Paperjam.lu

Jean-Claude Reding (Photo: David Laurent/Wide) 

Monsieur Reding, comment jugez-vous le plan de relance du gouvernement?

«Il reprend des éléments qui figuraient dans le budget voté en décembre et en partie décidés bien avant... Certains datent de la Tripartite d’avril 2006, comme l’augmentation du salaire minimum au 1er janvier, l’allocation de vie chère... Je ne comprends pas pourquoi le niveau politique présente des choses qui étaient décidées et non contestées. Nous avons approuvé toutes ces mesures, lors du dépôt du Budget 2009, car elles allaient dans le sens d’une protection du pouvoir d’achat.

Le plan contient également un second élément, qu’on avait revendiqué et approuvé, la relance de l’activité économique. Tout un volet de notre industrie vit sur le local: la construction, l’artisanat... Il faut donc un programme d’investissements publics fort, pour éviter qu’à côté de l’industrie qui dépend de la demande externe et des problèmes que rencontre la Place financière, on n’ouvre un troisième secteur en crise... C’est pour cela qu’on a approuvé l’avancement en 2009/2010 de projets... déjà décidés. Car ils ne sont pas nouveaux. C’est un reproche que l’on pourrait faire: ce qui manque dans ce programme, ce sont les orientations nouvelles.

Quelles seraient les pistes à explorer?

«Par exemple, une orientation très forte sur tout ce qui touche à l’efficience énergétique, les nouvelles technologies dans la production d’énergie... Tout ce qui peut être lié aussi au combat contre la crise écologique, parce que le problème mondial actuel résulte de la combinaison de plusieurs crises: financière, économique et écologique... Il y a vraiment matière à amélioration dans ce plan. Il ressemble trop à un catalogue de mesures qui peuvent être approuvées, certes, mais la connexion entre elles n’est pas très visible... pour le dire d’une façon aimable.

Vous avez le sentiment que le gouvernement n’a pas de ligne d’horizon pour l’avenir économique du pays?

«C’est une discussion qui ne date pas d’aujourd’hui. Dès les préparatifs de la Tripartite de 2006, l’OGBL avait souligné la nécessité d’avoir plusieurs piliers, à côté du secteur financier. Par exemple, un secteur industriel à haute valeur ajoutée... Au niveau des technologies nouvelles, on pourrait aussi travailler davantage sur un marché régional. Tout cela, en s’appuyant fortement sur la recherche-développement, bien sûr.

La Chambre des Salariés déplore, dans ce contexte, le manque de visibilité en matière de formation...

«Tout cela doit en effet être lié à la question de la formation. L’idée est aujourd’hui bien ancrée dans le débat, encore faut-il qu’elle soit associée à des projets... Les instruments nous manquent. Quand on parle un peu à tort et à travers de diversification ou de plans de maintien dans l’emploi, ça fait bien d’utiliser ce terme. Mais il nous faut savoir comment se développe l’emploi. La Fedil a essayé, plusieurs fois, de faire une analyse des compétences disponibles et de celles qui nous manquent. C’est au moins un début... Mais dans d’autres secteurs, cela ne marche pas du tout. Dans le secteur financier, notre idée d’une plateforme ‘emploi’ a été reprise mais ne fonctionne pas. Comment veut-on se préparer à d’autres activités? Pour cela, un dialogue social beaucoup plus important est nécessaire.

Vous avez également des réserves sur la simplification administrative. Lesquelles?

«Dans le plan de relance, plusieurs lois sont changées en faveur des entreprises, comme celle ayant trait à la procédure commodo-incommodo. Il faut voir les textes en détail, comprendre ce qui se trame... Je suis contre des procédures trop longues, mais je ne suis pas non plus partisan d’une approche qui fait fi des directives en matière de santé et de sécurité et qui pourrait amener des risques pour les populations autour de certaines infrastructures. Il faut que la machine économique puisse fonctionner rapidement, mais je me réserve le droit d’analyser en détail ce qui est proposé. Tout cela ne doit pas se faire, non plus, au détriment du contrôle parlementaire.

Voilà notre reproche fondamental par rapport au plan de relance: on l’a utilisé pour satisfaire tout un tas de problèmes des milieux économiques, sous le signe de la «simplification administrative», mais nous aurions pu agir à la même vitesse pour améliorer les droits d’information et de participation des salariés...

Il s’agit de revendications sociales de longue date. Fallait-il attendre la crise pour les faire ressurgir?

«Et voilà!! J’espère que le niveau politique et le niveau patronal se rendent maintenant compte que cela manque... Nous en sommes aujourd’hui encore à devoir revendiquer. Cela me rappelle la crise elle-même. Il existe des documents du mouvement syndical international datant de 2007 où on avertissait l’OCDE, notamment, qu’il y avait un problème et que l’on ne pouvait pas continuer avec une politique de type américain qui fait vivre l’économie sur l’emprunt, avec des produits que l’on ne maîtrise pas.

Vous pointez une forte responsabilité politique dans cette crise?

«Certainement. Il y a eu des dérapages, des malversations, un goût effréné du risque, etc., mais tout cela était possible parce que la réglementation internationale n’était pas adaptée au développement du secteur financier. Et là, il y a pour moi une défaillance de la surveillance, et donc une responsabilité politique. Je sais que pour la Place financière luxembourgeoise, parler de plus de réglementation pose un problème. Le secteur financier a très bien vécu avec ce cadre institutionnel libre. Avec plus de régulation, il va falloir trouver de nouvelles activités.

Et se pose à nouveau la question des compétences et de la formation, sur laquelle il reste beaucoup trop d’incertitudes dans le plan (lire également en page XX).

Que manque-t-il d’autre dans le plan de relance?

«Il manque les plans d’investissements publics pour après 2009/2010; cela permettrait aux entreprises de se préparer. Il y a d’autres domaines négligés: on parle beaucoup du vieillissement de notre société, on pense aux besoins de soins, aux coûts... mais pas aux changements que cela introduira au niveau du design des objets quotidiens, de l’aménagement de l’espace urbain, de la mobilité, de la conception des appartements et des maisons, etc. Cela peut créer une orientation nouvelle de l’activité économique. Il est important également d’investir massivement dans le logement social, les crèches... 

Au niveau social, c’est plutôt un avertissement qui aurait dû se retrouver dans le plan: notre système de sécurité sociale assez dense montre toute son importance dans la crise. Nous avions demandé un engagement fort en sa faveur. Il faut rendre les gens confiants dans leur avenir.

Des entreprises utilisent-elles le contexte économique pour procéder à des licenciements abusifs?

«Il est évident que cela existe. Villeroy & Boch, par exemple, subit les effets de la crise, mais si chaque entreprise qui subit des pertes momentanées en profitait pour fermer des sites de production, nous aurions beaucoup de problèmes! Je crois que dans cette affaire, l’idée était déjà en discussion, il y a 3, 4 ans, peut-être avec raison, et nous aurions très bien pu préparer le terrain, avec un accompagnement des salariés, pour leur donner une alternative. Là, ils ont six mois!

Il faudrait donc mieux agir en amont?

«Il faudrait plus de contrôles du ministère de l’Economie. Au premier niveau, d’abord, celui du signalement des licenciements. Beaucoup d’entreprises ne disent pas au Comité de conjoncture qu’elles ont licencié pour raisons économiques. Donc, les clignotants d’alerte ne fonctionnent pas. Et je reviens à mon ‘dada’ de la législation sur le dialogue social, qui n’est pas adéquate.  Les délégations du personnel n’ont pas non plus les moyens de faire venir un expert pour analyser les chiffres mis sur la table. Les syndicats ne peuvent pas financer cela partout...

Deuxième niveau, lorsqu’une entreprise présente ses difficultés au Comité de conjoncture: une centaine de dossiers sont ouverts chaque mois et une dizaine de fonctionnaires y travaillent. Comment peuvent-ils faire une analyse en profondeur pour savoir si la demande est justifiée, s’il y a un vrai plan derrière pour changer le cours des choses? Tout cela manque.

Craignez-vous un gaspillage de l’argent public?

«Je ne peux pas m’avancer là-dessus, mais je me pose aussi la question du contrôle a posteriori. Après la phase de chômage partiel, comment se fera le suivi sur les entreprises qui ont bénéficié de ces mesures? Et soutenir des entreprises qui sont vraiment condamnées... cela ne sert pas à grand-chose. Il vaut mieux alors aider le personnel et essayer de trouver des alternatives.

Vous attendez-vous à une hausse très importante du chômage dans les mois à venir?

«Si les plans de relance européens ne fonctionnent pas, la crise sera encore plus sévère. Notre économie est beaucoup trop petite pour pouvoir la gérer seule. Je ne partage pas l’avis de nombreux politiciens qui disent que les plans sont à la hauteur. Je pense qu’il faudrait investir beaucoup plus que ce qui est prévu.

Au Luxembourg également?

«Au Luxembourg, l’ajout est de 110 millions d’euros au-delà de ce qui était de toute façon prévu dans le budget. Ce n’est pas suffisant. Il s’agira d’une discussion urgente à mener, après les élections, pour prévoir l’après-2010».