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Le rôle majeur de l'industrie du conseil dans  la nouvelle économie

Le terme "nouvelle économie" commence à gêner. Il devient presque ringard d'en parler sans s'excuser d'utiliser ce terme "à la mode" et sans souffler qu'on n'a jamais été dupe des sirènes du "profit fulgurant" fondé sur une équation très simple: idée_géniale.com= Jackpot. Le Nasdaq, dans un élan de sagesse, nous a remis sur le droit chemin en crevant la bulle d'illusions qui s'étaient accumulées autour de ces nouvelles valeurs économiques: elles se révèlent désormais virtuelles, suspectes et finalement moins fréquentables. Il est donc de bon ton de s'excuser auprès de l'économie, la vraie, pour l'avoir au moins implicitement, qualifiée "d'ancienne".. Voici que la nouvelle économie se coule dans l'ancienne, et l'e-business ne serait en fin de compte que le business aidé d'une communication électronique pour la transaction.

Pourtant attention! A se laisser balancer ainsi par les vents d'une idéologie capricieuse et essentiellement financière, on risque de rater ce qui constitue sans aucun doute une tendance lourde.

Cette tendance a récemment  été analysée dans un rapport de l'OCDE. Il montre clairement qu'il n'y a pas une nouvelle économie juxtaposée à une économie traditionnelle, mais que c'est l'économie dans sa globalité qui se transforme profondément. Deux facteurs importants caractérisent cette transformation, il s'agit: d'une part de l'usage généralisé des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC), et d'autre part du rôle prépondérant de l'innovation dans les processus économiques.

Loin des discours à la mode et des effets de manche, l'analyse de ces deux caractéristiques nous permet d'évaluer la situation luxembourgeoise par rapport à cette économie en mutation et de tracer quelques perspectives en matière d'opportunités.

Caractériser la nouvelle économie par les deux facteurs précités montre la forte dépendance qui existe entre sa rapidité de pénétration dans un contexte économique donné et l'efficacité du marché du conseil. En effet, l'industrie du conseil (qu'il soit pratiqué en interne ou en externe) est sans aucun doute un vecteur essentiel pour la généralisation de l'usage des TIC et pour l'innovation au sein des organisations.

La généralisation de l'usage des TIC à tous les acteurs de l'économie

La mutation économique évoquée ci-dessus n'est pas tant une question de prouesse technique maîtrisée par quelques-uns, tels que les quelques grands groupes industriels de la place, le secteur financier ou quelques start-ups géniales? En effet, dans le contexte des TIC joue ce que les économistes appellent "l'effet de réseaux". Celui-ci est facilement explicable avec l'exemple du téléphone, une technologie qui ne prend sa valeur qu'à condition d'être suffisamment répandue. Etre le seul a posséder un téléphone n'a aucune valeur.

L'économie émergeante est une économie de réseau et elle ne décollera que si une majorité des acteurs y participent. Or, est ce vraiment le cas? A trop en parler, est-ce que nous n'en oublierions pas une réalité un peu moins "sexy"?

Ainsi, à l'analyse, on détecte rapidement des pans entiers de l'économie dont le niveau de maturité technologique est assez faible. Par exemple, en dessous de la capacité technologique et organisationnelle nécessaire à une participation active à l'e-business. A titre d'illustration, je citerai quelques-uns de ces secteurs-clés, comptant pourtant parmi les forces socio-économiques de premier plan au Luxembourg: les PME, les citoyens, les administrations publiques, les communes, les écoles, les formateurs, les institutions sociales, les hôpitaux, les petits indépendants, le monde associatif et politique.

Les professionnels du conseil ont sans doute un rôle déterminant à jouer pour élever le niveau de maturité de ces acteurs. Mais comment attaquer ces marchés qui ont un comportement très différent de ceux qu'ils pratiquent d'habitude. Le marché du logiciel et des services informatiques comprend deux parties relativement cloisonnées. La première réunit les grands donneurs d'ordre (institutions européennes et régionales, banques, assurances, grandes industries) avec les SSII et les cabinets de conseil de taille moyenne ou plus, ou les filiales de groupes internationaux. La seconde partie met en relation les PME/PMI avec des sociétés de services locales. Celle-ci est potentiellement plus large. Cependant, les relations clients/fournisseurs y sont peu formalisées et ce marché souffre à la fois d'un manque de visibilité entre offreurs et demandeurs, d'un niveau de conseil très faible et de risques importants en terme de fiabilité des solutions informatiques proposées et développées.

Le caractère stratégique du développement de ces nouveaux marchés de conseil est reconnu. Ainsi, à coté des initiatives individuelles des bureaux de conseil, nous pouvons citer différentes initiatives nationales, telles que:

la réflexion menée par la FEDIL dans le cadre d'un groupe de travail "nouvelle économie" qui a reconnu l'importance d'entraîner ces nouveaux secteurs par un conseil de qualité. L'initiative e-luxembourg entreprise par le gouvernement s'attache également à accompagner ces différents secteurs vers une généralisation de l'usage des technologies Internet.

L'initiative PRISME, plate-forme de sensibilisation et d'orientation des PME sur les questions de stratégies informatiques, initiative du Centre Henri Tudor, en partenariat avec la chambre des métiers.

L'initiative "Citizenet", extranet du citoyen, développée et expérimentée grâce à un partenariat entre la Ville de Rosport et le Centre Henri Tudor.

Cependant, une somme considérable d'efforts reste à entreprendre pour élever le taux de pénétration des nouvelles technologies. Et ce d'autant plus que ces actions sont certainement très prometteuses en matière de nouveaux marchés: certains acteurs privés ne s'y trompent pas, même si actuellement ces marchés ne semblent pas complètement mûrs. Un partenariat public/privé, ainsi qu'une certaine convergence dans les efforts entrepris constituent sans doute la clé du succès dans ce défi stratégique qu'est l'intégration de tous dans la nouvelle économie.

L'innovation au sein des organisations: une option stratégique

Le second facteur déterminant pour la mutation de l'économie est l'introduction de pratiques d'innovation au sein des organisations, et ce encore une fois, dans tous les secteurs de l'économie.

L'innovation vise à "produire, assimiler et exploiter avec succès la nouveauté en matière économique et sociale" (Schu-mpeter). L'innovation est donc l'option d'un changement radical et volontaire au sein d'une organisation. Elle peut porter sur un produit/service, une méthode de production/ distribution, l'organisation du travail, de nouveaux débouchés, ? Sur tous ces points, on voit directement l'impact potentiel des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC).

L'innovation est de plus en plus adoptée par les entreprises comme position stratégique, en combinaison avec une stratégie d'alliance qui consiste à tisser des relations de partenariat privilégiées avec d'autres acteurs économiques.

Cette évolution consacre des modifications profondes dans les entreprises et les organisations en général. Ainsi, on constate une perte de vitesse de la stratégie industrielle essentiellement axée sur la reproduction continue de processus de production optimisés. Le changement devient la règle et pour ce faire, les organisations hiérarchisées font place à des organisations plus décentralisées et plus flexibles capables de gérer, voire susciter les changements. En outre, les stratégies de blocage qui visaient à concentrer l'entreprise sur elle-même face à ses clients, ses fournisseurs et ses concurrents fait place à une stratégie d'ouverture où les frontières de l'entreprise sont de plus en plus floues et où le concurrent devient un partenaire potentiel.

Sur les deux options stratégiques que sont la stratégie d'innovation et la stratégie d'alliance, le rôle des NTIC est clairement au centre. Cette analyse est corroborée par une enquête menée en France, Belgique et Luxembourg, auprès de 25000 DSI. Celle-ci constate la nouvelle position de la fonction informatique au plus haut niveau dans la direction des entreprises.

Ainsi, le consultant informatique (interne ou externe à l'entreprise) devient un vecteur d'innovation stratégique. Ce positionnement démontre à nouveau toute l'importance de l'industrie du conseil en vue de la nouvelle économie. Il redéfinit également de manière importante, à mon sens, les compétences et les exigences requises pour ce métier.

Les compétences et exigences requises pour le conseil en informatique stratégique

Pour comprendre le défi soulevé par le conseil en informatique stratégique, il faut considérer ce qu'est le processus d'innovation.

L'innovation n'est pas juste un déclic, une simple idée géniale. Elle résulte d'un processus rigoureux. Le processus d'innovation se fonde sur la réalité de l'entreprise et vise à créer une nouvelle réalité selon un modèle créé et modifié au fur et à mesure qu'on s'en approche.

En clair, le consultant informatique ne doit pas se contenter d'un constat de la réalité (approche audit), ni de la conception d'une solution abstraite ou logicielle. Car dans ces deux cas, le client ressent comme un goût amer qui lui fait penser à juste titre que l'essentiel est peut-être dit, mais que tout reste à faire. On connaît le sort poussiéreux de ce type de résultat. Au contraire, le consultant doit participer au cheminement qui permettra de transformer la réalité, c'est là le principal défi de sa mission. Pour ce faire, il devra avoir: une position de stratège, de visionnaire, voire de politicien pour composer avec les partenaires internes et externes, avec les commanditaires de la mission de changement, une attitude de promoteur et de leader pour entraîner l'adhésion des acteurs ciblés par l'innovation, des talents de concepteur et de théoricien pour maîtriser l'évolution du nouveau concept, des qualités d'ingénieur de terrain en vue de maîtriser la mise en oeuvre de la nouvelle réalité.

Ces différentes qualités ne sont pas profondément nouvelles. Ce qui l'est davantage, c'est la nécessaire fonction d'intégrateur entre toutes ces facettes. Et si l'on peut admettre des métiers spécialisés pour traiter de telle ou telle facette, il est clair que ceux-ci doivent au minimum être capables de communiquer entre eux. Dans ce cadre, la mauvaise nouvelle est sans doute que ces capacités demandent des investissements considérables en compétences. La bonne nouvelle est que de telles missions sont très difficilement "délocalisables" tant la problématique de l'innovation est ancrée sur un terrain local, intégrant des dimensions économiques, organisationnelles, juridiques, humaines, méthodologiques et techniques.

Le succès des sociétés de conseil passera sans doute par leur capacité à intégrer l'ensemble du processus d'innovation ou à s'intégrer dans ce processus. Un processus global à forte valeur ajoutée qui va de l'analyse des potentiels d'une situation donnée à leur réalisation, et ce en tirant profit, notamment, des opportunités apportées par les NTIC.

En complément au conseil à l'innovation par les NTIC, s'ouvre un marché important de support à l'ensemble de cette dynamique. Il s'agit des services de mise à disposition d'infrastructures humaine, logicielle ou matérielle pour le développement ou pour l'exploitation des innovations technologiques. La qualité de ces services dépend fortement de la flexibilité, de la fiabilité et de la sécurité des modèles d'organisation proposés. Ce type de prestation connaîtra, dans les quelques années à venir un développement important, notamment en matière d'infrastructures d'e-business: elles devront faciliter l'accès à la nouvelle économie des secteurs en mutation comme le secteur des PME ou celui des indépendants.

Les opportunités des NTIC pour le secteur du conseil informatique lui-même

On dit souvent que les cordonniers sont les plus mal chaussés. Et en effet, parmi les secteurs cités plus haut, dont le niveau de maturité technologique ne permet pas d'envisager une participation active à l'e-business, on pourrait citer ? une large partie du secteur du conseil en informatique lui-même.

Au vu des compétences et exigences requises dans le secteur du conseil en informatique stratégique, il semble que le défi soit très important et hors de portée des petits bureaux de conseil s'ils n'adoptent pas eux aussi une stratégie d'innovation et d'alliance en tirant profit des NTIC. Ainsi, la seule veille technologique nécessaire pour se maintenir à jour semble être inaccessible à un acteur isolé.. De plus, la prospection de marchés potentiels comme celui des PME est sans doute excessivement coûteuse lorsqu'elle est pratiquée de manière artisanale.

Il existe à mon sens, au moins deux stratégies e-business (B2B) pour tenter de relever ce défi en utilisant au mieux les NTIC.

Tout d'abord, une stratégie d'inter-opérabilité. Il s'agit ici d'avancer vers le concept de "market place" des prestations informatiques. Or, pour que celui-ci soit efficace, il convient d'abord d'harmoniser les relations clients/fournisseurs (exemple: modèles de cahier des charges), voire les relations de partenariat au sein de consortium. C'est l'une des vocations du réseau SPIRAL que de tenter d'harmoniser la présentation des compétences et des services offerts par le marché, et de viser le développement de ce type de market place électronique, à destination des PME notamment.

Ensuite, une stratégie de réseau d'innovation. Un réseau d'innovation consiste à regrouper les forces de plusieurs prestataires potentiellement concurrents, en vue d'organiser des fonctions communes comme la veille et la formation technologique, la formalisation et la certification de méthodes, la sensibilisation et la promotion auprès de groupes cibles, l'échange d'expériences? Nous citons trois exemples de ce type de réalisation au niveau luxembourgeois:

- les grappes technologiques promues par le Ministère de l'économie. Par cette mesure, le Ministère encourage les investissements collectifs en matière notamment de veille commune,

- le réseau CASSIS, qui regroupe les consultants en informatique stratégique et e-business pour les PME au Luxembourg,

- le réseau NOTITIA qui regroupe des informaticiens de plusieurs administrations luxembourgeoises en vue d'échanger des expériences et des capacités de formation et de veille.