Responsabilités en cascade, transferts de matériel ou changements de prestataires en cours de contrat peuvent parfois heurter de front le droit du travail, comme l'ont confirmé les propos échangés durant le petit déjeuner organisé jeudi par l'Association des PSF de support (APSFS) sur l'outsourcing.
De manière générale, dans sa circulaire 12/552, la CSSF décrit l'externalisation comme le transfert complet ou partiel de fonctions opérationnelles, d’activités ou de services, à un prestataire externe, qu’il soit membre du même groupe ou non. En particulier quand il y a un échange d’employés de l’entité initiale au partenaire, la question se posera si l’outsourcing ne constitue pas un «transfert d’entreprise», lequel obligerait le cessionnaire de l’entreprise à reprendre le personnel affecté à l’activité transférée, et ce aux mêmes conditions que celles accordées par le cédant avant le transfert. C’est l’article 127 du Code du travail luxembourgeois et la directive européenne 2001/23/EC qui fixent le cadre de référence.
Pour que le champ du transfert d’entreprise soit d’application, l’activité peut être principale ou accessoire, voire de support, de sorte que des services IT externalisés ne sauraient pas être exclus davantage de son champ d’application.
Transfert d’une entité
Dans ce domaine, le point important est d’établir le transfert concret d’une entité économique, équipe ou service. «Dès qu’il y a des ressources humaines ou techniques dédiées à une certaine activité, il peut y avoir question d’une entité économique», contextualise Vincent Welles, associé en droit des nouvelles technologies chez Nautadutilh et avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg.
La Cour de justice européenne a prononcé différentes jurisprudences qui ont affiné le champ d’application de la directive européenne sur ce scénario du transfert d’entreprise. Ainsi, le rachat d’un fournisseur par un autre n’engendre pas automatiquement le transfert de l’entreprise tel qu’il est défini. «Il faut généralement distinguer si les activités transférées sont centrées sur la main d’œuvre ou si ce sont les actifs qui priment. Attester d’une activité ne suffit pas. Par exemple, dans le cas d’une société de bus, il s’agira d’examiner le transfert avéré de véhicules, sans quoi il n’y aura pas un transfert d’entreprise proprement dit, même si la plupart du personnel a été transféré. Par contre, dans le scénario où c’est la main d’œuvre qui est concernée, le nombre du personnel repris par le nouveau prestataire sera déterminant». Pour se préparer et afin d’éviter le modèle du transfert d’entreprise dans un tel cas, la clé sera de réduire l’embauche d’employés en provenance de l’entité initiale au maximum et d’objectiver la procédure dans le cas de nouveaux recrutements.
Outsourcing IT
L’activité d’IT outsourcing est souvent vue comme étant principalement basée sur la main d’œuvre. «Toutefois, à mon sens, il faut également apprécier l’importance des actifs, tels que les droits intellectuels attachés aux logiciels ou autres droits pour déterminer s’il y a question d’une entité économique et, de ce fait, si l’outsourcing peut constituer un transfert d’entreprise ou non».
Dans tout contrat d’outsourcing, la première étape est de faire un état des lieux. «Je conseillerais donc de d’abord faire un diagnostic précis de tout ce qui sera transféré, ressources humaines et actifs tant matériels qu’immatériels, afin de pouvoir éviter au maximum la qualification de l’outsourcing comme transfert d’entreprise, lequel entraînerait de lourdes obligations dans le chef du prestataire de services en termes de reprise obligatoire de personnel».
Climat de travail
S’il y a bien transfert d’entreprise, dans le scénario où une entreprise A transfèrerait des employés à une entreprise B, les conditions de travail doivent en principe être les mêmes. «S’il y a des modifications substantielles, par exemple au niveau salarial ou dans les descriptions de jobs, cela peut mener à une résiliation du contrat de travail aux torts du nouvel employeur.» Quand le transfert est réellement établi, le contrat ne peut plus être résilié. «De plus, si le cédant est une institution bancaire, les employés pourront bénéficier de la convention collective de ce secteur, même si le concessionnaire, par exemple un prestataire de services IT, ne relève pas du secteur bancaire et donc n’est pas sujet à cette convention collective. Si le cédant appartient au secteur bancaire, il n’est pas possible pour le concessionnaire de licencier les employés transférés pour des raisons économiques pendant deux ans. Même laps de temps du côté du package salarial. Après cette période, l’entreprise pourra éventuellement, et en suivant une procédure stricte, adapter les conditions de travail. On procède au cas par cas».
Dans un autre cas de figure où des employés du prestataire de services sont «prêtés» sur site aux clients, qu’il s’agisse de courtes durées d’un mois ou deux, ou de plus d’un an, l’important est d’éviter de tomber sous le coup de la mise à disposition de travailleurs illégale. Un lien hiérarchique trop grand entre ces consultants temporaires et l’entreprise-client qui les accueille doit aussi être limité sous peine de voir la relation entre le client et les employés du prestataire sur son site requalifié en contrat de travail. «La frontière entre les employés 'classiques' du client et les collaborateurs du prestataire est ténue, surtout lorsque ces derniers sont souvent intégrés à tous les outils RH de l’entreprise-cliente. Encadrée par les articles 132 et 133 du code du travail, en principe, la mise à disposition de personnel par une entreprise à une autre est interdite au Luxembourg, excepté dans le cas de sociétés intérimaires. Dans la pratique, plusieurs modèles coexistent».