Julien Doussot est chief product officer chez Telecom Luxembourg Private Operator. (Photo: Jessica Theis)

Julien Doussot est chief product officer chez Telecom Luxembourg Private Operator. (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Doussot, quelles missions se cachent derrière la fonction de chief product officer?

«Mes missions sont divisées d’une part dans le développement de nouveaux produits, de la détection d’un besoin pour le client à leur livraison. Je suis, d’autre part, en charge du développement international de la société, en l’occurrence, attirer de nouveaux clients via différentes démarches à l’international.

Comment ces efforts se déploient-ils?

«Nous menons un processus régulier de promotion et de démarchage auprès de sociétés étrangères. L’an dernier fut dédié à différents voyages d’affaires à travers le monde avec notre CEO, Jérôme Grandidier, mais nous avons choisi de concentrer nos efforts début 2014 sur une localisation clé: la Silicon Valley. Depuis début janvier, nous avons mis en place une représentation permanente en la personne de Sébastien Torre. Nous nous rendons chaque mois à San Francisco pour faire le point sur les prospections en cours et convaincre de nouveaux prospects de considérer l’offre de services du Luxembourg.

Sur quels éléments misez-vous pour réussir?

«L’une des clés est certainement de s’implanter suffisamment dans les réseaux d’affaires et d’influence sur place pour disposer d’une certaine visibilité. Nos visites mensuelles sont donc organisées de façon à pouvoir rencontrer un maximum de parties prenantes.

Quel est votre argumentaire lorsque vous approchez de nouveaux prospects?

«Notre discours est avant tout orienté vers l’offre de services globale du pays, permettant à des sociétés, qu’il s’agisse de start-up ou d’acteurs disposant déjà d’une taille critique, d’atteindre le marché européen. Nous voulons leur montrer qu’en leur proposant des data centers ultra-sécurisés, un environnement fiscal intéressant, un environnement technique adapté – y compris la connectivité – ou encore un environnement orienté vers les entreprises, nous sommes capables de répondre à leurs attentes. La plateforme logistique du pays intéresse aussi potentiellement les acteurs du e-commerce.

N’entrez-vous pas en concurrence avec d’autres pays européens qui se battent avec ces mêmes arguments?

«La force du Luxembourg est tout d’abord de pouvoir proposer cette offre globale vis-à-vis de laquelle peu de pays peuvent rivaliser. L’autre atout que nous mettons en avant est la multiculturalité du pays et donc la variété de la main-d’œuvre qui y travaille. Pour les Américains, l’Europe est parfois perçue comme un seul pays, une seule entité. Or, lorsque vous abordez ce marché, vous devez tenir compte des spécificités de chaque pays. Ce que nous sommes capables d’effectuer de manière centralisée depuis Luxembourg.

Les start-up présentent-elles des besoins spécifiques en matière d’hébergement?

«Elles ont effectivement des besoins à la fois plus petits, mais potentiellement extensibles rapidement. D’où notre volonté de repenser notre offre d’hébergement, sachant que notre objectif ultime est d’aider les sociétés américaines à s’installer en Europe pour accéder au marché européen. Nous constatons que les start-up ont besoin d’un espace de travail pour leurs premiers collaborateurs, sans pour autant dédier un budget à des locaux propres. D’où la mise en place d’un ICT Campus au sein même de notre siège, afin de leur proposer les moyens techniques ad hoc, mais aussi un véritable environnement de travail en entreprise, qui favorise les contacts.

Une fois sur place, notre mission est aussi de les accompagner pour rencontrer les interlocuteurs qualifiés, qu’il s’agisse par exemple de Luxinnovation, de représentants du ministère de l’Économie ou du secteur privé. Nous avons débuté ce service en janvier et nous hébergeons actuellement quatre sociétés. Il s’agit d’un démarrage intéressant pour la ‘TLPO Community’ que nous voulons former.

Les usages américains que vous pouvez observer lors de vos voyages vous ont-ils amené d’autres éléments de réflexion quant à vos services?

«On peut parler de changement de paradigme, basé sur le constat que la génération précédente de patrons de start-up et d’entreprises innovantes était caractérisée, schématiquement, par des profils d’ingénieurs demandeurs de serveurs, machines, hardwares… soit des éléments très concrets. La génération actuelle – que je qualifie ‘d’entrepreneurs développeurs’ – est demandeuse de services ‘pay as you use’ beaucoup plus personnalisés et moins liés à des concepts matériels. Cette nouvelle demande est notamment influencée par l’avènement du mobile et des réseaux. Ce qui nous a amenés à remettre en question notre business model en matière de services d’hébergement. Une réflexion dont nous venons de présenter les fruits ce 23 avril.

Quelle en est la philosophie?

«Nous avons mis en place une plateforme dédiée afin d’offrir la plus grande souplesse possible à nos clients. Elle est issue d’un partenariat avec la société américaine Jelastic. Elle fonctionne sur le double principe en quelque sorte de ‘plug & work’ et de ‘pay as you use’. Les nouveaux acteurs économiques ou les sociétés qui se lancent sur un nouveau marché ne veulent plus s’engager sur des contrats à durée déterminée, car ils ne peuvent, durant la première phase de leur développement, estimer clairement leur évolution et donc la croissance de leurs besoins techniques. On parle donc d’un service à la carte.

Est-ce une nécessité d’investir dans ce créneau maintenant?

«Nous pensons qu’il s’agit d’une demande de fond qui est actuellement tangible aux États-Unis, mais qui va rapidement gagner l’Europe. Si nous ne nous positionnons pas maintenant, nous risquons de louper le coche.

Comment comptez-vous vous démarquer sur le terrain de la sécurité des données?

«Il s’agit évidemment d’un sujet impérieux pour notre société et plus généralement le pays. Je ne peux que me réjouir du cadre légal luxembourgeois, comparé à ceux d’autres pays, qui sont moins protectionnistes vis-à-vis des données des sociétés. Les normes fixées par le secteur financier via le statut de PSF ont, par ailleurs, contribué à élever le niveau de la sécurité et des pratiques en la matière.

Je note que le législateur a eu la bonne idée de prévoir une procédure législative pour récupérer les données d’un client en cas de faillite d’un prestataire de services informatiques. Dans le même ordre d’idées, la non-limitation des clés de cryptage est un élément différenciateur. Ces éléments positifs jouent clairement en faveur du Luxembourg, ce qui incite des sociétés, et non des moindres, implantées dans les pays voisins, à songer à déménager leurs données vers le Luxembourg.

Que recouvre selon vous la notion de Big Data?

«Tout comme le cloud, dont le terme a été souvent galvaudé, il faut savoir ce que recouvre réellement ce mot. Le stockage des données, voire des métadonnées, n’est pas un problème en soi, encore faut-il trouver le moyen de les traiter et de les interpréter au travers de résultats et tendances palpables. C’est l’objet du travail de certaines sociétés, qui peuvent, par exemple, travailler sur les données de géolocalisation de téléphones portables pour identifier et atteindre des utilisateurs à un moment précis dans le cadre d’une campagne marketing.

Quid de la connectivité, qui reste au cœur des métiers de votre société?

«Nous nous sommes effectivement spécialisés dans les connexions point-à-point ainsi que l’accès à l’internet. L’internet est cité plusieurs fois par jour, mais en réalité, il n’existe pas sans interconnexions entre différents opérateurs; nous en avons plus de 500. Au-delà du hardware ou du data center, si nous voulons attirer des clients de grande envergure, nous devons être capables de leur proposer une connexion qualitative, qui se mesure en millisecondes. Sur cette base, notre offre de produits s’articule autour du data center. Pour répondre aux besoins sans cesse croissants de nos clients, nous sommes parmi les plus grands utilisateurs de Luxconnect. L’hébergement constitue donc une offre transversale importante pour notre société que nous allons décliner pour différentes cibles. Ce sera le cas au Freeport, qui ouvrira ses portes à la rentrée. Nous allons y proposer un service d’hébergement à haute sécurité pour les données ultrasensibles. Nous avons cerné le besoin pour ce marché des biens à haute valeur transitant via la zone franche, les œuvres d’art par exemple, de pouvoir stocker les données relatives aux biens exposés avec le même niveau de sécurité. On ne parlera donc plus dans ce cas de redondance, mais d’accès très limité.

Quelle est votre perception du nation branding du pays à l’étranger?

«Comme je le disais, nous vendons en premier lieu le pays lors de nos démarchages à l’étranger, avant d’expliquer notre offre de services. Nous devons privilégier cette démarche à l’échelle de tous les opérateurs. La présence lors d’événements, par exemple des salons professionnels, de différents opérateurs luxembourgeois sur un même stand étonne les prospects, qui ne sont pas habitués à ce positionnement. Que le meilleur gagne ensuite, mais nous n’avons pas intérêt à faire jouer la concurrence au stade primaire.

Quels sont les prochains investissements que le pays devra réaliser pour rester dans la course?

«Je pense que les investissements en termes d’infrastructures sont d’un niveau suffisant à ce stade. Des aménagements pour accueillir des talents pourront certainement être réalisés ou affinés. Je pense notamment à l’ouverture d’une liaison aérienne directe avec les États-Unis, qui revient souvent dans les discussions. Au même titre que les équivalences des systèmes et niveaux scolaires.

Le Luxembourg peut-il devenir un terreau fertile pour les acteurs du gaming?

«Des acteurs sont déjà présents, une certaine activité existe, mais il importe de penser rapidement à la prochaine phase d’expansion de manière structurée, en l’occurrence au niveau du ministère de l’Économie, en dédiant une équipe à cette question. La formation des collaborateurs est aussi un enjeu crucial, au même titre que la venue de talents de renom pour donner une vraie résonance internationale au secteur du gaming luxembourgeois.»

Parcours

Parcours multi-casquette

Julien Doussot fait partie des chanceux qui ont le privilège de vivre de leur passion. Le chief product officer de Telecom Luxembourg Private Operator est effectivement un mordu d’informatique au sens large. Tant sur le plan des services, qui pourront correspondre aux clients de la société qu’il a rejoint en mars 2013, que sur des aspects plus artistiques. Bien qu’âgé de 34 ans seulement, il compte déjà une certaine expérience managériale dans un autre secteur en vogue: le gaming. Il fut ainsi le CIO du studio Attitude à Paris de 2003 à 2005, avant de diriger sa branche luxembourgeoise qui a, depuis, fermé ses portes. Une expérience toutefois enrichissante à plusieurs égards, dont les contacts acquis. Comme le monde des CIO et autres experts en nouvelles technologies est un milieu où tout le monde est amené, un jour ou l’autre, à se croiser, mieux vaut cultiver un réseautage efficace.