Jacquot Schwertzer a repris seul le rôle d’administrateur délégué. (Photo: Mike Zenari)

Jacquot Schwertzer a repris seul le rôle d’administrateur délégué. (Photo: Mike Zenari)

Présent dans l’aventure Luxempart depuis le départ, François Tesch a été rejoint par Jacquot Schwertzer en 2001. Ensemble, ils ont manœuvré l’embarcation vers de nouvelles destinations, au gré des opportunités qui se sont présentées. Aujourd’hui, Luxempart gère des investissements pour 1,3 milliard d’euros, injectés dans des sociétés établies au Luxembourg et dans les pays voisins (SES, RTL Group, Foyer, Atenor, ESG, etc.).

Depuis l’assemblée générale du 24 avril dernier, Jacquot Schwertzer exerce seul la fonction d’administrateur délégué, alors que François Tesch occupe désormais le poste de président exécutif, et se penchera particulièrement sur la stratégie, l’organisation et la gouvernance de la société. Ensemble, ils dressent le bilan de ces 25 années et avancent des pions pour le futur.

Luxempart a 25 ans. Pourriez-vous avant tout nous rappeler ses origines?

François Tesch: «Notre histoire remonte à la création de Bil Participations en 1988. À la suite d’une restructuration de la banque en 1992, des personnalités du monde économique luxembourgeois, sous l’égide du Groupe Foyer, ont repris Bil Participations et ont poursuivi l’activité sous le nouveau nom de Luxempart. Au départ, nous avons donc hérité d’un beau portefeuille très diversifié.

Un portefeuille de sociétés luxembourgeoises à l’époque?

F. T.: «Au début des années 1990, il s’agissait d’une véritable photographie de la vie économique luxembourgeoise. Nous détenions notamment des parts dans les sociétés SES, RTL, Paul Wurth, Cargolux… Ensuite, le Groupe Foyer a cédé à Luxempart ses participations dans Cegedel, Bil, BGL et KBL, ce qui a étoffé notre portefeuille. Plus tard encore, Luxempart a investi dans Utopia, Vox et le Groupe Foyer. Au fil des années, beaucoup de ces sociétés dans lesquelles Luxempart avait une participation ont été reprises par un actionnaire de contrôle. Ceci dit, les cessions de nos participations se sont faites à des prix très attractifs et nous ont procuré un montant de cash non négligeable. Nous avions donc des moyens pour investir, mais au Luxembourg, peu de sociétés correspondaient encore à nos cibles stratégiques. Nous nous sommes donc tournés vers des entreprises dans les pays voisins. Ça a évidemment pris un certain temps pour se faire connaître et créer des alliances. Mais actuellement, les choses se passent de manière plutôt satisfaisante.

Si demain une belle société luxembourgeoise familiale cherchait un investisseur (…), nous nous montrerions certainement intéressés.

Jacquot Schwertzer, administrateur délégué, Luxempart

Vous ne vous sentez plus la vocation d’investir au Luxembourg, ou bien s’agit-il d’une question d’opportunités?

Jacquot Schwertzer: «Nous souhaiterions faire des affaires au Luxembourg, mais encore faudrait-il qu’il existe effectivement des opportunités. Si demain une belle société luxembourgeoise familiale cherchait un investisseur pour renforcer son capital ou sa gouvernance, nous nous montrerions certainement intéressés. D’autant plus qu’il est plus facile pour nous d’opérer dans le pays que vers l’étranger. Notamment à cause de la difficulté des connexions. Actuellement, notre limite géographique tient à la possibilité de réaliser un aller-retour pour une réunion dans la journée.

Que regardez-vous en premier dans un potentiel dossier d’investissement?

J. S.: «En premier lieu, le secteur dans lequel la société est active. A-t-il encore un avenir, permet-il la création de valeur? Il faut aussi que nous comprenions bien l’activité. Par contre, nous ne nous sommes jamais focalisés sur certains secteurs en particulier, même si nous avons plutôt investi dans des domaines que nous connaissons bien, comme les médias, l’assurance ou l’énergie.

Mais votre portefeuille de participations est quand même très diversifié. D’où viennent ces choix?

F. T.: «À une époque, SES a représenté jusqu’à 30% de notre portefeuille de participations. C’est une très bonne société, qui a été un des moteurs de notre performance, mais pour diminuer le risque, il était nécessaire de se diversifier. Ce côté hétéroclite vient aussi de notre manière de travailler à l’étranger. Dans des pays comme la France et la Belgique, nous avons créé des alliances avec une société d’investissement locale et ce sont elles qui proposent les dossiers pour des participations éventuelles. Ceci dit, nous cherchons toujours des leaders dans leur secteur et des sociétés qui affichent un certain degré de maturité. Ainsi, nous n’investissons donc pas dans des start-up technologiques qui requièrent des compétences bien particulières.

C’est pourtant en partie sur ce type de sociétés que mise le pays pour son avenir. Vous n’envisagez pas de vous y intéresser?

J. S.: «Si, c’est effectivement quelque chose que nous envisageons vu le potentiel d’avenir que recèle ce type de sociétés. Mais avant cela, nous devons développer une compétence dans ce domaine. Actuellement, nous investissons déjà à travers des fonds spécialisés qui détiennent ces connaissances. Grâce aux contacts que nous entretenons avec les gestionnaires de ces fonds, nous espérons acquérir ces compétences pour espérer pouvoir investir par nous-mêmes plus tard. Nous avons, par exemple, investi dès le départ dans Mangrove.

De quelle manière vous impliquez-vous dans les sociétés dans lesquelles vous investissez?

J. S.: «Ça dépend des cas. Dans les sociétés cotées dont nous détenons une part significative du capital, nous nous impliquons au niveau des différents organes de la société avec la volonté d’apporter notre savoir-faire. Si notre participation est purement d’ordre financier, notre souci est alors de préserver notre liberté. Si vous intervenez dans les organes de la société, vous devenez un initié et vous ne pouvez plus acheter ou vendre comme vous le voulez. Et les règles à ce niveau deviennent de plus en plus contraignantes. Dans le cas d’investissements de private equity, la plupart du temps, nous prenons des participations majoritaires et nous nous impliquons dès lors dans la définition de la stratégie. Notre but est de travailler en collaboration étroite avec la direction pour créer de la valeur.

Être majoritaire, c’est important pour Luxempart?

J. S.: «Dans le cas de sociétés non cotées, oui. Mais ce n’est pas une absolue nécessité. Si nous sommes co-investisseurs aux côtés de familles ou d’autres acteurs financiers, nous pouvons mettre au point une gouvernance via des pactes d’actionnaires.

Et être une entreprise cotée, c’est également important?

F. T.: «Bil Participations était déjà cotée, ça répondait à une volonté de nos actionnaires de l’époque. Les contraintes que cela implique augmentent avec les années, mais ça nous oblige à préserver une certaine rigueur. En plus, le fait d’être en bourse assure une certaine liquidité pour nos actionnaires qui peuvent ainsi acheter ou vendre plus facilement les actions Luxempart. Ce qui nous chagrine, c’est que nous subissons actuellement une décote de 30% par rapport à notre valeur d’inventaire. C’est le cas de la majorité des holdings en Europe, mais cela reste néanmoins dans le haut de la fourchette.

Vous l’expliquez comment?

F. T.: «Au cours des années 1990, la loi Rau  – qui permettait, dans une certaine limite, de déduire de son revenu imposable les montants investis en actions dans des sociétés luxembourgeoises – a dopé quelques sociétés et, à l’époque, nous vivions avec une surcote en permanence. Mais elle n’a pas survécu à la réglementation européenne et, depuis son abolition au milieu de la décennie 2000, nous sommes atteints par une décote. Il faut aussi voir que, dans une société holding comme la nôtre, la somme des parties est supérieure à l’ensemble. Ça peut décourager l’investisseur qui n’a pas accès à la valeur du sous-jacent. Enfin, avec une liquidité de 3.000 à 4.000 titres par jour, un gros investisseur institutionnel pourrait considérer cette liquidité limitée comme dissuasive.

Mais vous ne remettez pas en question le principe d’être coté en bourse?

F. T.: «Non, en effet. Nous ne pouvons qu’encourager les investisseurs à acheter du Luxempart, un titre ‘bon père de famille’, attractif et qui offre un bon rendement grâce aussi à cette décote.

Le private equity semble avoir de plus en plus la cote auprès des investisseurs. Vous comptez aussi vous y intéresser plus?

J. S.: «Oui, actuellement nous avons investi entre 250 et 300 millions en private equity, donc un quart de notre portefeuille. Aujourd’hui, nous voulons faire grimper cette part à un tiers. L’avantage en private equity est l’accès aux données de l’entreprise et la possibilité de négocier la détermination d’un prix. En plus, ce type d’investissement est plus résistant. Il est moins affecté par des mouvements violents comme on peut en voir sur les marchés financiers. Lors de la crise de 2008, ces investissements ont souffert nettement moins que les cours de bourse.

En 25 ans, vous avez connu des dossiers difficiles?

J. S.: «Oui, avec le dossier Direct Énergie  – Poweo avant la fusion – et les retards dans la libéralisation de l’énergie en France. Cette libéralisation, sur laquelle était basé le modèle économique de Direct Énergie, a beaucoup tardé et nous a fait perdre de l’argent. Mais finalement, sous la pression de la Commission, les marchés se sont ouverts et, aujourd’hui, Direct Énergie est une star dans notre portefeuille. Nous avons ensuite connu un cas malheureux avec la société espagnole Pescanova, qui cachait une escroquerie. Comme elle était cotée en bourse, nous n’avions pas eu accès à toutes les données. Mais à part ce cas et quelques petites lignes de private equity qui n’ont pas bien fonctionné, nous avons connu peu de revers. De manière générale, nous sommes très prudents.

La crise de 2008, comment Luxempart l’a-t-elle ressentie?

J. S.: «Nous avons eu beaucoup de chance. Nos investissements dans le secteur bancaire avaient été pratiquement tous cédés avant son déclenchement. Nous étions juste encore un peu présents dans Dexia. Par contre, les poids lourds de notre portefeuille tels que SES et RTL ont très peu souffert. Un de nos avantages est aussi que nous ne misons pas sur la dette pour investir.

Aujourd’hui, la période est faste pour trouver de nouveaux dossiers?

J. S.: «L’économie marche mieux en Europe et les sociétés réalisent de bons résultats. Il y a beaucoup d’opportunités, mais les prix sont à nouveau très chers, ils ont retrouvé les niveaux d’avant-crise. En outre, la concurrence est importante. Beaucoup d’acteurs cherchent à placer leur argent. Pour faire la différence, nous misons sur le caractère familial de notre actionnariat et sur le fait que nous ne fixons pas de limite dans le temps à nos investissements. En plus, en tant que Luxembourgeois, nous nous adaptons facilement à la culture des pays voisins. Nous ne sommes pas non plus considérés comme des colonisateurs.

Nous devons donc trouver de nouvelles opportunités d’investissement, notamment dans les domaines technologiques qui sont plus porteurs d’avenir.

François Tesch, président exécutif, Luxempart

Quelles sont désormais vos ambitions pour les prochaines années?

F. T.: «Lorsque nous avons repris Bil Participations, le titre valait 40 euros. Nous l’avons ensuite divisé par 10 et aujourd’hui, il en vaut à nouveau 45. Notre ambition est de continuer sur notre lancée. Nous devons donc trouver de nouvelles opportunités d’investissement, notamment dans les domaines technologiques qui sont plus porteurs d’avenir. Les jeunes qui nous rejoignent actuellement devraient pouvoir nous aider à ce niveau.»