François Biltgen (Ministre des Communications) (Photo: Olivier Minaire/ archives)

François Biltgen (Ministre des Communications) (Photo: Olivier Minaire/ archives)

Le message à deux voix délivré par le gouvernement pour promouvoir le développement de l’Internet «nouvelle génération» aurait peut-être mérité un cadre un peu plus approprié que la salle de réunion de la Maison Cassal (siège du Service des Médias et Communications), deux fois trop petite pour accueillir l’ensemble des médias conviés à cette présentation.

François Biltgen à droite et Jeannot Krecké à gauche – était-ce un hasard? – espéraient bien toucher un auditoire le plus large possible pour présenter les grandes lignes de la stratégie de développement des réseaux Internet au Luxembourg. Tant pis, au final, si le décor n’a pas été à la hauteur! L’essentiel était ailleurs.

A commencer par la présence, côte à côte, de deux ministres dont les ressorts (les Communications pour le premier et l’Economie et le Commerce extérieur pour le second) n’ont pas forcément été compatibles, comme a bien voulu le reconnaître François Biltgen. «On a toujours, par le passé, dit que le ministre de l’Economie protégeait plutôt l’Entreprise des P&T et celui des Communications les autres opérateurs, soucieux d’assurer une saine concurrence, explique-t-il. On nous a opposés sur ce point. Or, nous avons nous-mêmes fait le constat que nous travaillons pour le même patron: l’Etat! Nous avons donc, ensemble, mené les réflexions depuis le mois d’octobre pour aboutir à ce plan d’action. Il en va de l’avenir du pays et de sa compétitivité.»

Priorité aux zones d’activités économiques

De quoi parle-t-on? D’un côté, il y a une évolution vertigineuse du média Internet et des besoins de plus en plus importants en bande passante et en vitesse de transmission. Les modems 56 ko d’il n’y a pas si longtemps que ça sont, aujourd’hui, à la technologie Internet ce que le silex est à la maîtrise du feu… De l’autre, il y a une situation pas trop mauvaise du Luxembourg en matière de technologies de l’information.

Le pays figure, ainsi, en première position en termes de taux de couverture d’Internet (selon une étude conjointe de l’Université d’Oxford et de celle d’Oviedo en septembre 2009) et à la deuxième place des pays les plus développés en matière de TIC (selon le dernier rapport de l’UIT, l’Union Internationale des Télécommunications). Sa situation géographique et sa taille constituent, en la matière, un atout clairement reconnu par l’UIT (lire encadré).

En revanche, dans la même étude signée par les universités d’Oxford et d’Oviedo, le pays pointe bien loin dans le classement en matière de vitesse de téléchargement. D’où la volonté du gouvernement de donner une nouvelle impulsion à tout cela et de positionner le Luxembourg dans les premiers rangs. L’objectif présenté début mars est on ne peut plus précis et s’articule en deux axes.

D’une part, il s’agit d’inciter les opérateurs de réseaux à offrir une connexion Internet de 100 Mbits par seconde à l’ensemble de la population au plus tard pour 2015, et de 1 Gbit par seconde pour 2020. Premier opérateur visé: l’Entreprise des P&T, propriété de l’Etat à 100% que le gouvernement a «invitée» à faire en sorte de tout mettre en œuvre pour que cet objectif puisse être effectivement atteint.

D’autre part, François Biltgen et Jeannot Krecké ont annoncé qu’il fallait améliorer sans délai la connexion des zones d’activités économiques à très haut débit. «C’est une priorité à mes yeux, explique Jeannot Krecké. Les entreprises utilisent de plus en plus les technologies de l’information pour leurs affaires journalières. Il faut aussi que les entreprises susceptibles de venir s’installer au Luxembourg aient la garantie d’une connectivité optimale. Le critère de l’accès aux autoroutes de l’information est devenu un des premiers critères de choix. Si nous ne sommes pas en mesure de le garantir, nous ne serons jamais parmi les pays où les entreprises, mais aussi les particuliers, voudront s’installer.»

L’idée est qu’à terme, l’Internet devienne une «composante» de première nécessité comme le sont déjà l’eau, le gaz et l’électricité. Il constitue, en tous les cas, un enjeu économique aussi crucial. A l’horizon 2013, le Luxembourg entend, par ailleurs, atteindre un taux de pénétration des fibres optiques dans les foyers de 30%, au même niveau, donc, que les pays les plus avancés en la matière que sont la Suède et la Slovénie.

Pas de surenchère législative

Pour parvenir à cet objectif, de grandes lignes d’action ont été tracées, devant permettre de favoriser le déploiement rapide d’infrastructures performantes par la combinaison d’une réduction des coûts d’investissement et d’une simplification des procédures. Le tout en gardant à l’esprit l’importance d’un accès ouvert et transparent aux réseaux.

C’est pourquoi le gouvernement entend appuyer la mise en œuvre de deux registres nationaux spécifiques devant servir à tous les acteurs du marché: un registre des travaux (mentionnant notamment les différentes permissions de voirie accordées pour le creusage de tranchées et l’installation de gaines ou de tubes pour y faire passer des fibres optiques ou des câbles) et un autre registre relatif aux infrastructures.

«Le premier registre est réalisable à court terme, estime M. Biltgen. Nous avons déjà eu des discussions avec les Ponts et Chaussées et nous allons étudier sa mise en place avec le Sigi (le Syndicat Intercommunal de Gestion Informatique, ndlr.). Il faut que tout soit transparent. Si la ville d’Esch ouvre une tranchée, il faut que la commune de Mondercange soit au courant, mais il faut que les opérateurs le soient aussi. Je sais combien les communes peuvent être susceptibles, parfois, mais aussi combien elles peuvent faire avancer les choses quand elles s’engagent.»

Dans le déploiement de fibres optiques, il est généralement admis que les deux tiers des coûts sont liés aux travaux de génie civil et de voirie. L’idée, ici, est que tous les opérateurs soient informés à chaque fois que l’un d’entre eux creuse une tranchée, afin de profiter du mouvement et de ne pas avoir à engager des frais supplémentaires pour rouvrir la même tranchée quelques mois plus tard.

Pour ce qui est du registre national des infrastructures – une sorte de carte routière dont l’ILR devrait, en toute logique, être le gestionnaire – les choses pourraient prendre, selon les ministres, un peu plus de temps, celui de compiler l’ensemble des informations disséminées aussi bien auprès de l’Institut de régulation que des communes ou des opérateurs eux-mêmes.

MM. Biltgen et Krecké entendent également introduire une obligation de poser des infrastructures d’accueil pour fibres optiques (gaines, tubes) ainsi que de généraliser le précâblage des nouveaux immeubles construits. Faut-il dès lors s’attendre à la mise en œuvre d’un nouvel arsenal juridique et réglementaire? «Surtout pas, indique le ministre de l’Economie, sans quoi nous perdrions deux années supplémentaires.»

L’idée est plutôt de miser sur la responsabilité et la bonne intelligence de chacun. «Je préfère développer une vraie dynamique avec les communes, complète le ministre des Communications. Il suffit, par exemple, qu’elles ne fournissent leur autorisation qu’à des projets de promoteurs ou de développeurs qui intègrent cette problématique dans leurs plans. Il faut limiter au maximum l’intervention de l’Etat. Un maire est bien plus proche de ses administrés.»

Quant à la question cruciale du financement de telles «mesures», Jeannot Krecké y répond sans détour. «L’Entreprise des P&T a déjà les infrastructures. Ils peuvent déjà faire une partie du travail. Les autres opérateurs, eux, financeront leur partie et se rembourseront avec les affaires qu’ils vont développer, selon un calcul de rendement que l’ILR va établir. En tant qu’Etat, nous déclenchons la dynamique. Les autres acteurs suivront le pas.» Il est connu que c’est souvent le premier pas qui coûte.