Le Ban de Gasperich au cœur des rivalités entre les promoteurs Flavio Becca et Éric Lux. (Photo: Olivier Minaire / archives)

Le Ban de Gasperich au cœur des rivalités entre les promoteurs Flavio Becca et Éric Lux. (Photo: Olivier Minaire / archives)

Après 10 mois de bataille épique devant le tribunal siégeant en matière commerciale dans une guerre de tranchées de plus de deux ans qui s’est passée en dehors du palais de justice, Flavio Becca a remporté lundi 22 février une victoire qui devrait être décisive dans le conflit l’opposant à Éric Lux, qui fut longtemps sont partenaire dans le développement de projets immobiliers.

Les deux hommes se sont affrontés à travers leurs vaisseaux amiraux respectifs: la société Promobe pour Becca, Ikodomos pour Lux. Du temps de l’entente cordiale entre leurs familles, ils s’étaient associés dans le fonds immobilier Olos Fund pour y regrouper leurs diverses participations, communes ou propres. L’idée sous-jacente était qu’ensemble, ils pouvaient optimiser leur capacité de financement auprès des banques. Les discussions avaient démarré en 2008 et le fonds s'est constitué un an plus tard, dans lequel les actifs sont répartis en six compartiments. Il y a les compartiments communs et les compartiments privatifs.   

En 2010 démarrent des discussions autour d’une convention-cadre pour régir les opérations de transferts à Olos de biens appartenant aux deux groupes. Des discussions interminables qui débouchent le 16 novembre 2010 sur une version définitive du contrat. Le texte est approuvé dans la foulée par le conseil d’administration d’Olos et définitivement signé le 18 novembre par les représentants de Promobe et d’Ikodomos.

Une convention, deux versions

Personne n’a à se plaindre jusqu’à l’été 2014, lorsqu’Éric Lux vient revendiquer la moitié du patrimoine d’Olos au nom d’un article 8 de la convention-cadre du 18 novembre 2010. Becca est surpris, car il considère que sa participation dans le fonds monte à 90%.

Or, la convention signée le 18 novembre 2010 entre les deux actionnaires d’Olos aurait prévu une redistribution des cartes à 50/50 («remise à parité» des deux groupes) à la date butoir du 31 décembre 2011. Flavio Becca tombe des nues et demande des comptes. Son partenaire lui exhibe la version de la convention-cadre signée le 18 novembre 2010 prévoyant une clause extinctive. Toutefois, le document approuvé le 16 novembre, soit deux jours plus tôt, ne comprenait pas cette clause de limitation dans le temps pour une remise à niveau des patrimoines respectifs.

Becca est donc perdant. Ikodomos affirme avoir investi 16 fois plus de fonds propres que son partenaire Promobe, soit 80 millions pour le premier contre 5 millions pour le second. Les efforts de financement d’Ikodomos depuis la signature du contrat-cadre jusqu’au 31 décembre 2015 seraient «largement excédentaires», soutient son dirigeant. Promobe conteste énergiquement avoir une surface financière plus limitée que celle de son désormais rival.

La Commission de surveillance du secteur financier sera contactée par les avocats d'Ikodomos qui jettent l'opprobre sur Becca et son groupe immobilier. Fin 2014, la CSSF cherche à vérifier les accusations et mandate PwC, qui est aussi le réviseur du fonds, pour établir un rapport sur les problèmes. La firme d'audit rend un rapport intermédiaire le 21 août 2015 en indiquant ne pas avoir obtenu d’informations pour vérifier l’argument avancé par Ikodomos de créances significatives non apurées sur Promobe. Ces informations seront communiquées plus tard et le rapport final de PwC est tombé le jour du jugement. L'expertise confirmerait, selon nos informations, les conclusions provisoires du premier rapport, favorable à Becca.  

La société de Becca fait pour sa part valoir une créance globale à l’encontre d’Ikodomos de 37 millions d’euros, à la fois dans Olos et hors du fonds d’investissement. C’est la guerre des chiffres et la guerre tout court entre les deux clans.

Flavio Becca «doit être protégé pour ne pas devoir partager avec Ikodomos une plus-value énorme qui est attendue sous peu pour son patrimoine privatif», écrira le réviseur d’entreprises Romain Bontemps (administrateur d’Olos Management, la société de gestion du fonds). Le dirigeant de Promobe, après avoir surmonté des difficultés énormes à viabiliser ses terrains du Ban de Gasperich, va en effet engranger les premiers succès en signant un contrat avec PwC, qui sera la première entreprise à choisir de s’y implanter. Suivront Auchan puis Deloitte.

Promobe assigne Ikodomos devant le tribunal de commerce en avril 2015 avec des prétentions en apparence très techniques: la désignation d’un administrateur ad hoc pour procéder à l’allocation des actifs immobiliers de la société Olos Fund en fonction de leur origine de propriété. De cette manière, Becca espère passer en force et faire valoir ses prétentions sur 90% des actifs, et non pas la moitié comme Éric Lux le revendique de son côté, fort d’une convention du 18 novembre 2010.

Appauvrissement?

Or, entre l’approbation du 16 et le texte qui en ressort deux jours plus tard avec le papier en-tête du cabinet Linklaters, des changements sont intervenus, à l'insu sans doute de la firme d'avocats. S’agit-il de faux confectionnés pour tromper les hommes de Flavio Becca? 48 heures avant la signature, Romain Bontemps aurait assuré aux avocats, selon un proche du dossier, prendre les choses en main. 

Un rapport des professeurs Bertrand Fages et Gilles Pillet ne laisse pas beaucoup de doutes. «On peine à croire», écrivent-ils, «que deux promoteurs aussi expérimentés aient pu imaginer que par simple effet d’échéance de l’article 8, leurs actifs propres aient vocation à devenir des actifs communs.»

Le tribunal de commerce penche en faveur de Flavio Becca, car mis à part la version de la convention-cadre du 18 novembre 2010, aucun document ni correspondance ne prévoyait de durée limitée. Au contraire, les parties, lors des discussions ayant précédé les approbations du 16 et signature du 18 novembre, avaient exclu tout appauvrissement de l’un des promoteurs ou enrichissement de l’autre.

La demande de Promobe a donc été déclarée fondée. Un administrateur ad hoc en la personne de l’avocat Philippe Denis a été nommé pour exécuter la décision prise par le tribunal de réallocation, conformément aux dispositions du contrat-cadre. Même si Ikodomos devait faire appel, la décision du 22 février reste exécutoire.  

«Ce qui permettra d’éviter toute nouvelle tentative de blocage de l’organe de gestion du fonds sur cette question par les représentants d’Ikodomos», se félicitent les dirigeants de Promobe dans un communiqué de presse.