Avant l’arrivée programmée de notaires étrangers, la profession s’attèle à une reforme en profondeur de son organisation. La Chambre des Notaires rendra sa copie le 30 juin.
Branle-bas de combat dans le notariat luxembourgeois. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), rendu le 24 mai 2011, conduit le gouvernement à prévoir une réforme en profondeur de cette profession. Son fonctionnement est toujours régi par une ordonnance – modernisée à plusieurs reprises – datant de la Révolution française. Première avancée notoire : le vote à l’unanimité, le 15 décembre dernier à la Chambre des députés, du projet de loi ouvrant la profession aux ressortissants communautaires.
« Ce texte est le 1er étage de la fusée, suite à l’arrêt de la Cour, explique Me Frank Molitor, président de la Chambre des Notaires. C’est l’étage le plus simple. Le volet le plus ardu, ce sera bien entendu le second étage, la nouvelle réglementation concernant les critères d’accès à la profession, qui en est la conséquence directe. »
Pour préparer cette réforme, le ministère de la Justice a demandé le retrait du rôle (c’est-à-dire l’arrêt des travaux parlementaires) du projet de loi 5997, qui avait pour objet principal la mise en place des associations de notaires. Leur nombre est réglementé et actuellement établi à 36 offices dans le pays.
Fonction hybride
« Il est possible que le projet d’association soit rediscuté dans le cadre de la réforme, mais dans une version sans doute plus ‘ soft ’. Cela n’est plus qu’un détail, face à l’ampleur du chantier qui nous attend, précise Me Molitor. Pour la nationalité, nous n’avons pas eu d’état d’âme, cela a été décidé, donc cela a été mis en pratique : un citoyen d’un État membre peut devenir, sans aucun problème, notaire au Luxembourg. Nous devons désormais nous atteler à un travail autrement plus conséquent : la réglementation sur l’accès à la profession. »
Les propositions de la Chambre des Notaires sont attendues par le ministre de la Justice, François Biltgen, d’ici au 30 juin. « On a du pain sur la planche pendant les trois prochains mois », assure Me Molitor. Pourquoi une telle hâte, tout à coup ? L’ouverture de la profession aux ressortissants communautaires, et ses conséquences, n’étaient-elles pas prévisibles ?
« Jusqu’au 24 mai dernier, il y avait un flou sur la signification de l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’UE (voir encadré). » Selon l’interprétation donnée aux textes, les États pouvaient donc, légitimement, se défendre devant la Commission et considérer qu’ils n’avaient pas à transposer la directive « qualification professionnelle » à leur notariats nationaux. Le notariat assure en effet une activité que l’on peut qualifier d’hybride. « Nous sommes une autorité publique, travaillant comme profession libérale. C’est une grande différence par rapport à toutes les autres professions libérales, tels que les médecins, avocats, etc. », explique Me Molitor. Pour reformuler le problème dans des termes de droit constitutionnel, l’enjeu n’était autre que de déterminer si le notariat constituait, ou non, une fonction régalienne (ne pouvant être déléguée à des non-nationaux). « La Cour a répondu. Le pouvoir régalien est le pouvoir de coercition : le gouvernement, la justice et la magistrature, ainsi que la force publique. On peut penser de cet arrêt ce que l’on veut, mais maintenant, nous savons où nous en sommes. Nous pouvons donc passer au stade deux : la mise en pratique de cette nouvelle orientation et l’organisation de la profession. »
Jusqu’à l’arrêt de la CJUE, la réforme ne s’imposait pas. « Le notariat luxembourgeois fonctionnait très bien. Mais nous avons décidé de profiter de cet arrêt pour entamer une refonte totale des textes », souligne le président Molitor. Si les étrangers peuvent, au regard du droit européen, s’installer au Grand-Duché, les conditions de cette activité restent à définir. Actuellement, l’accès à la profession se fait en plusieurs stades : un bachelor en droit, des cours complémentaires de droit luxembourgeois sanctionnés par un examen, une année de stage pratique dans une étude notariale avec des cours de droit notarial, et enfin l’examen du candidat-notaire, qui permet de décrocher le diplôme. « Pas la fonction, seulement le diplôme ! », avertit Me Molitor. Le nombre d’offices étant limité, « il faut attendre qu’une place se libère et que l’on soit en rang utile ». Actuellement, une cinquantaine de noms figurent sur la liste. Ce qui est peu, à ses yeux. « Il sont avocats, fonctionnaires, banquiers, magistrats, économistes… Ils ne sont donc pas au chômage. Beaucoup d’entre eux ne deviendront d’ailleurs jamais notaires. Lorsqu’une place est vacante, on a entre deux et sept candidatures. Le choix s’opère selon le rang. »
Quels problèmes nouveaux surgissent avec l’ouverture de la profession aux non-communautaires ? « Il y a deux casse-tête. Le premier, c’est la liberté fondamentale d’établissement et le deuxième, la libre prestation de service. » Tous deux devront être traités dans le cadre de la modernisation de la loi notariale. « Concernant la liberté d’établissement, c’est simple. Un ressortissant communautaire peut maintenant devenir notaire au Luxembourg. Ce qui est exclu, c’est qu’il demande au ministre de créer un poste pour lui. Il doit être dans la file et prouver qu’il maîtrise les spécificités du droit et des pratiques administratives nationales ; il doit aussi prouver qu’il pratique la langue nationale et les langues administratives. »
Les débats restent vifs en ce qui concerne les critères exigibles. « Il faut avant tout distinguer les candidats-notaires étrangers et les notaires étrangers en fonction. » Pour les premiers, la solution s’est rapidement imposée : « Il n’y a pas de discussion : pour eux, c’est tout le programme. Ils n’ont aucune expérience, nous proposerons donc au ministre le même cursus que pour les candidats luxembourgeois. Une fois le diplôme obtenu, commencera le calcul de leur ancienneté. En revanche, de grandes discussions nous attendent quant aux notaires en fonction à l’étranger », explique Me Molitor.
« Pour moi, il est difficile d’exiger de quelqu’un qui est notaire à Metz ou à Trêves, depuis 20 ans, un an de stage au Luxembourg. Peut-on aussi exiger de lui qu’il suive, physiquement, les cours complémentaires de droit luxembourgeois et les cours spécifiques de droit notarial ? » Et Me Molitor d’insister sur la complexité de la matière, en perpétuelle évolution : « Même après 30 ans d’exercice de la profession, il est difficile de maîtriser certains aspects, notamment au niveau fiscal… Le droit civil luxembourgeois a l’avantage – ou le désavantage – de ne pas copier les textes étrangers. Il a ses spécificités et le maîtriser est absolument nécessaire pour la sécurité juridique. »
Donc, même si le stage n’est pas rendu obligatoire, les postulants étrangers seraient sans doute bien avisés de le faire pour obtenir leur diplôme ! Pour le président de la Chambre professionnelle, les notaires étrangers qui parviendront au bout du parcours seront la crème de la crème… Leur installation dans le pays « ne pourra donc que constituer un enrichissement pour la profession ».
Ne pas court-circuiter les jeunes
Frank Molitor se présente comme « un élément très ouvert aux idées européennes ». Il est d’ailleurs vice-président du notariat européen (qui regroupe 21 pays pratiquant le notariat de type latin, soit 50.000 notaires) et pourrait en prendre la présidence l’an prochain. Il doit toutefois composer avec ses pairs... « C’est une question de caractère et je respecte leur point de vue. Mais ce que nous voulons éviter, et en cela je suis presque toujours en phase avec le ministre, c’est d’être continuellement appelés devant la CJUE. Nous voulons travailler de façon constructive et positive. La nouvelle loi devra donc ménager les intérêts nationaux – car je veux qu’il y ait encore des notaires luxembourgeois – tout en faisant très attention à ce que cela n’aboutisse pas à la discrimination des non-nationaux. Il faut donc que le texte subisse avec succès le test de proportionnalité. »
Le deuxième point « chaud » sur lequel se penche la chambre professionnelle concerne l’antériorité de l’activité des notaires étrangers. Quelle ancienneté doit être prise en compte au moment où le candidat passe le concours ? Cela peut-il, doit-il, affecter son rang ? « Je peux difficilement m’imaginer que la Chambre puisse être d’accord avec la rétroactivité. Le risque serait de court-circuiter les jeunes.»
Cette question constitue le point crucial de la réforme en cours. « Aucun pays voisin n’a encore tranché cette question. Le premier qui le fera sera le Luxembourg et on a tout intérêt à ne pas laisser pourrir la situation. La France et l’Allemagne peuvent s’offrir le luxe de régler la question au niveau politique, et je les vois bien dire au Luxembourg ce qu’il a à faire. Il faut donc rapidement positionner le notariat luxembourgeois pour qu’il ait un grand avenir devant lui, dans une grande Europe. »
Pour Me Molitor, tout est question de dosage. « Nous devons bouger, assez, pas plus, juste ce qu’il faut pour ne pas risquer un nouveau procès ». Pour le président de la Chambre des Notaires, l’enjeu de cette réforme n’est autre que celui-ci : éviter à tout prix que l’avenir du notariat luxembourgeois soit fixé au Kirchberg.
Législation - Flou et précisions
Pour bien comprendre la trame de ces débats, il est intéressant de se pencher sur les formulations, parfois sujettes à interprétations, de certains textes
européens. Article 45 du traité sur l’UE, inclus dans la 3e partie qui instaure la libre circulation des personnes, des services et des capitaux : « Sont exceptées de l’application des dispositions du présent chapitre, en ce qui concerne l’État membre intéressé, les activités participant dans cet État, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique. » Ni le législateur (le Parlement européen), ni l’exécutif (la Commission européenne) n’étaient sûrs de l’interprétation qu’il fallait donner à cet article 45, en ce qui concerne le notariat, que ce soit dans le cadre de la libre prestation de services ou des qualifications professionnelles.
Selon Me Molitor, il a fallu attendre que la CUEJ prenne position pour mettre un terme aux diverses interprétations qui l’entouraient. Elle l’a fait, regrette-t-il, dans un sens « très restrictif ». « Nous pouvions légitimement nous interroger sur les raisons qui avaient poussé les pères de l’Europe à introduire l’expression ‘même à titre occasionnel’ dans l’article 45 du traité. Jusqu’à l’arrêt de la Cour, cela concernait les notaires », signale le juriste. Ce dernier s’estime toutefois satisfait de nombreuses jurisprudences positives : la libre prestation de service (LPS) aurait pu créer des notaires « ambulants », ayant la possibilité de faire des actes à l’étranger, ponctuellement. Cela n’est plus d’actualité car l’acte authentique et l’authentification sont exclus de la LPS. Autres éléments qui lui donnent « confiance en l’avenir » : le maintien de tarifs règlementés, l’importance réitérée de l’impartialité, le rattachement obligatoire à une organisation professionnelle, qui garantit également le respect de la déontologie.