Selon le CNFP, la politique budgétaire du gouvernement n’anticipe pas assez les défis colossaux que le pays devra affronter à moyen et long termes. (Illustration: Maison Moderne)

Selon le CNFP, la politique budgétaire du gouvernement n’anticipe pas assez les défis colossaux que le pays devra affronter à moyen et long termes. (Illustration: Maison Moderne)

Avec 617 millions d’euros d’investissements environnementaux et climatiques, une dette publique à 23,6% du PIB et un solde positif de 154 millions d’euros au niveau de l’administration publique, soit 0,3% du PIB, le budget 2017 porte beau. Le gouvernement poursuit sur sa lancée, égrainant chaque année trois vertus: après continuité, responsabilité et solidarité, voici le triptyque qualité, solidarité et compétitivité.

La cerise sur le gâteau est même venue un mois après avec la publication des comptes nationaux au 30 septembre: le solde de l’administration centrale s’est amélioré de 43,5 millions d’euros par rapport à la même période de l’année 2015, atteignant -208 millions d’euros.

Derrière ces chiffres encourageants, il ne faut pas s’appeler Cassandre pour déceler les faiblesses d’un budget en trompe-l’œil. «Le déficit de l’administration centrale augmente sensiblement par rapport aux années précédentes, y compris par rapport à 2016», souligne Romain Bausch, président du Conseil national des finances publiques. Un déficit pour l’instant masqué par l’insolent excédent de la Sécurité sociale (883 millions d’euros) qui bénéficie de la forte croissance, avec des créations d’emplois qui maintiennent les cotisations au-dessus des prestations.

Le déficit de l’administration centrale pour 2016 devait s’établir à 400 millions d’euros. Et le budget 2017 table sur un négatif d’un milliard d’euros. Si le gouvernement met en exergue des investissements substantiels, «ils ne sont pas à l’origine de la détérioration du déficit de l’administration centrale, ni de la dette publique, ni pour l’année 2017, ni sur le moyen terme», avertit Romain Bausch. «Ils sont maintenus à un niveau relativement élevé, environ à 4% du PIB.» Leur augmentation suit la croissance et ne saurait justifier le trou que creuse l’État.

Nous savons que nous devons affronter des défis très substantiels sur le long terme

Romain Bausch, président du Conseil national des finances publiques

«La raison principale de ce déficit est bien le coût de la réforme fiscale évalué à 373 millions d’euros pour 2017», appuie Romain Bausch. Auquel s’ajoute l’impact de la fonte des recettes de la TVA sur le commerce électronique (277 millions d’euros) et de l’abrogation de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire (85 millions). Le solde de l’administration centrale restera même entre -800 millions et -1 milliard jusqu’en 2020 selon les prévisions du gouvernement.

Si la croissance devrait permettre de supporter un tel déficit, c’est le long terme qui préoccupe le CNFP. «Nous savons que nous devons affronter des défis très substantiels sur le long terme», avertit Romain Bausch. «Il faudrait vraiment que la dimension de la soutenabilité à long terme des finances publiques soit prise en considération au moment de la définition de la politique budgétaire.»

Cela vaut déjà pour la loi de programmation pluriannuelle qui, aux yeux d’experts des finances publiques, présente des carences. «Les montants maximaux des dépenses de l’administration centrale devraient être fixés dans cette loi pour la période 2016 à 2020, mais ce n’est pas le cas. Chaque année, le gouvernement publie une loi de programmation financière pluriannuelle – 2014-2018, 2015-2019, 2016-2020… – qui fait comme si la précédente loi n’existait plus et refixe le montant des dépenses pour les mêmes années. Et on ne s’en soucie pas.»

Le CNFP milite également pour que l’efficience des investissements soit réellement évaluée. «On se posait déjà la question lorsque je travaillais au ministère des Finances il y a de cela plus de 20 ans», sourit Romain Bausch.

Autre écueil à une politique sur le long terme, le gouvernement profite pour le moment du fait que le solde structurel de l’administration publique (État central + communes + Sécurité sociale), à 0,3% du PIB, reste dans les clous par rapport au seuil fixé avec la Commission (-0,5%). Un bon résultat trompeur puisque «l’objectif budgétaire à moyen terme de -0,5% du PIB retenu par le gouvernement repose précisément sur cette révision à la hausse substantielle des projections démographiques (de 730.000 à 1,1 million d'habitants en 2060)».

«Si l’on se place dans cette optique, il faut mener une politique budgétaire qui prépare les grandes infrastructures nécessaires dans les transports, l’énergie, l’éducation et la santé», plaide Romain Bausch.

Gérer les richesses éphémères

Le CNFP voudrait aussi en finir avec les écarts plus que significatifs entre les prévisions budgétaires et les comptes réels. «Cela a toujours été le cas dans le passé, il y a de potentiels biais systématiques dans la manière dont sont établies les projections en matière de finances publiques», note Romain Bausch. Exemple en 2015: le budget prévoyait un déficit de l’administration publique de 135 millions d’euros, mais selon les chiffres les plus récents le solde s’élève à un excédent de 796 millions d’euros. Le même scénario se profile pour 2016 avec un excédent de l’administration publique prévu de 269 millions d’euros et des estimations à déjà 623 millions fin septembre. Le déficit de l’État central a fondu de 43 millions à l’issue du troisième trimestre.

«Les risques de révision à la hausse ou à la baisse des soldes budgétaires restent importants pour 2017 à 2020 car les hypothèses de base sont entourées de beaucoup d’incertitudes et il est fait abstraction de nombreux risques dans l’élaboration des prévisions budgétaires», estime Romain Bausch. «Mais les risques à la hausse et à la baisse semblent plus équilibrés. À titre d’exemple, on peut mentionner les risques de prévision de l’impact de la réforme fiscale: d’un côté, la possibilité que les déchets s’avéreront plus importants qu’admis à l’heure actuelle et, de l’autre côté, les effets de second tour positifs pour les finances publiques.» Les prévisions de croissance de la Commission européenne pour le Luxembourg restent en tout cas très inférieures à celles du Statec pour les prochaines années, à 3,6% du PIB contre 4,6% en 2017 et à 3,8% contre 4,9% en 2018.

Et pourquoi ne pas réinvestir une partie de ces réserves dans les infrastructures de santé?

Le CNFP a recommandé au gouvernement de lancer une étude approfondie sur l’évolution des finances publiques sur le long terme. «C’est une des priorités du CNFP», indique Romain Bausch, alors que l’organe indépendant a bien pris ses marques depuis sa création en 2014.

Une façon aussi d’appréhender une meilleure gestion de l’argent public coulant à flots pendant les années dorées. Le Luxembourg s’est assez mordu les doigts de ne pas avoir mis en place un fonds souverain permettant de traverser la crise avec de moindres dommages. «Il y avait dans les années 1980 beaucoup de recettes dont on était sûr qu’elles n’avaient pas de caractère durable comme les accises sur l’alcool, le tabac et le carburant, mais aussi les redevances à l’époque importantes payées par la CLT (RTL) et par la SES, se souvient Romain Bausch. Si nous avions institué un fonds souverain, il compterait aujourd’hui des milliards d’euros. Mais il y aurait évidemment toujours un risque puisque cet argent est investi et placé dans des marchés qui connaissent des fluctuations souvent importantes.»

Le CNFP voit donc d’un bon œil les premiers pas du fonds souverain intergénérationnel opérationnel depuis 2015 et qui compte aujourd’hui plus de 130 millions d’euros. «Il ne faut pas se focaliser non plus sur ce seul fonds pour investir dans l’économie: la SNCI compte des réserves plus significatives qui, à la fin de l’année passée, dépassaient 600 millions d’euros», note Romain Bausch.

Quant à l’assurance maladie-maternité, dont le plafond de réserve vient d’être dépassé en raison de l’afflux de nouveaux cotisants, le gouvernement doit là encore prendre une décision sur ce qu’il peut faire de cette manne. «On peut améliorer certaines prestations, comme cela vient d’être fait, relever le plafond légal des réserves ou réduire le taux des cotisations», précise Romain Bausch. «Et pourquoi ne pas réinvestir une partie de ces réserves dans les infrastructures de santé?», suggère-t-il. Le temps de l’insouciance budgétaire est révolu, celui de l’anticipation est enfin arrivé, aidé par l’électrochoc des projections démographiques à 1,1 million d’habitants.