Personne ne veut d’usine polluante près de chez soi, mais tant qu’elle s’en tient aux limites, elle ne peut pas être arbitrairement interdite. (Photo: Licence C.C.)

Personne ne veut d’usine polluante près de chez soi, mais tant qu’elle s’en tient aux limites, elle ne peut pas être arbitrairement interdite. (Photo: Licence C.C.)

L’opposition des deux communes de la vallée de la Chiers (Korn) à l’implantation d’un fabricant de laine de roche n’a rien de surprenant, mais révèle les grandes difficultés auxquelles l’on peut être confronté si l’on souhaite remettre en question un modèle économique.

En plein processus, dit «Rifkin», et en plein débat sur la croissance qualitative ou sélective, il faut admettre qu’à première vue, l’implantation d’une fabrique de laine de roche, ça ne colle pas. Car pour un investissement de 100 millions d’euros et 100 emplois, la facture écologique et au niveau des ressources est salée.

Dans leur avis concernant la compatibilité environnementale du projet de Knauf (en allemand) présenté ce mercredi, les députés-maires de Differdange, Roberto Traversini (Déi Gréng), et de Sanem, Georges Engel (LSAP), estiment que l’usine, telle que projetée dans le dossier – soumis par Knauf et jugé lacunaire –, nécessiterait notamment 40 éoliennes pour couvrir ses besoins en électricité, alors qu’il serait déjà compliqué d’en construire trois.

Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) de l’usine, elles, correspondraient – annuellement – à celles de 71.000 voitures qui parcourent 10.000 kilomètres et même à 265.000 voitures pour ce qui est des émissions d’oxyde d’azote (NOx). Par ailleurs, Knauf, ce serait 84 déplacements journaliers de camions, notamment pour mettre les résidus au rebut à Leipzig. Sans compter les émissions d’oxyde de soufre (SOx) ou encore les résidus d’ammoniac.

Des chats échaudés

Cette réaction des élus locaux, si elle peut être considérée comme quelque peu «nimbyste», ils la justifient aussi par le fait que la région du sud du pays est d’ores et déjà particulièrement exposée à des activités industrielles. Contrairement à d’autres régions, en effet.

Roberto Traversini le résume ainsi: «Un bourgmestre est là pour assurer la bonne santé de ses citoyens.» La charge écologique et même sanitaire pour une population déjà marquée par la présence de nombreuses entreprises industrielles comme Kronospan ou encore deux centrales électriques atteindrait donc ses limites du supportable.

Georges Engel, qui souligne qu’il n’est pas opposé à l’industrie en tant que telle, estime pour sa part que «nous sommes un peu des chats échaudés (‘gebrannte Kanner’ en luxembourgeois)». La population locale a déjà eu de mauvaises expériences avec des entreprises que l’on annonçait comme prometteuses ou d’avenir.

Utiliser tous les moyens

Cela dit, la liberté d’établissement européen ne permettant pas à un État ou autre autorité de refuser à une entreprise qui remplit les critères de s’implanter, la marge de manœuvre est mince. Les deux bourgmestres reconnaissent qu’en premier lieu, ils doivent s’en tenir à la loi. Étant donné que le projet de Knauf remplirait à première vue les critères, aucune autorité locale ou nationale ne peut simplement et arbitrairement refuser l’implantation de l’usine.

En revanche, même si les nouvelles dispositions plus restrictives à la sauce Rifkin ou autres ne sont pas encore décidées, Georges Engel estime que la mesure des émissions prévues aurait été calculée en fonction de plafonds maximaux.

Or, selon lui, il faudrait aussi prendre en considération l’impact total de toutes les activités polluantes dans la région. Un calcul que Sanem et Differdange entendent faire effectuer. Par ailleurs, Roberto Traversini s’engage à vérifier tout l’outillage. Les responsables communaux pourraient notamment retarder au maximum la remise des autorisations en recourant à tous les contrôles permis par la loi ou, qui sait, même oser ne pas délivrer d’autorisations et risquer des suites juridiques.

Creuser le débat

Tandis que le ministre de l’Économie, Étienne Schneider (LSAP), et la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg (Déi Gréng), se montraient d’accord il y a deux semaines pour revoir le cadre du développement économique et sa promotion, ils bottent en touche la question de Knauf, et leurs impératifs ministériels et idéologies continuent à se heurter les uns aux autres.

Roberto Traversini, collègue de Carole Dieschbourg, tente l’apaisement et espère que les cas de Knauf, mais également Fage ou encore les décharges de crassier de l’entreprise Cloos, prévues à Differdange, alimentent davantage et de manière plus concrète le débat sur l’orientation et la promotion économiques du pays, en cours depuis des années mais jamais abouti.

Georges Engel commente les divergences ainsi: ce serait le travail d’un ministre de l’Économie d’attirer des entreprises et de créer de l’emploi, tandis qu’il appartiendrait au ministre de l’Environnement d’assurer que les normes environnementales soient respectées.

Plus vite dit que fait

Un débat qui ne saurait ignorer la question de la consommation, car comme le soulignait Étienne Schneider dans le dernier numéro de Paperjam, le ministère du Développement durable «contraint les gens à isoler leurs maisons à partir de cette laine de roche» et il n’existerait pas d’alternative moins polluante à l’heure actuelle.

Tandis que Georges Engel valide l’autre argument de son collègue que la pollution ne s’arrête pas à la frontière et que refuser l’usine pour ensuite importer la laine de roche serait hypocrite, Roberto Traversini estime qu’il faut pouvoir «discuter de tout».

Malgré des tentatives de consensus au gouvernement, les ministres et élus locaux du LSAP et de Déi Gréng sont embourbés dans une controverse délicate, à huit mois des élections. En attendant, leur partenaire gouvernemental, le DP, a été jusqu’à présent fort discret.

Il y a deux semaines, comme le rapportait le Wort, le Premier ministre Xavier Bettel aurait néanmoins rappelé que c’est l’accord de coalition de 2013 qui compte. Ce dernier préconise à la fois la «promotion de la croissance économique» et le «développement durable». Combiner les deux, c’est plus vite dit que fait.