplaza est un centre commercial agréable, qui permet aux consommateurs de passer un moment de qualité. A l’ouverture en septembre 2010, beaucoup de problèmes avaient déjà été résolus. Les gens savent trouver le magasin, et prennent l’habitude d’y aller et d’y retourner. L’attractivité générale du site est encore sous-développée, mais elle existe déjà, et notre activité le week-end est bonne.

Nous prévoyons d’ailleurs que d’ici à cinq ans notre volume d’activité aura doublé. Il suffit de regarder les chiffres: lorsque nous avons ouvert, il y avait 2.500 travailleurs proches du magasin. Aujourd’hui, ils sont plus de 3.000 à venir travailler tous les jours. Et n’oublions pas qu’en septembre 2011, il y aura presque 1.000 étudiants supplémentaires!

Comment s’imposer face à des acteurs bien implantés, au premier rang desquels Cactus?

«Cactus, depuis sa création, s’est toujours adressée directement aux Luxembourgeois. L’enseigne a développé la grande distribution dans le pays. Il est normal que les nationaux soient sa clientèle naturelle. C’est sa force! Nous, qui sommes arrivés plus tard, adaptons notre offre aux besoins et aux attentes d’une clientèle locale devenue diversifiée.

Pour simplifier, en profils de consommation, nous avons les Luxembourgeois, les Portugais, les Français, les Belges et les Allemands. Je pense, sans être trop prétentieux, que nous avons une position de force vis-à-vis des Belges, notre offre est connue et adaptée à leurs traditions de consommation… C’est notre cible naturelle, ce sont des clients qui vont naturellement se porter vers notre enseigne. Ensuite, la culture gourmande et culinaire belge est en fait une culture française. Autrement dit, notre assortiment est bien adapté à la culture de consommation française.

La sociologie du pays change, les habitudes de consommation évoluent en même temps. On n’a jamais terminé de s’adapter au marché… L’année dernière, par exemple, nous avons doublé notre assortiment portugais et développé une campagne de communication dédiée pour le faire savoir à nos clients.

Et les Luxembourgeois?

«J’y arrive! Certains pourraient nous dire d’abandonner cette catégorie de clients à Cactus… Mais je ne suis pas d’accord… Les seniors luxembourgeois vont chez Cactus depuis leur plus tendre enfance, donc ils ne vont certainement pas changer d’habitude aujourd’hui… Les jeunes Luxembourgeois, eux, sont en train de s’installer et de faire leur choix, qui peut être différent.

Une des manières de s’adresser aux Luxembourgeois est de proposer des produits issus de l’agriculture locale, pour les produits tels que la viande ou les œufs. Ce qui de toute manière est notre intérêt: cela diminue les frais de transport et de logistique, sans compter le moindre impact sur l’environnement.
Cactus est une enseigne qui fait un bon travail. Sur tous les marchés où nous sommes présents, il y a des concurrents qui ont une approche que l’on peut juger comparable à la nôtre. Ce sont des marques qui ont une ambition de qualité dans l’assortiment qu’elles proposent. On peut citer Migros en Suisse, Monoprix en France et Cactus au Luxembourg.»

 

Parcours - A travers l’Europe
Agé de 40 ans, Patrick Verhamme est un professionnel de la grande distribution. Après des études dans le domaine des sciences économiques appliquées à l’Université d’Anvers, puis un MBA suivi à Gand, il a travaillé six ans chez GB comme directeur de magasin, puis responsable du concept supermarché… «J’y ai remodelé des supermarchés pendant deux ans. Ensuite, j’ai travaillé pour le groupe Delhaize en République tchèque pendant cinq ans, chez Delvita.» C’est après ce séjour à l’Est qu’il est revenu en Belgique, où il a été pendant trois ans category manager pour le rayon boulangerie. «J’y avais en charge la gestion et le développement de l’assortiment pour tous les produits présents dans ce rayon. Ensuite, j’ai été pendant deux ans directeur des achats produits frais pour les rayons boulangerie, traiteur, crémerie, poissons et surgelés.» C’est, enfin, en janvier 2010 qu’il a été nommé country manager de Delhaize au Luxembourg.