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On avait promis beaucoup, on avait promis trop. Amazon.com devait emporter dans sa fureur conquérante toutes les pauvres anciennes librairies de «l'ancien monde». On donnait peu de chances de survies aux chaînes traditionnelles. Le particulier allait se précipiter sur l'ordinateur, le téléphone portable, toutes les web-boxes et autres terminaux de connexion au réseau pour devenir des «e-commerce-addicted» en moins de temps qu'il n'en fait pour cliquer sur le bouton «acheter». Raté, loupé.

Aujourd'hui, des entreprises spécialisées ont créé des indicateurs qui mesurent le niveau de forme du secteur en fonction du nombre de start-ups ayant mis la clé sous la porte. C'est dire. Une fois fait le constat de sa faiblesse actuelle, il faut pourtant se demander si cette nouvelle économie n'était qu'un mirage à oublier rapidement, ou simplement un moment de folie, prémices d'une autre révolution, plus silencieuse, plus discrète, mais d'autant plus forte et irrésistible qu'elle se fera oublier. 

Retour sur quelques mois de folies

Début 2000. Date bénie pour certains. Les entreprises.com se créent à la pelle. Idées, audace, tout est permis. Des projets se montent de partout en Europe et aux Etats-Unis. Les valorisations boursières progressent par dizaine de pour-cent. On se bat pour devenir l'actionnaire de Yahoo!, de Multimania et autres consorts. L'euphorie ne durera en fait que quelques mois. Très rapidement, la tendance boursière se renverse. On commence à demander des comptes aux gestionnaires et autres arrogants des jeunes pousses. Tout n'est pas de recevoir quelques millions, mais d'en revoir la couleur, accompagnés de la prime pour le risque pris.

Que s'est-il passé pendant ces quelques mois? Certains y voient la simple conjonction chronologique de deux événements séparés. D'un côté la maturation de technologies apparues depuis longtemps: Internet, les ordinateurs? De l'autre, une reprise de la croissance mondiale, la disponibilité de capitaux prêts à s'investir dans tout projet porteur de bonne rentabilité ultérieure.

D'autres y ont vu un élément déclencheur d'autre chose, de ce qu'il convient effectivement d'appeler «économie». Ce qui s'est passé à ce moment, c'est la charge d'un certain nombre de personnes vers ce qui semblait un «eldorado». Cette course a été rendue possible grâce à un accès au financement qui aurait auparavant été impossible, dans des conditions traditionnelles. Et qui dit non-traditionnelles, dit nouvelles.

Frayeur et réveil des acteurs installés

Durant ces quelques mois, la presse s'est fait l'écho régulier des promesses de cette nouvelle industrie. Les cabinets d'étude multipliaient les annonces de croissances exponentielles des différents segments de marché. Face à tant d'enthousiasme, de nombreux groupes «installés» se sont sentis remis en cause. Si les effets concrets dans leur activité n'étaient pas sensibles à l'époque - et dans beaucoup de domaines ne le sont pas encore aujourd'hui -? la pression médiatique était telle qu'ils se devaient de réagir, ne serait-ce que pour sauvegarder un cours de bourse chahuté par des investisseurs sous influence. Ils réagissaient d'autant plus que ces «champs inexplorés» étaient l'occasion pour de jeunes cadres de ces grandes structures de tenter de se soustraire à certaines rigidités. Aujourd'hui, les passions se sont calmées, mais la compréhension d'Internet est plus efficace chez ces organisations qu'à l'époque? Les stratèges ont réfléchi, de nombreux cadres et dirigeants se sont convertis, la puissance de ces grandes machineries s'est mise en marche, bref, le mouvement est lancé.

Mais que s'est-il réellement passé?

La folie Internet ? ce qui y a ressemblé en tout cas? - a été un phénomène «collectif» réel. Tous les comportements ont-ils été aberrants? Fallait-il dépenser autant, investir de telles sommes, avec ce qui semble aujourd'hui de l'inconséquence à beaucoup de personnes?

Comme il a été dit au cours de la conférence, derrière un phénomène global peut-être erratique, il y avait malgré tout un fond de logique et de raisonnement.

Pour faire une analogie avec une autre période «folle» de l'histoire, on peut citer les différentes ruées vers l'or. Le pari était de s'installer sur une parcelle dont on est propriétaire, dans une région réputée aurifère. La parcelle était-elle sur un filon' Aucune idée. Mais on était dans la bonne région. Que faire pour augmenter ses chances de succès?

Certainement pas de faire des prélèvements exploratoires? Le temps de faire ses analyses, un plus rapide et plus chanceux aurait pu acheter le terrain. On avait donc à s'endetter pour pouvoir bénéficier de la parcelle la plus grande possible, de sorte que l'on augmentait en proportion ses chances de décrocher le        bon filon, celui qui ferait de vous le milliardaire de la décennie.

Internet a généré cette même folie. Il y avait une certitude: on se trouve face à un territoire vierge de toute occupation. Le premier arrivé est le premier servi. L'important est d'y être, de prendre le plus de surface possible. C'est une fois installé que l'on s'est préoccupé de la qualité de la parcelle choisie. Mon marché est-il réel' Le rythme d'adoption des nouvelles technologies dans mon secteur est-il suffisant en regard de mes dépenses et de mes moyens financiers?

Prenons un exemple. Celui des places de marché. De nombreuses personnes (y inclus l'auteur de l'article) ont vu dans cette industrie,  potentiellement une des  plus florissantes. Utiliser Internet pour agréger tout un secteur économique et lui permettre d'optimiser ses échanges en prélevant sur chaque opération une dîme de passage?. Quelle idée géniale. Dans l'enthousiasme, certains s'emportaient. Ainsi, Keenan Vision Inc., un cabinet de conseil, prévoyait: «new Internet sites will bring together buyers and sellers in online marketplaces called Internet exchanges, which will manage $1.7 trillion, or 14.3%, of United States gross domestic production in 2004. Keenan Vision estimates the population of exchange sites will grow from 1,000 in 2000 to 4,070 in 2004, and the number of exchange memberships to will surge from 400,000 in 2000 to 12.2 million in 2004, creating an opportunity for exchange operators to control $129 billion in value-added services.» 4070 places de marché en 2004? pour les Etats-Unis uniquement. On devait d'abord à l'époque s'incliner devant la précision de la prévision (un peu de mauvais esprit ne fait jamais de mal'). L'étude fut publiée en avril 2000. En septembre de la même année, une «update» de l'étude maintenait cet objectif, et prévoyait le double pour le monde entier.

Aujourd'hui, d'autres prévisions moins optimistes et certainement plus réalistes ne voient qu'une petite centaine de places de marché survivre à la période d'écrémage qui a commencé.

Qu'a-t-on fait depuis? On s'est rendu compte que les PMEs n'abandonnaient pas leurs méthodes traditionnelles de fonctionnement du jour au lendemain pour les transférer en ligne. On s'est rendu compte que les solutions technologiques à développer étaient pointues, chères en main d'oeuvre, en temps, et patience?

Les places de marché ne sont qu'un exemple? Il s'agit d'un signe que les modèles économiques ne s'affinent qu'au contact de la réalité du terrain.

Autre exemple? Le modèle publicitaire. Au plus fort de l'abandon, presque la totalité des jeunes pousses créées voulaient se financer via de la publicité. Résultat? Souvent un échec. Pourquoi croire que la publicité financerait tout? Pour une raison simple. Pour la première fois, un média permettait à l'utilisateur d'interagir de manière directe et rapide avec le message de l'annonceur. On pouvait non seulement s'informer, mais également réellement rentrer dans un dialogue (avec comme but ultime, évidemment, la conclusion d'un échange, d'un achat). La pratique a démontré l'entrain lent des internautes à commander en ligne, par rapport aux espérances des entrepreneurs.

Mais alors, elle a existé ou pas

 Il n'y a pas de véritable réponse aujourd'hui, c'est encore trop tôt. Les différentes réponses sont fonction des convictions de chacun. La chose certaine, c'est que l'on est entré dans une (r)évolution de l'économie dont on n'a encore que peu idée. L'arrivée à une certaine maturité des technologies de l'information et de la communication font que les processus économiques vont évoluer grandement.

On restera dans une économie traditionnelle en ce sens qu'elle sera régulée par une offre et une demande. On en sortira par le fait que la matière sera de moins en moins le lieu de la valeur, mais que celle-ci se retrouvera dans le service et la plus-value pour le consommateur. Les véritables effets, eux, ne seront sensibles que d'ici à quelques années. Si ce n'est que quelques décennies.

Souvenons-nous de la machine à vapeur ou de l'automobile.

Les participants à la table ronde étaient répartis en deux grandes catégories: investisseurs ou représentants d'investisseurs, et entrepreneurs ayant il y a peu de temps lancé leur entreprise.

Du côté "investisseurs", on retrouvait: M. Alexandre Codran et Mme Isabelle Schlesser, représentant Business Initiative (http://www.123go.lu); M. Gerard Lopez, de Mangrove Capital Partners (http://www.mangrove-vc.com ? voir la coverstory); M. Wittamer, représentant BGL Investment partners (http://www.bip.lu); M. Carlo Rock, représentant Linéo Venture. Du côté "entrepreneurs", on retrouvait: M. Guy Kerger, ancien du CRP Henri Tudor, fondateur de Mindforest (http://www.mindforest.com); M. Denis Harscoat, fondateur de Zden (http://www.zden.com) et M. Laurent Kratz, fondateur de Neo Facto (http://www.neofacto.lu et http://www.lesfrontaliers.lu)