"Tristan & Iseut" est le 1er long métrage européen entièrement réalisé en images de synthèse. Ses parents sont luxembourgeois. Ils en sont fiers. Nous aussi.
Mercredi 24 octobre 2001, Utopolis. La salle se remplit petit à petit. Calme blanc, le public attend. C'est la présentation à un parterre sélectionné de "Tristan & Iseut", 1er long métrage d'Oniria, achevé en septembre dernier. Quatre-vingts minutes et quelque plus tard, le public est conquis par cette adaptation libre et moderne. Pour Oniria, il y aura un avant "Tristan et Iseut" et un après. La machine est lancée? après 4 ans de préparatifs.
Retour aux sources
C'est dans l'esprit de Thierry Schiel, auteur, réalisateur et producteur exécutif du long métrage, qu'a germé l'adaptation de Tristan & Iseut sous forme de dessin animé: "Cette idée me trottait dans la tête depuis quelques années déjà, avec l'envie, dès le départ, de réaliser un film de long métrage".
Le script a donc été écrit pour un long métrage d'animation, et l'histoire a évolué au fur et à mesure des contacts, qui ont permis à Thierry Schiel d'orienter la philosophie du film. "Il ne faut pas oublier qu'à l'origine, la fin de la légende est dramatique? nous avons donc dû la modifier, elle aurait été trop éprouvante pour le plus jeune public".
Dès le départ aussi, il a semblé évident que l'adaptation devait se muer en concept évolué. Ainsi est né Puck, le personnage presque central du film (outre Tristan et Iseut); facétieux, né de l'imaginaire de Thierry Schiel pour justement guider les destinées du couple d'amoureux, afin qu'ils évitent cette fin littéraire dramatique connue ? pas toujours? ? du spectateur.
Le concept bouclé, encore fallait-il trouver les moyens de financer sa mise en oeuvre. Thierry Schiel frappa à la porte du Fonspa (Fonds National de Soutien à la Production Audiovisuelle).
Convaincre les financiers et le public
Le projet, après dépôt au Fonspa, fut sélectionné. Thierry Schiel venait donc de recevoir un 1er encouragement, ouvrant la porte à d'autres espoirs? et un 1er budget extérieur. "Cet argent nous a permis de financer un pilote de 6 minutes, entièrement réalisé en dessin traditionnel. Notre investissement, financier et personnel, fut lourd, l'argent du Fonspa ne suffisait pas, notre pilote était ambitieux'", continue le papa de "Tristan & Iseut".
Pas facile, pourtant, d'obtenir le budget du Fonspa en un tournemain pour financer un long métrage de dessin animé, projet risqué en soi et premier du nom au Luxembourg? Thierry Schiel revint donc à la charge pour le convaincre de la bonne fin de l'opération avant de décrocher une aide.
Et cette première ambition affichée a payé, puisque le pilote, à l'origine de bien des bonheurs pour Oniria, fut remarqué à travers les festivals, notamment le Forum Cartoon, à Berlin' où les producteurs d'Oniria rencontrèrent François David, actuel responsable financier du groupe. Il se souvient: "Lors de ce festival, 42 films étaient présentés sous forme de pilote. Il y en avait un qui ressortait très nettement du lot: 'Tristan & Iseut'. Sa qualité déterminait les moyens techniques et artistiques des personnes qui l'avaient créé. Nous avons établi un partenariat ensemble, et mon parcours de banquier nous a permis d'avoir une force de conviction plus forte pour convaincre des banques de financer nos projets. Je ne venais pas pour faire un film ponctuellement, mais pour créer une entreprise, positionnée initialement sur Tristan & Iseut'".
Côté finances, tout semble fonctionner, puisque le budget du prochain long métrage d'Oniria, "Le roman de Renart", est "virtuellement bouclé au niveau des accords avec les banques" informe Thierry Schiel. Il bénéficiera du savoir-faire acquis par l'équipe lors de la production de "Tristan & Iseut".
"Le tout était de réussir à finir notre premier long métrage, pour gagner la confiance des acteurs financiers, tant institutionnels que privés. Notre démarche a été comprise", ajoute-t-il, suivi par Sophia Kolokouri, productrice exécutive de ?Tristan & Iseut?: "quelle fête que cette soirée d'avant-première! Après deux ans d'efforts, le moment du jugement pour le film était arrivé. Les échos ont été très positifs, on nous demandait quand sortirait le prochain film. Nous avons prouvé que nous sommes capables de le faire, de trouver de bonnes idées, des moyens, de surmonter les problèmes qui peuvent se présenter lors de la production, avec abnégation et motivation'. Au tour de François David, directeur général: "après la projection, la Commissaire européenne, Viviane Reding, m'a parlé d'images inoubliables'"
Le succès d'un film comme "Toy Story" ? 1er long métrage en images de synthèse ? a ouvert des portes et fait apprécier les images de synthèse à un large public, créant un marché, ne se limitant pas à de la poudre pour techno-freaks. Mais Thierry Schiel insiste: "nous ne nous basons pas sur ce que font les États-Unis. Leurs budgets sont différents, leurs procédés de fabrication et leur marketing aussi. Ce que nous voulons, c'est montrer l'originalité et la spécificité européenne en racontant de belles histoires, notamment issues de notre patrimoine culturel'. Un patrimoine agrémenté d'une franche dose de modernité et d'humour chez ces personnages attachants, susceptible de séduire les spectateurs adultes, d'ailleurs. Loin d'un produit purement commercial, standard, "copié sur les Américains".
Vive l'Europe!
Pas de répit pour "Tristan & Iseut". À peine né, le dessin animé doit être vendu. Sophia Kolokouri: "ça n'aurait aucun sens de ne pas commercialiser le film, évidemment. Nous devons exploiter notre produit pour pouvoir affirmer notre présence sur le marché".
Lors de présentations d'extraits, plusieurs distributeurs se sont montrés séduits, ce qui laisse présager une bonne présence dans les salles de cinéma européennes. Et pourquoi pas ailleurs? "Le film porte des messages universels, et pourrait même séduire les Etats-Unis", ajoute Thierry Schiel.
La promotion suivra, suite aux accords de distribution. Canal + et M6 font partie des partenaires, ce dernier collaborant à un clip vidéo issu de "Tristan & Iseut", dont la chanson devrait permettre de faire connaître le film à sa manière. On attend aussi avec impatience la présentation de "Tristan & Iseut" dans divers festivals. Et on ne se fait pas trop d'inquiétude. Si "Tristan & Iseut" tient ses promesses, il pourrait bien propulser Oniria au rang de leader de la production animée européenne en images de synthèse? un challenger incontournable avec qui les stars américaines de l'animation devront compter.
Animation
Technique
Le cinéma d'animation a bien évolué depuis le Blanche Neige et les sept nains de Disney. Pratiquement 70 ans se sont écoulés, et les années 1990 ont vu l'apparition d'un phénomène nouveau : on se rendait compte que si le dessin animé pouvait plaire aux petits, il plaisait également aux grands.
On pense entre autres au travail sur la pâte à modeler du studio Aardman (Wallace & Gromit, Creatures Comfort, Chicken run), aux sublimes décors de la "japanimation' (Akira, Porco Rosso, Princess Mononoke) et, bien sûr aux images de synthèse des cartons Toy Story et A bug's life (Pixar-Disney), Antz et Shrek (Pacific Data Image- Dreamworks).
Oniria a choisi l'image de synthèse. ?Tristan & Iseut? a été réalisé entièrement en animation 3D avec rendu 2D, technique utilisée pour la 1re fois pour un long métrage et qui consiste en l' "aplatissement" des images 3D afin de conserver une image classique mais de qualité exceptionnelle, supérieure, comme l'explique Thierry Schiel: "Nous obtenons une animation à 24 images par seconde, au lieu des 12 images par seconde du dessin animé traditionnel'. Le tout réalisé dans le studio grand-ducal, par 7 animateurs (depuis passés à 20) issus en partie du Lycée Technique de Luxembourg!
Développement
Une major européenne?
L'aventure Oniria commence avec Oniria Pictures, studio d'animation créé en 1995 au Grand-Duché par Thierry Schiel et Sophia Kolokouri, dont le but ultime était de produire et distribuer internationalement ses propres films d'animation.
Il faudra attendre un peu puisque, de 1995 à 1999, Oniria Pictures collabore d'abord aux productions de "majors" américaines et d'autres studios européens, qui reconnaissent son potentiel artistique.
À la veille de l'an 2000, François David, financier belge, fait son entrée à la direction générale du désormais Groupe Oniria (Oniria Pictures, Oniria Production, Oniria Film ? studio d'animation situé à Berlin se concentrant sur la pré et la post-production), dont il développe actuellement la stratégie financière.
L'année 2000 voit par ailleurs l'engagement de plus de 150 personnes, qui contribuent notamment à la création de "Tristan & Iseut" en interne, sur une idée de Thierry Schiel, également producteur exécutif ? avec Sophia Kolokouri ? mais également auteur et réalisateur du long métrage.
C'est en 2001 que la boucle est bouclée: avec la création en septembre de l'unité de distribution (Oniria Distribution), en plus d'Oniria France, le groupe s'inscrit dans le modèle des majors hollywoodiennes, capables d'assurer et de contrôler l'entièreté de la chaîne de production, de l'idée à sa commercialisation en passant par sa production.
Le petit Oniria est donc devenu grand, et en passe de réaliser son rêve du début: il a produit son 1er long métrage, réuni toutes les cartes pour mettre en place une stratégie de distribution internationale, et la critique professionnelle de "Tristan & Iseut" est à ce jour unanime.
Cash-flow
Commercialement viable grâce à la technologie
Grâce au modèle technique de production choisi par Oniria (la 3D "aplatie", voir encadré), 80 minutes de film peuvent être produites dans les studios d'Oniria endéans 18 mois. Ce raccourcissement du délai de production va de pair avec une diminution des coûts: "Alors que le dessin animé traditionnel à la main peut exiger régulièrement le travail de 200 personnes - ce qui nous serait impossible budgétairement et au niveau de la prise de risque - notre technologie nous permet d'obtenir à moindres frais une qualité de dessin exceptionnelle. Tristan & Iseut détient un record non seulement au niveau du budget, mais aussi du temps, puisque le travail de fabrication proprement dit n'a duré qu'1 an, contre 1 an 1/2 à 2 ans pour les dessins animés hollywoodiens", précise Thierry Schiel.