Pour Eivør, une artiste des îles Féroé, il n’y a pas de magie sans audience. C’est aussi le public qui définit l’avenir d’une start-up. (Photo: Marion Dessard)

Pour Eivør, une artiste des îles Féroé, il n’y a pas de magie sans audience. C’est aussi le public qui définit l’avenir d’une start-up. (Photo: Marion Dessard)

Rencontre transfrontière prisée des artistes et créatifs de la Grande Région, le festival Sonic Visions existe depuis 2008. Mêlant chaque année concerts, workshops et conférences, il est organisé sur trois jours par la Rockhal et son Rocklab, centre chargé de créer des ponts entre les disciplines et de dynamiser la scène locale. Le vendredi 11 novembre accueillait un mélomane et hôte de marque pour donner le coup d’envoi du volet international: Xavier Bettel, en sa qualité de ministre de la Culture. «La musique est rassembleuse. C’est aussi une partie essentielle de nos traditions. Dans un contexte actuel fait de divisions et de tensions, il faut plus que jamais l’encourager et soutenir les artistes. Je suis contre toute coupe dans les budgets qui leur sont alloués. Au contraire. Nous avons un Film Fund, il nous faut aujourd’hui un Music Fund», a-t-il introduit dans un ancien haut fourneau, théâtre de la manifestation.

Le Premier a ensuite laissé la place à un panel dédié aux connexions à faire entre musiciens et entrepreneurs animé par Olivier Toth, CEO de la Rockhal, sur le thème «The artist as a start-up». Outre l’évidence, les uns comme les autres tirent profit de la technologie pour créer et interagir avec leur public, ils partagent différents points communs, dont l’importance décisive d’un entourage à la hauteur. «Il n’y a pas de magie sans audience. Ce qui me fait vivre, c’est la connexion avec les gens. La technologie n’est qu’un outil supplémentaire», affirme Eivør, une chanteuse des îles Féroé. Resserrer le lien avec les fans et utilisateurs s’avère crucial dans les deux cas. «Réseaux sociaux, blogs, streaming ont changé la donne. Un artiste a désormais de nombreux canaux à maîtriser, sans parler des sources de revenus qui deviennent multiples, des concerts et festivals aux plateformes en ligne», souligne Emily Gonneau, fondatrice de Nüagency, une agence de communication dédiée aux acteurs du monde artistique.

Martin Guérin, CEO de Nyuko, est de ceux qui considèrent que start-up et chanteurs sont bien plus proches qu’on pourrait le croire. Travaillant généralement sans relâche, ils doivent parvenir à trouver et miser sur ce qui fait leur force. «L’essence est la même. Aux fondations d’une start-up, on trouve souvent une idée et beaucoup de passion. Sans ces deux éléments, elle ne sera pas assez bonne. S’il n’y a pas de marché, cela signifie qu’on n’apprécie pas le produit.» Innover, se remettre en question et créer quelque chose de différent font partie des passages obligés de part et d’autre. Et Emily Gonneau de consater: «Ce n’est pas le nombre de fans qui compte, mais leur engagement et leur intérêt.»

Trouver sa place

Start-up et musiciens sont le produit de leur environnement. «Le plus important est de savoir quel genre d’artiste vous souhaitez être. Ce n’est pas quelque chose de figé. L’identité comme le contexte évoluent», souligne encore Eivør. «Dans les îles Féroé, faire de la musique était perçu comme un hobby. Nous sommes aujourd’hui plusieurs à pouvoir en vivre. Dans les petites communautés, le partage et le soutien se font presque intuitivement.»

Parfois tabous, les enjeux de la gestion financière et le développement d’une carrière doivent pourtant se poser dans les deux mondes. «Il faut à la fois un plan et une stratégie. Penser ‘marché’ n’est pas une insulte», soutient Olivier Toth.

Tôt ou tard, ces questions se posent dans la vie de l’artiste. «J’ai réalisé mon premier album à 16 ans. J’étais à mille lieues de penser en faire mon métier», se remémore Eivør. «J’aimais juste expérimenter et j’étais curieuse. La première année, je voulais simplement m’améliorer. J’ai appris à m’organiser avec le temps. J’ai testé plusieurs labels avant de trouver la formule qui me convenait. Cela prend forcément du temps. Quinze ans plus tard, j’ai enfin la bonne équipe autour de moi.» Pour Emily Gonneau, il y a, toutefois, une ligne à ne pas franchir: assimiler les créatifs à des entreprises. Ainsi, singulier par essence, l’artiste ne façonne pas ses chansons pour plaire à des clients potentiels, ses fans, mais pour exprimer quelque chose qui lui est propre. «La sincérité est le point de départ», affirme-t-elle. «C’est l’artiste qui compte, marketing, financement et communication viennent ensuite en support. Vouloir changer pour s’adapter à une tendance ou une niche émergente est dangereux.» Martin Guérin termine: «Start-up comme artistes n’ont pas tous vocation à grandir. Certains fonctionnent bien à petite échelle et c’est très bien comme ça.»