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Le mercredi 2 mai 2007 restera sans doute une date marquante dans l'histoire contemporaine de la place financière. Elle correspond aux débuts officiels des activités de la Compagnie de Banque Privée (CBP), un établissement à capitaux majoritairement luxembourgeois, dirigé par des Luxembourgeois. Il faut remonter à 1920 et à la création de la Banque Fortuna pour retrouver trace d'une telle initiative: c'est dire la haute portée, à la fois symbolique et historique, de cet événement.

Pour mener à bien ce projet, dont la genèse remonte à un peu moins d'un an, on trouve notamment Marc Hoffmann, qui fêtera ses 49 ans ce 26 mai, et dont la dernière vraie communication publique remontait au 17 juillet 2006, date de l'annonce officielle de son départ de Dexia BIL, où il assurait les fonctions de président du comité de direction depuis octobre 2001.

Une décision qui, évidemment, avait fait plutôt grand bruit et traduisait, tout simplement, le manque d'adhésion à la nouvelle organisation de l'ensemble du groupe Dexia, mise en place par Axel Miller, nommé à la présidence du comité de direction en mai 2005. "J'ai du mal à me retrouver, à titre personnel, dans cette organisation. C'est un bon moment pour tourner la page", avait alors expliqué Marc Hoffmann.

Agréée par le ministère du Trésor le 13 décembre 2006, la CBP a donc officiellement démarré ses activités cinq mois plus tard. L'occasion de partir à la découverte de l'esprit d'entreprise qui a animé Marc Hoffmann ces derniers mois et de revenir sur la genèse de ce formidable projet.

Monsieur Hoffmann, quel a été le premier client à franchir les portes de votre banque, ce mercredi 2 mai?

"Vous comprendrez que je ne peux pas vous dire de qui il s'agit! Juste que c'est un Luxembourgeois. Mais nous avons été très largement sollicités pour ouvrir des comptes. Nous avons reçu un grand nombre de réactions très spontanées, plutôt sympathiques. Des gens qui viennent vers nous avec enthousiasme.

Y a-t-il eu aussi un effet de curiosité?

"Oui, sans doute aussi. Il y a un mélange d'un peu de tout, en fait. Cette sympathie dont nous avons bénéficié, y compris venant de gens que je ne connaissais pas, marque aussi leur reconnaissance devant le fait que nous avons eu l'audace et le courage de faire quelque chose de ce genre.

D'une manière générale, les Luxembourgeois se rendent compte que le pays est devenu un terrain de jeu sur lequel s'expriment de grands groupes internationaux, pas seulement financiers, avec des capitaux étrangers. Pour certains, aussi longtemps que le jeu était favorable, tout se passait bien. Mais aujourd'hui, on se rend compte combien la notion d'enracinement n'est plus aussi forte.

Est-il plus facile de monter un tel projet au Luxembourg quand on s'appelle Marc Hoffmann?

"Je préfère parler du travail de toute une équipe. Oui, bien sûr, il y a Marc Hoffmann, mais accompagné d'un certain nombre de gens qui ont de l'expérience, à la fois dans le métier et sur la place financière.

J'ai été la locomotive, d'accord, mais je ne veux pas que la création de CBP soit réduite à mon seul nom. Encore une fois, il s'agit d'un projet d'équipe mené avec des gens extraordinaires. Je ne porte pas tout sur mes épaules.

Constituer une telle équipe avec des gens déjà en place ailleurs a-t-il été compliqué pour vous?

"Je n'avais pas en poche un projet sur lequel j'ai dit 'venez me rejoindre, je vous engage'. Dans le courant de l'été 2006, j'ai fait part de mon projet à un certain nombre de personnes que je connaissais. Au fur et à mesure que je m'ouvrais, j'ai réalisé qu'il y avait une forte adhésion à mes idées.

Mais au final, tout le monde a rejoint ce projet dans les mêmes conditions, avec un même niveau de risque. Personne n'a intégré l'équipe alors que les dés étaient jetés.

Vous avez choisi de vous lancer dans le créneau de la banque privée. Y avait-il, éventuellement, d'autres voies qu'il vous aurait été possible d'explorer?

"Il faut être réaliste. Il n'est plus possible de pénétrer certains métiers de la banque. Pour une banque universelle, par exemple, les moyens à mettre en oeuvre sont trop importants. Il en va de même pour l'administration de fonds, sauf à se mettre sur certaines niches particulières. D'ailleurs, certaines facettes de ce secteur sont une prolongation naturelle de la gestion d'actifs. Elles ne sont pas à exclure de notre réflexion.

En fait, le métier de la banque privée a l'avantage qu'il est possible de l'épouser dans son entièreté. La CBP n'est pas du tout un acteur de niche, mais notre offre est la plus complète possible. Cela n'est pas faisable dans la plupart des autres métiers.

De quand date exactement cet esprit d'entreprendre qui vous a amené jusque-là?

"Il y n'y a pas eu de date très précise. L'idée a globalement germé quelque part en 2006 et a réellement pris forme au 2e trimestre, avec mon départ de Dexia BIL qui s'est fait à la mi-juin.

C'est pourtant le 28 juin que vous avez déposé les statuts de Vauban Patrimoine, la première structure sur laquelle s'est basée la CBP. Il y avait donc déjà du concret dans votre réflexion...

"Les choses sont allées très rapidement, en fait. C'est vrai qu'il y a eu la création de Vauban Patrimoine, mais il n'y avait pas encore vraiment grand-chose derrière. Ce n'est qu'au cours de l'été que le comité de direction s'est mis en place et que nous avons commencé à articuler le projet, avec un business plan concret.

D'une certaine façon, peut-on dire que c'est grâce à Axel Miller que la CBP a pu voir le jour, aujourd'hui?

"Il ne faut surtout pas relier directement la décision de mon départ avec la seule personnalité d'Axel Miller, contre qui je n'ai aucun grief. Il ne m'appartient pas de juger la façon de mettre en place l'organisation d'un grand groupe telle qu'elle se dessinait au sein de Dexia. Néanmoins, il est possible que j'aurais eu du mal à m'intégrer dans cette vision d'organisation.

Est-ce que voler de vos propres ailes était la seule voie qui s'offrait à vous?

"Pas nécessairement, mais cette voie de création était celle que je trouvais la plus fascinante... L'idée de pouvoir créer quelque chose m'a toujours guidé. Pouvoir créer quelque chose dans le monde financier, c'est vraiment une opportunité unique. Parmi les différentes options qui s'offraient à moi, c'était, de loin, la plus intéressante.

Je crois aussi que cette décision a été dictée par une préférence et un choix personnel. Je souhaitais rester au Luxembourg. J'y suis très attaché sur un plan humain, et je crois au potentiel de développement du pays. Quand on veut vraiment faire des choses, on n'a pas besoin de quitter le Luxembourg. Le pays offre de larges possibilités et il y a une large place pour s'y exprimer.

Enfin, j'arrive aussi à un âge où il est encore possible de se remettre en question de manière fondamentale. D'une certaine façon, c'était l'oc casion ou jamais. Je ne suis pas certain que si j'avais attendu cinq ans, j'aurais encore eu le courage, l'énergie ou tout simplement l'envie de le faire.

En même temps que le comité de direction, il a fallu réunir des actionnaires. Cela a-t-il été également compliqué?

"Nous avions un business plan articulé autour de 60 millions d'euros. Nous avons eu des marques d'intérêt qui ont rapidement dépassé les 100 millions d'euros. Nous avons finalement décidé d'arrêter le capital à 80 millions, car si nous étions allés au-delà, nous aurions dû modifier le business plan pour rémunérer ce capital. Que ce soit pour les montants ou les intervenants, les choses se sont passées comme nous l'avions imaginé.

Ce capital est-il encore ouvert aujourd'hui?

"Non, pour l'heure, le capital est fermé et nous n'avons pas de plan ou de projet qui nécessiterait une réouverture. Mais l'environnement reste dynamique et rien n'exclut qu'à moyen terme, on rouvre le capital si cela devait s'avérer nécessaire.

L'un de vos principaux actionnaires, c'est la BCEE. Etait-ce un choix évident?

"Je ne pense pas que le mot évident soit adéquat. La BCEE a aussi, quelque part, fait preuve d'initiative et de prise de risque. Elle a été d'accord dès le début pour entrer dans le tour de table et je ne peux que saluer cet engagement. Elle a clairement montré, en la circonstance, qu'elle voulait être un des acteurs qui participent au 'renouvellement' de la place financière. Le courant est passé tout de suite entre nous. C'est un très bon choix et nous sommes évidemment heureux de les compter dans notre capital.

D'autres banques auraient-elles pu rejoindre le tour de table?

"Avec la BCEE, les choses se sont surtout faites par affinité, sans qu'il y ait eu, au départ, une forte volonté de sa part de participer à ce projet. Mais aucune autre banque n'a jamais été approchée ni n'a eu vent de ce projet.

Ces affinités, on imagine qu'elles se retrouvent aussi forcément au niveau des relations avec les autres actionnaires...

"Il est évident qu'il est indispensable d'avoir un alignement d'intérêts clairs entre les actionnaires et les initiateurs d'un tel projet. Et c'est foncièrement le cas.

Le plus important était de pouvoir compter sur un tour de table d'actionnaires qui croient au Luxembourg, à son développement, au métier qu'on pratique et à la manière dont on le pratique. Cette dominante luxembourgeoise dans l'actionnariat est un véritable atout pour nous.

J'ai trop souvent vu ou entendu que dans certains grands groupes multinationaux, on aimait bien les dividendes venant du Luxembourg, mais on n'aimait pas forcément parler programme. Il y a, alors, comme une certaine ambiguïté dans la manière dont certains grands groupes peuvent gérer ce type de relations.

Parmi les nombreuses rumeurs qui ont accompagné la constitution de votre actionnariat, il y a eu celle concernant une participation de François Tesch. Cela n'a finalement pas été le cas. Pour quelle raison?

"Il y a en effet eu des contacts, mais si M. Tesch entretient des visées de développer une banque, je ne crois pas que ce soit dans ce type de configuration qu'il voudrait le faire. Nous n'avons donc jamais approfondi la relation.

Vous prônez, avec la CBP, l'alliance entre la banque privée traditionnelle et une certaine approche anglo-saxonne. Cela veut-il dire que la banque privée traditionnelle en tant que telle n'a plus de raison d'être?

"Non, je pense qu'elle a tout à fait sa raison d'être. Mais dans la finance, comme dans beaucoup d'autres choses d'ailleurs, il y a une influence anglo-saxonne assez forte sur le développement de certains métiers, quels qu'ils soient. Pour ce qui concerne spécifiquement la banque privée, nous observons certaines notions assez typiques de cet environnement, comme la transparence ou la performance, qui constituent aujourd'hui des mots-clefs dans l'évolution de ce métier. Nous nous inscrivons clairement dans ce mouvement...

Et vous le faites sans vous laisser tenter par une "industrialisation" du métier...

"Bien au contraire! Nous proposons vraiment du sur-mesure. En essayant d'allier la tradition à des notions qui viennent d'un monde plus anglo-saxon, nous ne tournons pas le dos à l'un, mais nous ne nous ouvrons pas complètement non plus à l'autre.

En quoi la notion de plate-forme ouverte que vous proposez se distingue-t-elle de celles qui sont pratiquement proposées par tous les autres acteurs de la banque privée?

"Le fait de travailler en architecture ouverte à 100%, et donc de ne pas être nous-mêmes producteurs, peut sembler d'une certaine banalité, car il n'y a aucune banque qui ne dira pas la même chose. Dans les faits, la réalité est tout autre, car en règle générale, une banque offre un mélange entre sa propre production et une architecture ouverte, ce qui est source, tôt ou tard, de conflits d'intérêts.

En nous interdisant de produire nous-mêmes, nous n'avons pas ce conflit d'intérêts. Nous ne vendons que des produits de tiers et nous ne nous consacrons qu'à l'assemblage. C'est de toute façon cet assemblage qui est source de plus-value.

Par ailleurs, le fait de n'être qu'une banque privée évite aussi d'autres sources de conflits d'intérêt entre, par exemple, les intérêts commerciaux d'une part et le service au client de l'autre. Une banque qui aura fait une émission d'actions peut, de fait, rencontrer un tel conflit d'intérêts dans la manière de conseiller son client. Pour nous, cette neutralité n'est pas une banalité. Elle représente un véritable atout.

Cela vous oblige donc à vous appuyer sur un réseau de partenaires de qualité... Est-il facile de trouver les interlocuteurs adéquats?

"Nous nous sommes d'abord basés sur la volonté de réunir un groupe d'actionnaires où l'on pouvait espérer que chacun d'entre eux contribue à faire sortir cette banque de terre. Nous avons quatre types d'actionnaires. Il y a les familiaux, entrepreneurs européens, qui ont eux-mêmes des besoins en matière de banque privée. Il y a ensuite les actionnaires de type professionnel, comme peut l'être le cabinet fiscaliste Atoz (étroitement impliqué dans la constitution de la CBP, les deux sociétés partageant, du reste, le même président du conseil d'administration, en l'occurrence Norbert Becker, ndlr.), avec une expérience pointue et reconnue dans le marché. Nous avons avec lui des liens privilégiés, mais non exclusifs.

Il y a ensuite la BCEE qui, en elle-même, est un partenaire unique avec lequel nous allons développer un certain nombre de complémentarités. C'est par exemple elle qui nous servira de global custodian.

Enfin, il y a le management, où chacun a été choisi au travers de l'apport de sa contribution pour faire démarrer et avancer le projet.

Considérez-vous qu'aller au-delà de ce que propose une banque privée traditionnelle constitue également un atout supplémentaire?

"Nous avons effectivement l'ambition de disposer d'une offre qui se distingue de la concurrence. Je pense, par exemple, à la forte expertise que nous affichons dans le domaine des fonds alternatifs. Aujourd'hui, ils constituent une classe d'actifs à part, reconnus en tant que tels, et dont l'intégration dans les portefeuilles amène, en général, soit une augmentation du rendement pour un risque donné, soit une baisse de ce risque à rendement égal.

Je pense que nous avons une des meilleures franchises qui existe en la matière au Luxembourg. C'est une approche novatrice dont nous voulons faire bénéficier notre clientèle.

Qu'en est-il de votre politique de tarification? Là aussi vous souhaitez vous démarquer clairement...

"Dans un souci d'être évolutifs, nous avons en effet un pricing basé uniquement sur la performance. Nous ne prélevons pas de frais fixes comme la majorité des banques: nous ne sommes rémunérés que si nous sommes performants.

Pour cela, nous avons un niveau de confiance élevée dans la qualité de la performance que nous allons produire. Il est de toute façon plus acceptable pour un client de se voir greffer des frais lorsque les performances sont au rendez-vous...

Pourquoi ce modèle n'est-il pas davantage généralisé dans les autres banques?

"Je ne pense pas que nous soyons les seuls à le faire. Mais pour les banques, il y a toujours un risque de volatilité des revenus qui est plus fort, puisque dépendant de la performance des portefeuilles du client... Je pense que d'autres banques procèdent aussi à ce mélange entre une partie fixe et une autre dépendante de la performance. Nous considérons, en tous les cas, qu'il s'agit là du modèle le plus acceptable pour le client...

Dans ce contexte, quand espérez-vous atteindre le break even?

"Cela va évidemment dépendre de beaucoup de facteurs, mais nous espérons qu'il soit atteint entre la deuxième et la troisième année d'opération.

Avez-vous le sentiment de donner quelques coups de pied dans la fourmilière assez immobiliste du métier de banque privée?

"Nous pensons en tous les cas qu'il y a de la place pour un acteur nouveau, proposant un modèle qui sera de nature à faire réagir la concurrence, d'une certaine manière. Quand il y a du nouveau quelque part, de toute façon, l'idée est de pouvoir s'aligner. Je n'ai pas la prétention de croire que nous ferons évoluer le métier, mais je suis persuadé que nos concurrents vont nous observer de près.

Votre projet est désormais devenu une réalité. Le plus dur est-il passé, ou est-il encore à venir?

"Il est clair qu'il y a eu des moments très exigeants ces derniers mois, dans la mesure où il y a eu des prises de risques que je qualifierais de binaires. Le fait de pouvoir lever le capital, par exemple: on y arrive ou on n'y arrive pas... La conséquence d'un échec aurait alors été évidente...

Aujourd'hui, la banque existe et elle a très bien démarré. Les défis sont désormais plutôt de l'ordre 'vite ou pas vite', ou bien 'grand ou pas grand'. C'est moins binaire. Nous avons créé un outil, une banque, une plate-forme. Tout n'est plus, désormais, qu'une question de temps. Nos actionnaires ont tous une vue à moyen et long termes. L'important est de bien prendre son temps pour bien développer cette banque".

 

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Management - Casting de luxe

Présentation des cinq autres membres du comité de direction.

Stéphane Chrétien (Direction des activités de marché). "Il a passé toute sa carrière, soit 18 années, dans le groupe Société Générale, en charge de la salle des marchés. Il a, en particulier, été responsable de toute la production de produits structurés pour le métier de banque privée. Il apporte une très bonne et vaste compréhension du métier de banque privée, mais surtout des activités de marché avec une capa cité de structuration hors pair".

Marc Flammang (Direction des investissements). "Il était, auparavant, directeur général adjoint de Commerzbank International à Luxembourg. Il était notamment en charge de l'asset management et a, en particulier, développé cette expertise particulière en matière de fonds alternatifs. Même en l'absence d'historique, nous bénéficions de la reconnaissance du marché pour Marc en la matière".

Daniel Kuffer (Direction commerciale). "Il a été managing director des activités de banque privée de Dexia BIL à Luxembourg. Je le connais donc depuis longtemps et ce choix se passerait presque de commentaire. Il représente, pour moi, une des grandes figures du volet commercial en banque privée".

Philippe Verfaillie (Direction administrative et financière). "Il a été secrétaire général et membre du comité exécutif de Dexia BIL, responsable du département juridique et fiscal. C'est un homme qui dispose d'une large expérience dans de nombreux domaines très variés".

Benoît Wtterwulghe (Direction informatique et services opérationnels). "Il était responsable chez BNP Paribas Luxembourg de l'Organisation, département en charge de la gestion des grands projets ainsi que de la centralisation à Luxembourg des opérations de toutes les entités de la Banque Privée européenne. Il a exercé précédemment des fonctions similaires en tant que membre du comité de direction de la société de bourse Delta Lloyd Securities. Il a par ailleurs acquis une expérience très riche en matière de développement et de refonte de processus bancaires comme senior manager auprès d'Accenture".