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Julien Onillon (Arcelor Mittal)<br/>(Photos: Arcelor Mittal 

Monsieur Onillon, à combien se monte la dette totale d’ArcelorMittal?

La dette nette, c’est-à-dire la dette financière moins le cash, est de l’ordre d’un peu plus de 26,7 milliards de dollars au 31 mars. C’est environ 6 milliards de moins qu’au troisième trimestre 2008.

Quels sont les montants de dette financière et de cash?

Nous avons 4 milliards de cash. La dette brute atteint donc 30,7 milliards de dollars.

Quel pourcentage de votre dette viendra à échéance dans moins d’un an?

Environ 24% de notre dette brute, toujours au 31 mars. Il faut toutefois prendre garde quand on parle de dette à moins d’un an. Car sur 7 milliards, nous avons 2,1 milliards de papiers commerciaux qui se renouvellent tous les jours. En l’excluant, nous serions à environ 15%. Nous devons aussi tenir compte des 11,4 milliards de dollars que nous avons levés au cours de ces deux derniers mois et qui nous donnent plus de flexibilité financière, même si nous n’avons pas dit comment nous allions les utiliser. En théorie, cela annule notre dette à un an.

Comment se décomposent ces 11,4 milliards de dollars?

Il y a d’abord eu 1,6 milliard d’obligations convertibles fin mars-début avril, puis 3,2 milliards d’augmentation de capital en avril, combinée à 800 millions d’une seconde tranche d’obligations convertibles. Ensuite, nous avons réalisé deux emprunts obligataires, l’un de 2,3 milliards de dollars aux Etats-Unis, l’autre de 3,5 milliards en Europe

Quelles difficultés avez-vous éprouvées pour lever ces fonds?

Nous avions l’intention de réaliser ces opérations depuis très longtemps. Néanmoins, nous avons pu agir très rapidement, car nous avons eu des demandes extrêmement fortes de la part des investisseurs, des différents types d’investisseurs. Chaque opération a été très positive. La première émission d’obligations convertibles était une opération importante pour nous car il n’y avait pratiquement plus eu d’obligations convertibles, depuis environ douze mois, dans le monde. Nous avons estimé que le produit nous aiderait et plairait aux investisseurs, qui sont persuadés que l’action ArcelorMittal est sous-valorisée, mais redoutent une éventuelle nouvelle baisse du titre. 

Quel coupon avez-vous servi sur vos obligations ordinaires, en euros et en dollars?

De l’ordre de 9%.

De tels taux ne pèsent-ils pas lourdement sur vos charges financières?

Ce sont en effet des taux plus élevés que dans le passé. Mais, nous sommes aujourd’hui dans un credit crunch. Le coût de la dette va augmenter pour tout le monde sur le long terme. C’est quasiment certain. On ne reverra pas la bulle des crédits et des taux bas. Notre problème était aussi que nous avions beaucoup de dette bancaire et pas assez de dette obligataire. Ces opérations ont diversifié notre dette et allongé sa maturité.

Votre dette vient malgré tout d’être dégradée au bord de la catégorie spéculative. Ces opérations étaient-elles destinées à éviter une sanction plus lourde de la part des agences de notation?

Nous ne faisons pas les choses spécifiquement pour plaire aux agences de notation. Si elles abaissent la note, c’est parce que la conjoncture s’est sensiblement détériorée. Cela dit, les agences de notation ont apprécié les transactions que nous avons réalisées. Ces opérations prouvent que nous avons un soutien très fort des investisseurs. Lever 11,4 milliards de dollars en deux mois, aucune autre société ne l’a fait.

Si votre action est sous-évaluée, quel intérêt avez-vous à augmenter votre capital à ces niveaux?

L’augmentation de capital a été faite en priorité auprès de nos actionnaires, donc sans dilution du capital. L’opération a par ailleurs créé une dynamique au sein du groupe, et vis-à-vis des banquiers.

D’autres opérations financières sont-elles en préparation?

Ce que je peux dire, c’est que nous avons une période de lock-up qui était de 180 jours sur les actions [période au cours de laquelle ArcelorMittal s’est engagée à ne pas augmenter son capital]. Sur la partie obligataire et convertible, il n’y a pas de lock-up de façon directe. Mais les usages font qu’on ne revient généralement pas sur un marché dans les trois mois. Sinon, les investisseurs obligataires seraient furieux. Néanmoins, nous continuerons à faire appel au marché obligataire de façon récurrente et régulière dans les prochaines années. Nous devons encore diversifier nos dettes. Cette crise nous l’a appris.

Compte tenu de la chute de votre cours de Bourse, qui a perdu les deux tiers de sa valeur en un an, comment expliquez-vous la bienveillance de vos actionnaires lors de la dernière assemblée générale?

Tout le monde sait que les volumes d’activité ont baissé de 50%, et que cela a fortement affecté nos résultats et notre cours de Bourse. Nous ne sommes pas les seuls dans ce secteur. Pour les actionnaires qui se rendent compte de l’intensité de la crise, la question est de savoir quelles mesures nous prenons. Il ne faut pas oublier que depuis la crise, nous avons réduit notre dette de 6 milliards de dollars, et même de quasiment 9 milliards si on tient compte de l’augmentation de capital. Nous avons réduit nos coûts fixes de plus de 6,5 milliards. Nous avons fait des choses extrêmement dures et violentes, de façon très rapide, qui ont fait mal à nos employés et à tout le monde. Mais cela a été efficace. Nous sommes aujourd’hui plus solides qu’avant la crise. Et notre cours de Bourse s’est redressé. Très peu de sociétés ont été aussi réactives.

Que comptez-vous faire pour apaiser un climat social très tendu chez ArcelorMittal?

Les salariés sont inquiets et c’est tout à fait humain. Ils font un travail exceptionnel dans des conditions difficiles. Ils savent que 50% de baisse des volumes, c’est 50% de ventes en moins, et qu’en théorie, c’est 50% de travail en moins. La crise, ils la vivent tous les jours. Ils voient que la société prend des décisions très dures pour rester solide. Ils ont remarqué que nous avions le soutien des investisseurs. Nous sommes tous ensemble dans le même bateau. On espère évidemment tous que l’activité va reprendre au second semestre. Aux Etats-Unis, les stocks d’acier sont au plus bas depuis 1983. En attendant, il faut continuer à générer du free cash flow et à réduire notre dette.

Ne payez-vous pas aujourd’hui votre politique d’acquisition très agressive du premier semestre 2008?

Non, nos acquisitions ont été autofinancées. Entre 2006, au moment de la fusion, et fin 2008, notre dette n’a augmenté que de deux milliards.

Vous auriez néanmoins pu rembourser votre dette?

Oui, si nous avions su, nous aurions procédé différemment. Mais, la crise et la faillite de Lehman Brothers étaient difficilement prévisibles. Entre fin 2006 et fin 2008, nous avons néanmoins amélioré nos ratios financiers, notamment la dette rapportée à l’Ebitda. Il faut savoir qu’à l’époque, nos actionnaires nous poussaient à nous endetter davantage et nous y avons résisté. Nous n’avons pas fait d’acquisitions énormes. Nous n’avons fait que des acquisitions de petite taille ou des rachats de minoritaire, comme au Brésil. Ce qui nous a permis de mieux gérer notre cash.

Quels sont les sujets d’inquiétude des investisseurs aujourd’hui?

Il n’y a plus de crainte sur le financement. Les principales questions portent sur la reprise. Ils s’interrogent sur la rapidité et la durabilité de cette reprise. Je n’ai plus d’investisseur qui m’appelle pour me demander comment on va rembourser la dette.