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 (Photo: Mike Zenari)

Le début de l'été a marqué, en France, le temps des auditions des soixante-six candidats à la télévision numérique terrestre (TNT) devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'autorité de régulation compétente en matière d'attribution de fréquences. Prévue d'être déployée en 2003, elle permettra, à terme, à au moins 80% de la population de recevoir 33 chaînes - payantes et gratuites - de qualité numérique, alors qu'aujourd'hui, les trois quarts de la population française doivent se contenter de six chaînes hertziennes.

Pendant ce temps-là, au Luxembourg, les politiques planchent sur une refonte complète de la loi sur les médias électroniques, tenant compte, entre autres, de l'avènement des nouvelles technologies. La révolution numérique est en marche?

De plus en plus de pas sont franchis en matière de transmission de signal audiovisuel. Bien qu'il soit encore abondamment utilisé, le bon vieux signal hertzien n'a jamais semblé aussi proche de la fin, à l'heure où fleurissent DVB-T (Digital Video Broadcast-Terrestrial, encore appelé TNT (Télévision Numérique Terrestre), DAB (Digital Audio Broadcast), DRM (Digital Radio Mondiale) et autre UMTS (Universal Mobile Telecommunications System), autant de 'nouvelles' technologies, en devenir ou déjà établies, qui feront bien vite oublier les faisceaux hertziens et les antennes râteaux de notre jeunesse?

Terre et espace

A l'heure actuelle, la diffusion classique du signal pour la télé ou la radio est essentiellement analogique. Mais le numérique est en train de prendre place, progressivement. "Avec une largeur de canal de 8 Mhz dans le spectre TV, au lieu de ne faire passer qu'un seul programme télé, d'une qualité pas toujours optimale, on est désormais en mesure de faire circuler jusqu'à 6 programmes qui seront tous de qualité digitale" résume Eugène Muller, head of TV & Radio Transmissions de Broadcasting Center Europe. L'offre est donc très importante mais, paradoxalement, le problème vient du fait qu'il n'y a pas, aujourd'hui, assez de programmes pour remplir ces multiplexs".

Ce problème pourra sans doute être réglé au fil du temps, l'offre étant certainement amenée à progresser. Ce qui, en revanche, est actuellement au c'ur des débats, c'est la façon dont doit être géré ce multiplex, sorte de portail à travers lequel passeront les programmes destinés à la diffusion.

Ainsi, à partir du moment où devra se faire une sélection à l'entrée du "tuyau", la question se pose de savoir qui assurera cette fonction de régulateur et sur base de quel cahier des charges, afin de définir, par exemple, le débit de transmission, le type de données à transporter ou la nature de certains services télécoms qu'il sera possible d'envisager.

Si, structurellement parlant, c'est à la future Autorité de régulation indépendante (ARI) qu'incombera cette mission, le législateur planche toujours sur son mode de fonctionnement précis. Avec en ligne de mire la volonté de faire en sorte que le "contrôleur" du réseau ne pourra, en aucun cas, être le même que celui qui veut transmettre un programme. Cela pouvait être légitime du temps où une fréquence terrestre était directement attribuée pour la transmission d'un programme donné. Cela ne l'est plus à partir du moment où plusieurs programmes transiteront par une même fréquence.

Au mois de mai dernier, les orientations pour une nouvelle législation sur la radio et la télévision ont été présentées par François Biltgen, ministre délégué aux communications, afin de se démarquer de la Loi sur les médias électroniques de 1991 qui, au fur et à mesure de ses différentes évolutions et mises en oeuvre, a singulièrement compliqué son champ d'application. Ne serait-ce, par exemple, qu'en matière de régulation, puisque plusieurs autorités se partagent, à l'heure actuelle, la bonne application de la loi, et qu'il faut bien reconnaître qu'il peut être parfois compliqué de savoir qui fait quoi entre le ministère, l'Institut luxembourgeois de régulation, le Conseil national des programmes ou encore la Commission indépendante de la radiodiffusion.

Le nouveau cadre réglementaire pour les télécommunications prévoit que tous les réseaux, y compris les réseaux câblés et les réseaux de diffusion numérique terrestre, seront assimilés à des réseaux de télécommunication, qui nécessiteront d'établir des conditions d'accès des programmes radio et télé à ces réseaux.

Techniquement, la télévision numérique par voie terrestre consiste à transmettre des programmes télévisés sous forme d'un signal numérique (selon la norme MPEG/DVB-T) à partir d'émetteurs placés au sol (et non par satellite ou par câble).

"Les initiatives qu'il y a eu en Espagne ou au Royaume-Uni ont été des échecs commerciaux" rappelle M. Muller, qui ne croit au succès de ce procédé que via le développement de services associés susceptibles de renforcer le positionnement commercial des diffuseurs à venir. Sans compter, aussi, un problème purement économique lié au prix des décodeurs indispensables pour la réception du signal.

"Mais il faudra aussi penser à rééduquer une partie de l'audience à utiliser le numérique terrestre, quand on sait qu'au Luxembourg la réception individuelle terrestre représente moins de 10% du marché global, et sans doute moins de 5% en Allemagne" prévient M. Muller.

Qui dit DVB dit plusieurs standards de diffusion, adaptés à plusieurs supports, la différence fondamentale se situant dans la largeur de la banque de fréquencess utilisée. Les standards les plus ?courants? sont le DVB-S pour le satellite; le DVB-C pour les réseaux câblés et le DVB-T pour la diffusion sur un réseau terrestre. Mais on peut encore trouver des standards MC/S (système de diffusion multipoint par micro ondes).

A l'occasion du grand départ du Tour de France, Broadcasting Center Europe a mis en service, à Luxembourg, un émetteur DVB-T, afin d'alimenter des panneaux vidéo géants répartis dans le centre du Luxembourg-ville. Une fois les cyclistes partis à l'assaut des Alpes et des Pyrénées, cet émetteur continuera à fonctionner et assurera la diffusion des programmes de Club RTL. "Cela nous permettra aussi de pouvoir vérifier sur le terrain toutes les prédictions de couverture théoriaues établies par des simulations par ordinateur" résume Eugène Muller.

En théorie, l'UIT (Union internationale des télécommunications) a planifié l'introduction généralisée du numérique terrestre pour 2010. "Mais il est préférable de raisonnablement tabler sur 2015" tempère M. Muller.

D'ici là - et sans doute même après - le satellite a de belles perspectives devant lui. Selon des analyses effectuées par McKinsey pour la France, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Allemagne, il y aura, en 2005, 7,3 millions de foyers, 1,3 million de petites et moyennes entreprises et 240.000 'grosses' entreprises qui ne disposeront pas d'accès DSL ou câble à large bande. Pour des raisons techniques ou économiques, certaines zones ne seront de toute façon jamais accessibles que par voie satellitaire.

Le développement du mode de transmission vidéo digital DVB est suivi de très près au niveau européen. Plus de 200 sociétés - dont la Société européenne de satellites - au travers de 30 pays, se sont associées dès 1991 pour mettre en commun leurs compétences en la matière. "On peut dire que le DVB représente un grand succès au niveau européen et qu'en la matière l'union a véritablement fait la force" constate Yves Elsen, nouveau Chief Executive Officer de Satlynx, mais qui est présent au sein du groupe SES depuis 1986? "Il faut bien avoir à l'esprit que l'évolution des normes de transmission va suivre celle des moyens de réception des services sur le marché. Ces normes s'introduisent sur la base des services offerts, et non pas forcément l'inverse. En Europe, le standard HD Mac, qui fut l'ancêtre du DVB, a été un échec commercial. Cela donne un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Mais au final, la norme n'est qu'un outil, et rien d'autre, et l'important est de se concentrer sur les services, avec une orientation 'from the market to the market' et non pas 'from the engineers to the engineers'".

Pourquoi, ainsi, ne pas imaginer des convergences, à la fois technologiques et commerciales, avec la téléphonie mobile de troisième génération, pour la diffusion de contenu vidéo? Et n'en est-il pas de même pour ce qui est des programmes radio? D'ailleurs, un des postulants à l'UMTS à Luxembourg espérait bien s'offrir l'appui de la Radio socioculturelle, diffuseur public, afin de promouvoir son futur réseau et de se donner un maximum d'atouts pour le concours de beauté.

Le DAB au point mort

Car qu'en est-il, finalement, de la radio? Après tout, dans "audiovisuel', il y a aussi "audio"? et malgré un taux de pénétration largement supérieur à celui de la télévision, qui en fait certainement le média le plus utilisé à travers le monde, on a un peu l'impression qu'il fait aussi figure de parent pauvre dans l'audiovisuel et son univers impitoyable? Il existe bien une directive européenne "Télévision sans frontières", mais pas (encore?) de texte analogue "Radio sans frontières".

En la matière, pourtant, les développements sont également spectaculaires et les perspectives très prometteuses. Il ne manque juste qu'un soupçon de volonté de la part de quelques décideurs, tant politiques qu'économiques.

A Luxembourg, on a beaucoup parlé de DAB depuis 1997, date à laquelle a été créé le "Club DAB", une asbl regroupant les six opérateurs de radiodiffusion luxembourgeois (CLT-UFA, la Radio socioculturelle, Eldoradio, DNR, Radio ARA et Radio Latina) et dont l'intention était d'assurer la réalisation et la promotion de la radio digitale au Grand-Duché.

Cinq ans après, la situation n'a guère évolué, malgré les belles promesses initiales du gouvernement luxembourgeois qui, à Wiesbaden, en juillet 1995, avait annoncé: "tout sera mis en oeuvre pour assurer une introduction rapide de la radio digitale". Le tout est de savoir ce qu'on entend par "rapidement"? car même si les blocs de fréquence sont disponibles, rien n'a vraiment avancé depuis et ce n'est pas la dernière table ronde qui s'est tenue, fin juin, entre les différents acteurs concernés - privés et publics-, qui est de nature à faire espérer une évolution positive des choses.

D'un côté, les opérateurs voudraient bien que soit lancé un projet pilote afin de "tester" le marché. De l'autre, le gouvernement voudrait déjà que soient pratiquement présentés des business plans sur des projets concrets. Entre les deux, difficile de trouver une position intermédiaire.

Introduite à la fin des années 80 dans quelques-uns de nos pays voisins, il est vrai que la radio digitale n'a guère percé, ce qui n'incite pas tellement à vouloir à tout prix s'y lancer. En cause, notamment, le prix trop élevé des récepteurs, auquel s'ajoute, semble-t-il, un autre problème de taille: celui de la pénurie, évoquée par certains, des matériels de diffusion, faute d'un développement du marché. "En matière de convergence des technologies, le mode de transmission est pourtant très attrayant. Mais il n'y a pour l'instant aucun modèle économique qui soit viable" regrette M. Muller.

Autre avancée qui pourrait faire? reculer le DAB, alors que d'aucuns pensaient que cette technologie était en mesure, d'ici à quelques années, de supplanter la traditionnelle bande FM - même si les récepteurs sont compatibles DAB et FM -, voilà qu'une autre technologie est en train de voir le jour: la radiodiffusion audionumérique dans les bandes MA (MA pour modulation d'amplitude, par opposition à MF, modulation de fréquence), soutenue par le consortium DRM (Digital Radio Mondiale), qui concerne, cette fois-ci, les gammes d'ondes moyennes et longues, plus ou moins tombées en désuétude depuis quelques années, et qui se préparent à une renaissance spectaculaire.

Le marché représente, potentiellement, quelque 3 milliards de récepteurs dans le monde, dont 700 millions fonctionnant en ondes courtes. Et au lieu d'un remplacement en bonne et due forme, une simple adaptation sur la base d'une puce très peu chère suffit pour recevoir un signal d'une qualité sonore comparable à celle d'un signal FM, plus puissant et sans brouillage aussi bien en milieu fixe que mobile.

On le voit, donc, ce ne sont pas les possibilités technologiques qui manquent, mais plutôt, à l'heure actuelle, les perspectives de réels développements concrets, commerciaux ou non. Quoi qu'il en soit, dans les bandes de fréquences traditionnelles, l'heure est à la migration vers la transmission numérique. Un processus lent, mais qui tend vers une meilleure qualité de réception et une offre de services améliorés. Il ne restera alors plus qu'à attendre le déclic?

Un peu de vocabulaire

Quoi est quoi ?

Petit glossaire de termes couramment croisés dès qu'on parle de nouvelles normes de transmission vidéo?

- Analogique: par opposition au numérique, ce système de codage établit un rapport proportionnel et continu entre l'information de départ et sa représentation codée.

- Bande passante: capacité d'un canal à transmettre un flot d'informations. Elle illustre une gamme de fréquences qu'un dispositif de diffusion peut transmettre sans affaiblissement du signal. Elle est de 5,5 megahertz en télévision et de 20 kilohertz pour le son audio "hifi".

- Compression: technique qui transforme les données, les images ou les sons en codage binaire (suite de 0 et de 1), ce qui les réduit et permet ainsi de multiplier jusqu'à 10 la capacité de transmission d'un signal.

- MPEG: acronyme de Moving Picture Experts Group, norme de compression qui permet une réduction d'un fichier image de 100 à 200 fois. MPEG1 date de 1990 et fut utilisée pour la numérisation d'images sur CD-I. MPEG2, adoptée en 1994, est destinée à la télévision numérique. Elle réduit la taille des fichiers dans un rapport de 1/15 à 1/40.

- Modulation: pour la transmission analogique, il s'agit de la transformation des caractéristiques d'un signal (sa fréquence ou son amplitude) par l'effet d'un autre signal qui contient l'information utile pour faciliter son transfert (transmission, enregistrement, reproduction).

- Numérique: pour la transmission numérique, il s'agit d'un procédé de transmission d'un flot de données binaires vers un système d'émission, en incorporant des contenus vidéo ou audio convertis à partir d'une source analogique moyennant un encodage approprié.

Legislation

Orientations à suivre

En matière de réseaux numériques, la nouvelle législation telle qu'elle est en cours de réflexion prévoit que, une fois parvenu à un contexte de "tout numérique", les fréquences de radiodiffusion terrestre, assignées par blocs de fréquences, seront attribuées selon le même principe que les autres fréquences destinées aux services de télécommunications. Ce sera au ministère ayant les télécommunications dans ses attributions d'attribuer les licences pour l'exploitation de réseaux avec assignation de fréquences.

Il est néanmoins à prévoir qu'une large partie de la banque de fréquencess pourrait être prioritairement réservée pour la diffusion de programmes de radio ou de télévision luxembourgeois (ou même, éventuellement, non luxembourgeois), destinés à rencontrer les besoin du public au Grand-Duché.

Mais, pendant la phase de transition au cours de laquelle analogique et numérique cohabiteront, le cadre réglementaire pour la diffusion de programmes par des fréquences analogiques se situera dans la continuité de ce qui existe actuellement, les assignations de fréquences restant liées à la diffusion d'un programme déterminé.

Pour l'utilisateur final, il faudra faire le choix de l'un ou de l'autre: la télé numérique nécessite de posséder un récepteur particulier. Et dans la mesure où le signal transite par la même banque de fréquences que celui de la télé analogique - mais modulée différemment - il faudra donc se résoudre à recevoir l'un ou l'autre des signaux?