Marcel Gross (Photo: Andrés Lejona)

Marcel Gross (Photo: Andrés Lejona)

Monsieur Gross, vous êtes à la tête des P&T Luxembourg depuis 2002. Qu’est-ce qui a changé, depuis tout ce temps, dans la façon d’occuper vos fonctions?

«Ce qui a surtout changé depuis mon arrivée au sein de l’entreprise, c’est que nous sommes passés du statut d’administration à celui d’entreprise. Encore qu’il n’y a pas nécessairement tant de différences que ça, puisque nous avons toujours été une administration d’exploitation, c’est-à-dire apportant un service aux clients. Nous avons toujours constamment été en relation directe avec le client même si, dans le temps, il s’appelait ‘abonné’. Ces dix dernières années, le changement est surtout venu avec le développement du contexte concurrentiel. Cela a nécessité de profondes mutations dans notre mode de gestion. Cela marque aussi la façon de travailler d’un directeur général.

Pour faire face à la concurrence, il vous a fallu être commercialement plus agressif, par exemple?

 «Oui, mais d’une manière générale, les préoccupations sont tout autres. Il faut aussi être attentif à l’évolution du chiffre d’affaires, des parts de marché, mais aussi à tous les aspects techniques de la libéralisation. Cela dicte forcément des priorités nouvelles par rapport à la situation antérieure à l’ouverture des marchés.

C’est le 1er janvier 1993 que l’Administration des P&T est devenue une entreprise (conformément à la loi du 10 août 1992 portant création de l’entreprise des postes et télécommunications). Un peu plus de 17 ans après, la page est-elle vraiment définitivement tournée?

«On ne peut pas dire qu’il ne reste pas çà et là quelques vestiges de cet ancien temps. Mais on a clairement passé le cap. Cela dit, ces ‘résidus’ ne sont pas nécessairement négatifs. Ils véhiculent, par exemple, une logique de sérieux et d’objectivité dans laquelle le client peut avoir une certaine confiance. C’est un peu le cas pour tous les opérateurs historiques qui étaient, auparavant, une administration. S’ils ont tous gardé une importante part de marché, c’est dû en partie au degré de confiance que les gens ont eu et continuent d’avoir en eux. Nous considérons cela comme une sorte de trésor sur lequel nous capitalisons.

Dans quelle mesure l’homme que vous êtes influe-t-il sur le manager que vous êtes aussi?

«Il n’y a plus guère de différence, aujourd’hui, entre les deux. Qui plus est, il n’y a plus vraiment moyen d’y échapper avec les moyens de communication actuels. Avec la gestion de trois métiers différents, vous êtes de toute façon constamment confronté avec soit des problèmes, soit des réactions positives, mais vous êtes toujours un peu dans la vitrine. Il faut l’accepter.

Vous évoquez les trois métiers du groupe. Comment arrivez-vous justement à les gérer vous-même?

 «Je ne suis heureusement pas tout seul. Avec la création de l’entreprise publique, nous avons instauré un comité de direction. Il est évidemment essentiel de pouvoir travailler de façon collégiale. Cinq personnes se répartissent donc les responsabilités, sachant qu’il serait évidemment presque impossible pour une seule personne de gérer un tel groupe, avec trois métiers et une douzaine de filiales. Evidemment, il doit y avoir quelqu’un pour présider un tel comité et prendre les décisions stratégiques qui s’imposent. C’est, bien sûr, une autre sorte de gestion que pour une société privée qui dispose d’une fonction d’administrateur délégué, à qui est confié un certain nombre de pouvoirs.

Les grandes lignes stratégiques en cours pour l’Entreprise des P&T sont définies dans le cadre de l’Agenda 2012. Où en est-il, à mi-parcours?

«Cet agenda est très fourni et très important. Il contient notamment trois grands projets majeurs. Le premier est la séparation entre la commercialisation des produits télécoms, d’une part, et l’infrastructure avec les développements, d’autre part. Il y a eu, récemment, l’approbation du conseil d’administration en ce qui concerne la création d’une nouvelle société anonyme pour la commercialisation des produits télécoms. Cela est essentiel pour le futur, puisque cela nous met dans une situation d’égalité avec les concurrents sur le marché. Nous aurons désormais les mêmes conditions de travail que nos concurrents pour commercialiser des produits. Cela nous laisse aussi la possibilité, en parallèle, de bien gérer et d’une façon plus spécialisée encore, l’évolution de notre infrastructure.

Le deuxième gros chantier qui est en cours concerne la restructuration dans la division des Postes. Nous avons eu un sursis de deux années supplémentaires dans le cadre de la mise en œuvre de la libéralisation postale. Nous devons donc utiliser ce temps supplémentaire pour bien nous positionner afin d’être prêts au 1er janvier 2013. L’une de nos principales idées consiste à proposer aux porteurs de journaux, qui font leur tournée la nuit, une tâche supplémentaire le matin pour faire également la distribution de lettres. Ainsi, ceux qui n’ont actuellement qu’un volume horaire de 25-28 heures par semaine pourront compléter jusqu’à 40 heures s’ils le veulent. Nous avons entamé en la matière un projet pilote. Pour le reste, nous sommes en pleines négociations avec les syndicats et il m’est difficile de vous en dire plus à ce stade.

Le contexte est-il plus difficile concernant la division Postes qu’il ne l’a été pour la scission dans les télécoms?

«La situation est en tous les cas plus claire, puisque nous devons nous adapter à une directive européenne. La distribution du courrier occupe aujourd’hui 560 personnes en équivalent temps plein et la distribution des quotidiens 205 équivalents temps plein supplémentaires, sur un total de 1.275 équivalents temps plein pour la division des Postes. Il n’y aura évidemment pas de dommage social, mais il y aura un changement dans la carrière de ceux qui auront en charge, dans le futur, cette distribution de courrier. Nous avons besoin de ce personnel, de leur savoir-faire, pour surveiller, gérer et former des équipes. Cela constitue une réelle valorisation de ces carrières.

Quand pensez-vous parvenir à achever ce chantier?

«Le plus tôt possible! Mais nous avons çà et là quelques petits problèmes, car beaucoup de nos décisions vont dépendre de la façon dont le gouvernement luxembourgeois va, concrètement, transposer en droit national le texte de la directive postale européenne. Il y a par exemple des dispositions qui permettent de réserver le principe de service universel à l’opérateur historique pendant un certain nombre d’années. C’est ce qui a été proposé par la France et la Belgique, par exemple. Nous ne savons pas, à l’heure actuelle, ce qu’il en sera ici. Nous sommes donc encore dans l’attente d’un certain nombre de choses. Le ministre des Communications nous a dit qu’il voulait rapidement transposer cette directive. Nous avons eu l’occasion d’informer le gouvernement de nos préoccupations en ce qui concerne les services postaux. Il y a bien sûr la date butoir du 1er janvier 2013, mais plus tôt ce sera fait et mieux ça sera.

Et quel est le troisième grand chantier?

«Il s’agit du déploiement du réseau de fibres optiques. C’est plus technique, mais c’est crucial pour le développement à venir de l’économie du pays. Ce chantier-là, nous l’avons entamé depuis longtemps, puisque les premières fibres ont été posées dans les années 80. Aujourd’hui, il y a déjà un grand nombre d’industries et de PME qui sont raccordées. Pour le résidentiel, il faut encore faire un effort. Le gouvernement vient justement de nous encourager à aller de l’avant pour accélérer la disponibilité de l’accès large bande pour les clients résidentiels. Il y a un besoin sans cesse grandissant d’accès à la large bande et nous n’en sommes qu’au tout début. Cet encouragement, nous allons le traduire dans un programme très ambitieux que nous avions déjà planifié, mais qui sera accéléré et qui va nous mener jusqu’en 2014

Cet ‘encouragement’ a-t-il été ressenti comme une contrainte?

«Nous sommes clairement dans notre rôle d’entreprise publique. Nous avons un certain nombre de responsabilités, à commencer par la fourniture d’une couverture nationale optimale. Il est également de notre responsabilité d’être le plus possible à l’avant-garde. C’est, du reste, la teneur du discours du gouvernement, qui souhaite que le Luxembourg soit parmi les tout meilleurs en matière de pénétration de la large bande. Mais nous comprenons bien qu’il s’agit là plus que d’un simple souhait. Nous avons par ailleurs été confortés par le fait que l’Etat, qui est notre actionnaire, est prêt à accepter de recevoir des dividendes moins élevés à partir du moment où nous investissons de manière plus énergique dans la fibre optique.

Que représente cet investissement, justement?

«Nous avons au total une enveloppe de quelque 200 millions d’euros pour l’ensemble du projet. Une très grosse partie de cet investissement va dans la fibre optique elle-même, qui demande des investissements élevés et beaucoup de travail de planification et d’exécution. La seule chose qui pourrait nous freiner, c’est l’obtention des autorisations nécessaires pour pouvoir réaliser ce programme. Les procédures ne sont pas toujours aussi faciles que nous le voudrions. Mais nous constatons tout de même qu’il y a une grande motivation de la part des autorités délivrant ces autorisations pour nous aider à développer ce projet dans de bonnes conditions.

Comment comptez-vous déployer ce réseau de fibres?

«Nous souhaitons avant tout faire un réseau qui soit ouvert aux autres opérateurs. Il n’est de toute façon pas possible de s’enfermer avec un tel réseau. Ainsi, dans toutes les fibres  que nous posons auprès des ménages, il y a toujours des fibres disponibles pour eux. C’est important de le dire, car j’entends régulièrement des interprétations divergentes sur la question. En tant qu’entreprise publique, il est de notre devoir de le faire. Les opérateurs qui seront intéressés à utiliser cette infrastructure seront alors aussi nos clients et nous ne devons pas négliger cette relation. Il y a à la base un investissement énorme à faire, c’est clair. Nous devons évidemment avoir la certitude que nous pourrons amortir cet investissement et travailler avec les autres opérateurs qui viendront utiliser ce réseau dans le cadre d’une relation commerciale raisonnable. Sinon, ce sera difficile pour tout le monde. Dans ce cadre-là, le régulateur (l’Institut Luxembourgeois de Régulation, ILR, ndlr.) aura évidemment un rôle essentiel à jouer.

Comment, justement, gérer au mieux la relation avec ces autres opérateurs?

«Nous avons déjà, jusqu’à présent, de bonnes relations avec eux. Nous leur avons communiqué ces possibilités d’utiliser ces fibres optiques, mais tout en sachant qu’il y aura un nombre restreint de sites d’interfaces, où il sera possible de s’interconnecter. Il y en aura environ 200, ce qui a été jugé raisonnable. Actuellement, une soixantaine est déjà opérationnelle. Bien sûr, il nous sera toujours possible de mettre aussi à disposition une ligne pour permettre à un opérateur alternatif d’accéder à ce site.

Vous misez sur la fibre optique. Est-ce à dire que c’est la fin programmée du câble en cuivre?

 «Nous avons posé beaucoup de câbles hybrides par le passé, sachant qu’il y aurait une phase temporaire où l’on utiliserait le cuivre sur le ‘last mile’ (partie du réseau qui arrive au domicile du client, ndlr.) et que la fibre optique n’était alors pas disponible partout. Il y a eu énormément de progrès technologiques en ce qui concerne les équipements terminaux. Songez que la Télé des P&T fonctionne sur un réseau cuivré qui a été posé il y a 20 ou 30 ans pour des bandes passantes allant de 0,3 à 3,4 kHz et qu’on les utilise toujours, aujourd’hui, pour transmettre des signaux de fréquences de 10 à 15 Mbits par seconde. C’est énorme! Et c’est même presque un miracle de voir l’intelligence de ces terminaux qui savent supporter une telle transmission sur un réseau qui n’était pas du tout fait pour ça dans le temps.

Quel est, aujourd’hui, votre niveau de couverture en matière de fibre optique?

 «Nous avons à l’heure actuelle 31.000 immeubles résidentiels raccordés à des fibres optiques, ce qui représente 26% des quelque 120.000 immeubles que compte le pays. L’objectif est d’atteindre 90% en 2014. La croissance dépendra aussi des demandes en bande passante, dans un éventail allant de 20 à 100 Mbits par seconde, voire 1 Gbit. Du reste, c’est plutôt ce paramètre bande passante dont il convient de tenir compte, plutôt que le nombre de fibres en lui-même.

Et la câblo-distribution? Fait-elle encore sens dans ce contexte?

«Il s’agit, pour l’heure, d’une alternative. Les télécoms du futur ne feront plus de différence entre accès Internet, transmission de données, distribution télévisuelle… Peu importe les services proposés, tout se passera au niveau de la large bande. Avec le réseau de fibre optique, nous nous posons clairement en tant que concurrent de la télédistribution actuelle. Mais il est vrai qu’à terme, la tendance semble tout de même aller vers des réseaux en fibre optique, alors que les télédistributeurs utilisent plutôt des câbles coaxiaux (avec une base en cuivre, donc, ndlr.). D’un point de vue purement technique, il est clair qu’à un moment donné, il n’y aura plus la même possibilité de bande passante que celle offerte par fibre de verre. Sur un plan économique, on verra bien comment les choses évolueront.

Comment allez-vous vous organiser avec les communes, sachant que quelques-unes d’entre elles disposent déjà de leurs propres infrastructures?

 «Nous avons de bonnes relations avec les communes et nous sommes également en discussion avec le Syvicol (le syndicat des villes et communes luxembourgeoises, ndlr.) pour gérer cela au mieux. Il n’est en effet peut-être pas nécessaire de poser deux fois des fibres pour un même immeuble. Ne perdons pas de vue que le potentiel d’une fibre est énorme. Nous ne voyons pas aujourd’hui comment, avec les besoins actuels, parvenir à utiliser totalement la capacité de 1 Gbit proposée. A partir du moment où une seule fibre couvre une capacité énorme et que nous en posons déjà plusieurs à la fois, à quoi bon développer encore des réseaux supplémentaires? Je ne pense pas que cela fasse sens du point de vue macro-économique. Le mieux est d’avoir un bon réseau, avec des prix intéressants, et de proposer des services sur ce réseau.

Où en est concrètement le développement de votre réseau TeraLink?

«Le réseau compte actuellement plus de 4.000 km de fibres optiques. Nous sommes évidemment très fiers de son évolution. Nous sommes déjà en liaison directe avec Bruxelles, Paris, Londres, Amsterdam et Strasbourg et nous sommes sur le point de nous connecter en direct avec Francfort avec une bande passante de 100 Mbits par seconde.

Notre maillage international se complète de façon satisfaisante et nous disposons de 15 points de présence dans six pays (les trois pays du Benelux, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, ndlr.). Le développement commercial est positif, en parallèle avec les services proposés par notre filiale eBRC en matière d’hébergement, de recovery et de résilience.

Cette position internationale est plutôt enviable et nous permet de tenir le coup sur un plan concurrentiel. Il y a un an, nous avons signé un contrat avec le groupe automobile PSA Peugeot Citroën pour la mise en place de solutions de télécommunication intégrée, disponibles en série sur certains modèles depuis cette année, et nous sommes en train de commercialiser ce produit auprès d’autres marques internationales également intéressées à utiliser une carte SIM dans leurs voitures pour des applications qui vont très loin. Le projet s’est basé, au départ, sur la mise en place de l’application eCall (système paneuropéen d’appels d’urgence intégré aux véhicules automobiles, imposé par l’Union européenne à partir de 2010, ndlr.), mais il ne s’agit là que d’une application parmi toutes celles qu’il est possible d’envisager.

Vous évoquiez l’appui essentiel d’eBRC dans votre stratégie de développement. Comment vous positionnez-vous par rapport à LuxConnect, qui est à la fois une infrastructure concurrente, mais aussi une société sœur, elle aussi détenue par l’Etat?

«Je retiens avant tout que lorsque des investisseurs souhaitant s’établir dans le pays discutent avec les autorités nationales, ils font part de leur volonté de ne pas être en relation uniquement avec les P&T et de pouvoir disposer d’alternatives. Du reste, pour un certain nombre de liaisons internationales, cette alternative est nécessaire. Dans la mesure où il n’y a pas eu d’initiative privée dans ce domaine, l’Etat a pris les devants. Et dans la mesure où ce besoin d’alternative constitue souvent un point de décision essentiel pour une société qui réfléchit à s’établir ici, nous ne pouvons être que satisfaits que cette alternative existe vraiment. Pour le reste, LuxConnect représente en effet une concurrence et il nous faut vivre avec.

Et vous le faites en appuyant le développement d’eBRC…

«Nous continuons en effet les investissements dans les data centres. Nous en avons déjà à la Cloche d’Or et à Windhof qui affichent pratiquement complet. Un autre centre va prochainement s’ouvrir à Kayl et nous sommes en train de développer un projet à Betzdorf, sur les installations de la SES. C’est un site qui sera principalement tourné vers des services resilience et recovery, mais qui sera aussi tourné en direction de nouveaux médias et des besoins en matière d’Internet. Il y a beaucoup de synergies possibles avec la SES. Revenons à la création de cette nouvelle société baptisée Newco et qui va regrouper les services de commercialisation de produits et services de télécommunications – mobiles ou fixes.

Les grandes lignes ont été arrêtées début mars. Où en est aujourd’hui le processus de mise en œuvre?

«Concrètement, le conseil d’administration doit encore approuver la modification des statuts de LuxGSM, qui servira de réceptacle à cette nouvelle société, et dont les statuts sont, pour l’heure, limités à la seule téléphonie mobile. Nous devons donc y intégrer l’ensemble des produits fixes. Entre temps, nous avons créé une task force composée de représentants des services fixes et mobiles qui travaillent déjà ensemble. Dans la pratique, cette convergence est déjà une réalité, mais il faut encore que la société soit concrètement établie.

Un autre problème concerne la modification de la loi qui régit notre fonctionnement, dans le sens où il nous faudra affecter des fonctionnaires d’une façon officielle dans une société qui ne sera pas une administration. Il y a un accord de principe sur ce point, mais encore faut-il que la loi soit adaptée. Et puis nous devons encore travailler sur le branding et le positionnement commercial qui va accompagner cette nouvelle situation. Nous sommes en train d’y réfléchir et ce n’est pas facile, car avec LuxGSM et P&T, nous disposons déjà de deux brandings très forts.

Vous êtes-vous finalement faits à l’idée que vous ne pourrez pas utiliser le nom de Luxembourg Telecom?

 «Il y a tellement d’autres possibilités. Nous en trouverons bien une qui nous convient! Je dois tout de même dire que ce qui nous dérange avec l’actuelle Luxembourg Telecom (nouveau nom utilisé depuis septembre dernier par ce qui s’appelait auparavant SIT Group, ndlr.), c’est qu’il y a parfois une confusion possible et que certaines personnes peuvent effectivement croire qu’il s’agit de nous.

Quelle sera la gouvernance pour cette nouvelle société?

 «C’est une société créée sous le régime des sociétés dualistes, qui prévoit donc la création de deux organes de direction: un directoire et un conseil de surveillance. Le directoire sera la copie conforme de l’actuel comité de direction de l’Entreprise des P&T et le conseil de surveillance sera calqué sur l’actuel conseil d’administration de cette même entreprise. Le volet opérationnel sera assuré par la task force que j’évoquais précédemment et qui sera composée de trois directeurs de LuxGSM et de trois autres issus de la division des Télécommunications des P&T. Six personnes qui travaillent déjà ensemble.

Avez-vous le sentiment de vivre une période charnière avec l’avènement de Newco?

«Nous vivons en effet une période de changements critique et capitale. Notre culture d’entreprise, qui doit être une culture globale, doit évoluer. C’est, du reste, une des conclusions qui ressort d’un rapport rédigé par plusieurs cadres que nous avons envoyés suivre une formation complémentaire à l’université d’Exeter en Grande-Bretagne. Nous travaillons beaucoup sur cet aspect culturel, en étant conscients que ces évolutions culturelles sont absolument nécessaires. La création de Newco nous donne une belle occasion d’évoluer.

Après l’échec de la collaboration internationale avec Vodafone, LuxGSM se retrouve, actuellement, tout seul, alors que ses deux rivaux, Tango (avec Belgacom) et Orange sont adossés à des groupes d’envergure internationale. Cette situation est-elle encore viable à long terme pour LuxGSM, quel que soit le nom qui sera le sien à l’avenir?

«Il faut bien avoir à l’esprit que la concurrence a bien changé. Nous sommes en effet confrontés à des opérateurs appuyés par de grandes maisons mères.

Etrangement, d’ailleurs, en raison du système de régulation, ces grandes maisons sont tout de même considérées ici comme des opérateurs alternatifs et nous comme l’opérateur dominant. Il me plaît évidemment d’être considéré comme dominant vis-à-vis de ces grands groupes internationaux, mais ça ne fait pas toujours plaisir non plus. Nous sommes dans la difficile situation d’être en concurrence avec des maisons mères énormes, mais nous subissons tout de même les mêmes règles et contraintes que n’importe quel autre opérateur dominant sur son territoire.

Regardez en France! Il y a clairement une tout autre relation entre l’opérateur historique et ses concurrents, d’un point de vue du positionnement. Pour revenir à votre question, je ne pense pas que nous ayons subi un quelconque dommage de ne pas avoir de partenaire international. Je me rappelle qu’en 1992, nous avions beaucoup discuté sur l’opportunité de s’allier à GlobalOne, qui était un des plus gros opérateurs internationaux à l’époque. Nous étions très avancés dans les discussions et nous aurions pu franchir le pas si le gouvernement s’était alors montré intéressé à ouvrir notre capital. Au final, cela aurait été un total fiasco et nous l’aurions payé très cher. Les grandes fusions du passé ont surtout contribué à disperser beaucoup d’argent.

Il y a eu longtemps l’idée générale de se dire que sans un grand partenaire, il y avait un risque de chavirer. Ça ne c’est pas produit. Au contraire, nous aurions chaviré en prenant ce partenaire et à bien y regarder, ce sont surtout les grands opérateurs qui ont le plus souffert de ce mouvement. Nous nous sommes très bien débrouillés jusque-là et je ne vois pas, aujourd’hui, de raison fondamentale de changer de stratégie. Nous avons du contenu, nous avons de bonnes relations avec RIM pour BlackBerry et Apple pour iPhone. Nous avons des contrats de roaming avec tous les pays étrangers, ce qui nous a d’ailleurs beaucoup aidés pour décrocher le marché avec PSA. Tout peut se faire! Il faut être un peu astucieux et développer un certain dynamisme.

Cela dit, on ne sait pas de quoi demain sera fait et nous savons qu’il y a des mouvements inéluctables de centralisation. Il est évident qu’un grand opérateur qui a besoin d’acheter des terminaux de type BlackBerry ou iPhone obtient d’autres prix que P&T Luxembourg. Mais il y a aussi l’aspect contenu média qui est important. Regardez ce que Belgacom a payé pour avoir les droits sur le football en Belgique.

Est-ce qu’un petit opérateur peut se payer cela? Je dirais non. Peut-il dès lors s’allier à un grand pour avoir l’accès à ce contenu? Je dirais oui. Mais combien cela lui coûtera-t-il? Il y a toujours des ‘mais’ dans les réflexions. Il faut donc toujours être très prudent et bien observer les évolutions.

Je n’exclus pas un jour que nous soyons amenés à nouer une relation internationale de ce type. Mais je n’en vois pas la nécessité pour le moment et, de toute façon, il n’y a pas de projet de ce type en cours.

Comment analysez-vous, avec le recul, l’échec de votre partenariat avec Vodafone (les deux partenaires engagés en février 2004 s’étaient quittés bons amis cinq ans plus tard, ndlr.)?

 «C’était une relation de David avec Goliath. Nous avions certaines divergences de vues sur un planstratégique et Vodafone était surtout très exigeant en ce qui concerne son branding. A un moment donné s’est posé le choix de ne plus être LuxGSM et de n’être plus que Vodafone. Nous avons préféré rester LuxGSM et nous l’avons fait sans regret. Mais nous avons toujours de bonnes relations avec Vodafone, y compris en termes contractuels.

Votre mandat à la tête du comité de direction de l’Entreprise des P&T s’achève en septembre prochain. Solliciterez-vous un nouveau mandat de six ans?

«Tout en me sentant encore jeune, il est vrai que je suis en âge de partir, mais comme le disait mon prédécesseur Edmond Toussing, c’est une décision qu’on ne peut prendre que soi-même, ceci en accord avec le président du conseil d’administration (Gaston Reinesch, ndlr.) ainsi que le ministre Krecké. L’ensemble du comité devrait demander à voir son mandat prolongé en septembre prochain. Certains des chantiers en cours justifient que l’équipe actuellement en place suive encore les dossiers de notre Agenda 2012. Mais je n’irai pas au terme de ce mandat supplémentaire.»

 

CV - Une carrière à deux employeurs

C’est après une première expérience chez Goodyear que Marcel Gross, ingénieur diplômé en électrotechnique de la Rheinisch Westfälische Technische Hochschule d’Aix-la-Chapelle est entré à l’Administration des P&T en 1972. Il ne quittera plus cette grande maison au sein de laquelle il a gravi les échelons pour devenir directeur de la division technique en 1983.Au moment du changement de statut de l‘Administration des P&T, devenue société anonyme (détenue à 100% par l’Etat) au 1er janvier 1993, il est nommé directeur et membre du comité de direction de la nouvelle Entreprise des P&T. Il prend la tête de la division des Télécommunications jusqu’en juillet 2000, date à laquelle il est nommé directeur général adjoint.Au 1er janvier 2002, il prend la succession d’Edmond Toussing au poste de directeur général de l’Entreprise des P&T.Grand amateur de course à pied et de lecture, Marcel Gross est marié et père de deux enfants.  J.-M. G.

 

Services financiers postaux - «Un service public incontournable»

L’Entreprise des P&T, c’est aussi une activité de services financiers. Marginale dans les chiffres (elle représente moins de 7% du total des produits), elle n’en est pas moins essentielle dans la mission de service public qui incombe à l’entreprise. «C’est un service incontournable qui est énormément utilisé, note M. Gross. Sans compter que c’est cela qui apporte le plus de visiteurs à nos guichets postaux. Si, pour une raison ou une autre, nous devions externaliser ces services, nous perdrions directement un certain nombre de visiteurs pour l’ensemble de nos réseaux de ventes. Il n’y a de toute façon pas de raison de nous séparer de ces activités.» Dans le contexte de crise, bon nombre de clients se sont tournés vers des comptes postaux pour y trouver une sécurité perdue par ailleurs. «Nous avons enregistré une augmentation de nos dépôts, mais qui est temporaire. Nous ne nous positionnons en tous les cas pas du tout comme un concurrent des banques sur ce plan-là», assure M. Gross, qui préfère miser sur les services de niches, comme easyVisa, qui est une carte prépayée et qui offre donc une certaine sécurité pour effectuer des transactions sur Internet par exemple. «C’est aussi une possibilité d’offrir ce type de services à des gens qui n’ont pas accès à une carte Visa traditionnelle.» L’Agenda 2012 de l’EPT comprend aussi des projets d’élargissement de ces services financiers, comme la création d’un compte d’épargne à côté du CCP, lequel est très tributaire, outre des dépôts, des taux d’intérêt en vigueur. «Si ces taux continuent de baisser comme c’est le cas actuellement, nous risquons d’avoir des problèmes. Il faut donc trouver des services complémentaires.»  J.-M. G.

 

Capital développement - P&T entre dans la danse

L’Entreprise des P&T s’intéresse de près, elle aussi, à l’éclosion et au développement des entreprises start-up, en particulier dans les domaines des postes et des télécommunications. C’est pour cela qu’a été créée, fin 2009, P&T Capital, une société de prise de participations dotée d’un capital social de 5 millions d’euros (mais pouvant aller jusqu’au montant autorisé de 50 millions). «Notre ambition est de commencer par aider les jeunes entreprises luxembourgeoises avec du capital développement pour les encourager à investir dans de nouveaux services sur lesquels nous pourrons nous-mêmes capitaliser», explique Marcel Gross. Le conseil d’administration de P&T Capital est partiellement le même que celui de l’Entreprise des P&T. On y trouve ainsi Pierre Ahlborn, Paul Duhr, Edouard Felix, Romain Fouarge, Gilbert Goergen, Jean-Marie Heyder, Eugène Kirsch, le président Gaston Reinesch et Jean-Paul Zens.  J.-M. G.