Christian Carbonne (photo), Patrick Goldschmidt, Sonia Hoffmann, Martin Stoz et Dana van der Zee ont partagé leurs avis sur les différentes statégies de communication dans le dossier Communication de l'édition de mars de Paperjam2. (Photo: Julien Becker )

Christian Carbonne (photo), Patrick Goldschmidt, Sonia Hoffmann, Martin Stoz et Dana van der Zee ont partagé leurs avis sur les différentes statégies de communication dans le dossier Communication de l'édition de mars de Paperjam2. (Photo: Julien Becker )

Après plusieurs années de tâtonnement, la communication digitale semble enfin passer à la vitesse supérieure en se différenciant et en complétant la communication classique. Les responsables de communication et de marketing, s’ils ne sont pas encore tous des digital natives, sont globalement rajeunis et les outils digitaux ne leur font pas peur. Une évolution qui aura mis du temps à être pleinement admise et où Luxembourg figure plutôt dans les suiveurs que dans les précurseurs.
Ainsi l’opérateur téléphonique Join ambitionnait de n’utiliser que des canaux digitaux, «mais on s’est vite aperçus que le public n’était pas encore prêt», constate Sonia Hoffmann, chief marketing, qui considère son service encore en «phase d’apprentissage», après seulement un an d’existence. Newsletters ciblées (B2B, B2C, pour le Luxembourg et pour la Belgique); site web développé en responsive design; forte présence sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube, LinkedIn) et bientôt une application spécifique: l’arsenal développé par Join en peu de temps montre l’importance de ces canaux.
«Aujourd’hui, on ne peut plus considérer la communication digitale comme une entité différente. Elle fait partie d’une démarche d’ensemble à 360°», indique Dana van der Zee, digital marketing and online sales chez ING Luxembourg. «Les supports se complètent et se renforcent les uns avec les autres, dans une réflexion globale.» Ainsi, le blog mymoney.lu, créé il y a un an, approche les questions financières de manière pratique et proche de la vie quotidienne. Les sujets abordés sont régulièrement liés à des thématiques de campagnes publicitaires ponctuelles (prêts immobiliers, Autofestival, transactions en ligne, etc.) et également partagés sur la page Facebook de la banque. «Avant, l’essentiel des campagnes allait vers le print. Aujourd’hui, le digital prend clairement le dessus.»
«Le parcours client dans le tourisme passe forcément par le digital. Le client attend de nous d’être présents sur ces supports, que ce soit web ou mobile», souligne Christian Carbonne, marketing manager chez Luxair, qui constate que les investissements dans le domaine croissent d’année en année. Il confirme que la démarche de communication, qu’elle soit digitale ou non, «doit être globale et homogène pour raconter la même histoire, de différentes façons, sur différents supports, à différentes cibles».
Dans un domaine non commercial également, «la communication digitale connaît une croissance importante, mais le print reste essentiel pour une grande partie de la population», insiste Patrick Goldschmidt, échevin à la Ville de Luxembourg, notamment en charge des questions informatiques. «Pour chaque campagne, chaque communication, le service Communication choisit les canaux en fonction des cibles.» Ainsi, diverses newsletters existent sur des thématiques ponctuelles (les chantiers par exemple) et une communication immédiate par SMS est en train d’être testée pour le service des bus.
Les personnes à besoins spécifiques, aveugles notamment, sont également aidées par le biais d’application pour smartphones; des applications ponctuelles (Fouer) ou des services pratiques (SMS4Ticket, horaires des bus, localisation des Vel’oh, etc.) connaissent un grand succès auprès des utilisateurs. De nombreuses autres applications – vente de billets de théâtre, plans interactifs – sont à l’étude.

Adaptation des contenus

«Je suis en relation directe avec le product marketer qui travaille sur les campagnes. Les budgets sont mis en commun pour optimiser et voir, campagne par campagne, où mettre les ressources, dans le print, le digital, voire le street marketing», explique Dana van der Zee, qui constate que le digital n’est pas forcément le média le plus adapté à chaque produit ou service.
Le digital apparaît comme plus immédiat, mais pas moins cher. La création de contenu, notamment photo et vidéo, peut s’avérer au moins aussi coûteuse que pour le print et nécessite des compétences spécifiques. «La publicité dans les magazines ou sur les affiches est perçue comme telle. Alors que sur les réseaux sociaux, les gens veulent de l’information et du concret. L’écriture n’est pas la même, les sujets non plus», confirme Sonia Hoffmann. Les réseaux sociaux induisent une autre forme de communication et d’autres types d’informations. «Les messages de la Ville sur sa page Facebook, qui compte près de 50.000 fans, sont beaucoup plus relax, moins cadrés», confirme Patrick Goldschmidt. «Le post sur Facebook doit être informatif, utile et sympathique et ne peut pas être assimilé à de la publicité», ajoute Sonia Hoffmann.

Luxair peut se vanter d’être la première marque sur Facebook au Luxembourg, avec plus de 52.000 fans. «Plus la communauté est importante, plus il est difficile de l’exploiter et de l’engager», tempère Christian Carbonne. Une analyse fine a permis de voir que ce ne sont pas les mêmes messages et les mêmes informations qui suscitent l’intérêt sur les réseaux sociaux et ailleurs. La présence sur les réseaux est pour beaucoup de marques l’occasion d’acquérir de la notoriété et du capital sympathie.
«Dans le secteur du tourisme, où l’acquisition client est chère et où le parcours d’achat est long, nous travaillons sur la préférence de marque en donnant des raisons de nous préférer à nos concurrents», détaille le marketing manager de Luxair. Une manière de communiquer qu’Inowai a également mise en place, notamment pour toucher le marché résidentiel. «Nous proposons des e-books avec des conseils pour bien vendre ou acheter. Une manière de nourrir la relation au client pour que Inowai lui vienne à l’esprit quand il sera vendeur», détaille Martin Stoz, marketing manager. Même idée avec la chaîne Youtube de Luxair qui fait découvrir des destinations en quelques minutes et le développement de city guides sur l’application mobile.

Plus récemment apparu dans l’arsenal des réseaux de communication, Twitter apporte d’autres types de contacts et nécessite donc une autre communication. Ce dont Christian Carbonne a bien conscience: «Pendant longtemps, le compte Twitter était la copie du compte Facebook. Mais aujourd’hui, nous mettons en place un contenu spécifique à ce canal, plus immédiat, comme les informations sur les retards d’avions.»
Quant à LinkedIn, il apparaît comme le canal le plus sérieux. Dana van der Zee résume: «À chaque canal, sa cible, son moment et sa manière de communiquer: Facebook est plus convivial, Twitter plus corporate, LinkedIn plus professionnel.» Il faut non seulement un contenu adapté, mais qui soit aussi facile d’accès et qui apporte une plus-value: «Il faut éviter d’ajouter des étapes ou des informations inutiles. Sinon, on voit le taux d’abandon grimper», constate Christian Carbonne.
Qui dit réseau social dit aussi réactivité et immédiateté. «Contrairement au call center, Facebook est ouvert 24h/24», sourit Sonia Hoffmann (Join) qui utilise Facebook pour son service client. «Il se sert de tous les canaux qu’on lui offre: le client essaye de téléphoner, il envoie un e-mail et un message sur Facebook, voire un courrier. Il faut donc que les contacts soient centralisés et que les réponses soient cohérentes.»
La réactivité est non seulement une attente des clients, mais est aussi utile aux entreprises: «On attend de nos clients un feed-back constructif sur les produits et services existants voire, à terme, qu’ils participent à la création d’une campagne», espère Sonia Hoffmann. Grâce, ou à cause de cette immédiateté, les réseaux sociaux sont le lieu de tous les dangers en matière d’e-réputation. «Avec le digital, le consommateur devient acteur et se sent copropriétaire de la marque», estime Christian Carbonne, qui rappelle les mésaventures de Nestlé avec l’huile de palme dans certains chocolats. Les sites de recommandation et les commentaires des autres clients sont plus scrutés que jamais.
«Les mauvais commentaires peuvent aussi être utilisés et retournés à notre compte», raconte Dana van der Zee, qui se souvient qu’on a beaucoup reproché à ING de ne pas avoir d’application pour Android. «Quand elle a été disponible, on a invité les mécontents à la tester avant sa sortie… Ils sont devenus des fans!»

Avec quelles ressources?

En la matière, il est une règle d’or absolue: ne jamais laisser un client insatisfait sans réponse. «Il faut reconnaître ses erreurs et être honnête», estime Martin Stoz. «Ne pas répondre à chaud, mais ne pas tarder à répondre», ajoute Sonia Hoffmann. «Donner des réponses transparentes», complète Christian Carbonne. Il remarque aussi que les clients se répondent entre eux et sont les meilleurs défenseurs de la marque. Avec des canaux de plus en plus spécialisés, il importe d’avoir les ressources nécessaires, en termes financiers aussi bien qu’en termes humains. Les ressources allouées à la communication digitale sont généralement difficiles à quantifier, car peu d’entreprises voient les attributions du service Communication et Marketing de manière aussi précise.
Si à la Ville de Luxembourg, le service Communication englobe deux personnes uniquement pour le digital, les divers autres services fournissent du contenu qu’ils veulent voir en ligne. En outre, les services informatiques et le service e-City, qui comprend 10 personnes, sont concernés pour les aspects plus techniques et plus conceptuels. À titre de comparaison, l’échevin cite la Ville de Strasbourg, où 10 personnes sont mobilisées uniquement pour la communication digitale avec un budget de 700.000 euros par an pour le webmarketing.
Martin Stoz, chez Inowai, apporte quand même un éclairage chiffré: «Je suis la seule personne chargée du marketing et le digital correspond à 15% de mon temps et 15% de mon budget.» Il se voit en outre aidé par un community manager pour les réseaux sociaux et doit aller à la pêche à l’information dans les différents départements pour nourrir le contenu. «Le marketing digital demande un effort constant, une présence régulière. C’est très chronophage, ce dont les directions ne se rendent pas forcément compte.»

Ce que confirme Dana van der Zee, qui travaille dans un département de quatre personnes en marketing direct: «Il ne suffit pas de dire qu’on va créer une page Facebook, il faut la nourrir et la nourrir régulièrement de façon intéressante.» Tous déplorent que les autres départements ne sont pas forcément enclins à fournir du contenu. «Ce n’est pas leur priorité.»
Un constat que partage Christian Carbonne: «Il y a un décalage entre les ressources disponibles et le chantier à fournir.» Ce qui pousse certaines sociétés à externaliser une partie du travail. «C’est un partenaire externe qui est chargé de la modération sur les réseaux sociaux.» C’est aussi le cas de Join, dont le site B2B est géré à distance alors que le site grand public est réalisé et nourri en direct. C’est le cas aussi des réseaux sociaux: «Tout le monde a accès au site, y compris nos partenaires lors d’événements ponctuels», affirme Sonia Hoffmann, qui fait confiance à ses équipes pour suivre les lignes corporate. «Il faut parfois recadrer, souvent corriger les fautes, mais le contenu est plus riche et plus vivant.»
De nouveaux métiers et de nouvelles compétences ont émergé ces dernières années, qui vont devoir être encore développés et intégrés aux équipes. Il ne s’agit pas seulement de l’aspect technologique, mais aussi de la valeur ajoutée du contenu: «On est passé du content au rich content et au brand content, qui servent la marque en étant utiles au client», établit Christian Carbonne. Impossible donc de tout faire, d’offrir tous les services en digital, même si la technologie le permet. «Ce n’est pas parce qu’on a quelque chose à communiquer que cela intéresse forcément les gens», soupire Patrick Goldschmidt en constatant la multiplication des publications existantes.

Des données pour des cibles

Outre la qualité du contenu, la communication digitale doit être précisément ciblée: «Avoir un bon contenu ne suffit pas, il faut toucher les bonnes personnes», estime Dana van der Zee, qui considère que l’exploitation des données sera le prochain enjeu du marketing digital, où l’éthique et les chartes internes (particulièrement sévères dans le monde bancaire) doivent garder toute leur place. Elle complète: «Les départements Marketing sont de plus en plus occupés par des analystes qui regardent les chiffres: où mettre l’annonce, dans quelle langue, avec quel ROI…» Dans un marché aussi fragmenté et morcelé que le Luxembourg, ces analyses s’avèrent indispensables, mais complexes à mener. «Le rêve ultime est de s’adresser à chaque personne de manière personnalisée.»
C’est pour être maître de ses données que Join a développé une plateforme de type réseau social où les membres (environ 500 à ce jour, alors que la page Facebook compte près de 6.000 fans) peuvent partager des photos et des commentaires, participer à des jeux et gagner des points pour avoir des cadeaux. «Contrairement à la page Facebook, ici les données nous appartiennent et peuvent être utilisées pour différentes campagnes. Le client veut être considéré comme une personne unique et non comme un numéro. Mieux le connaître c’est mieux le servir.»
De son côté, Luxair est en train d’implémenter un nouvel outil CRM (customer relationship management) qui devrait lui permettre de mieux connaître les consommateurs à travers des données personnelles et transactionnelles. «La finalité est de mettre en place une meilleure segmentation des clients pour leur proposer des offres qui leur correspondent et un traitement en fonction de leurs attentes», détaille Christian Carbonne.
La difficulté d’avoir des statistiques et de les analyser est constatée par tous: «Les données existent, mais personne n’arrive ou n’a le temps de leur donner du sens», regrette Sonia Hoffmann. «Il est temps que la big data devienne de la smart data, d’autant que 20% des données expliqueraient 80% des comportements des consommateurs», renchérit le représentant de Luxair, qui sait à quel point connaître le parcours client est essentiel.

Relation client
Les données au pouvoir
Pour atteindre ses objectifs commerciaux ambitieux, Luxair est en train de mettre en place une stratégie CRM et une nouvelle plateforme de relation client.

Elle aura nécessité plus d’un an de travail et des ressources «conséquentes», selon les termes de Christian Carbonne, marketing manager chez Luxair. La nouvelle plateforme de relation client devrait être opérationnelle dans le mois à venir. «Elle permettra de reconnaître un client et son profil au moment où il entrera en contact avec nous, ce qui nous donne la possibilité de lui apporter un service/un conseil sur mesure», détaille-t-il. La constitution d’une base de données de l’ensemble des clients des marques du groupe Luxair servira également de base aux futures actions marketing, qui pourront dès lors être personnalisées dans les offres et les messages. Une segmentation des clients selon le type de consommation (fréquence des vols, destinations, historique des achats, problèmes éventuels, etc.) et leur profil social permettra de répondre de manière nuancée à leurs demandes: un client «gold» attendra moins longtemps au call center. Ce projet a mobilisé toute l’entreprise (services Relation client, Ventes, Marketing, etc.), pour offrir une vision globale/transversale des clients, prospects et partenaires. «Il va de soi qu’il y a eu un travail d’évangélisation dans l’entreprise, qui passe par des objectifs communs et une implication de l’ensemble du personnel, mais celui-ci comprend que la technologie est là: car soit on l’embrasse, soit on la regarde passer avec les risques que cela sous-entend.» «L’expérience client fait désormais partie intégrante de l’offre, à l’instar du marketing produit qui doit désormais s’intéresser davantage à l’usage d’un produit ou service plutôt qu’à ses attributs, et ce afin de fidéliser durablement des clients de plus en plus volatils.»