Paperjam.lu

 

Mathias Schiltz, vicaire général de l'Archevêché de Luxembourg, est le bras droit du 'patron' de l'Église catholique du Luxembourg, l'Archevêque Fernand Franck. Il le supplée et le représente, le cas échéant. Il a aussi en charge l'administration, ainsi que les affaires économiques et financières de l'Archevêché.

M. Schiltz, quel est le statut de l'Archevêché?

"Il a été créé en 1870 par le Saint-Siège, qui n'avait consulté ni le Roi Grand-Duc, ni le gouvernement. Cela a évidemment pesé sur les relations et fait que l'État n'a reconnu l'Évêché que trois années plus tard, par une loi très succincte, sans l'octroi de la personnalité juridique. Ce qui nous a bien gênés, car nous n'avons pas pu constituer de patrimoine pendant cette période. On dit que l'Église de Luxembourg est riche, ce n'est pas vrai. Il fut impossible d'accumuler une fortune par donations, par legs, ou par des activités économiques pendant toute cette période, qui a duré jusqu'en 1981. Nous avons dû fonctionner avec des ersatz, par sociétés et associations interposées.

De quels types de sociétés s'agit-il?

"Essentiellement de sociétés par actions, qui ont été créées par des membres de l'Église. Le plus grand nombre a été créé entre les deux guerres, notamment la société Maria Rheinsheim qui est le principal support du patrimoine immobilier de l'Évêché.

Cette situation a donc perduré pendant plus d'un siècle...

"Jusqu'en 1981, avec l'adoption d'une loi, elle aussi très succincte, qui confère la personnalité juridique de droit public à l'Évêché. Ce dernier obtient alors des avantages fiscaux, avec l'application de taux de faveur de 6% (sur les libéralités, les legs, etc.), les mêmes que ceux appliqués aux fabriques d'Église, au consistoire, aux synagogues...

Il s'agit alors d'une mesure unilatérale de l'État, qui devait reconnaître l'existence de l'Évêché avant de pouvoir conclure avec lui une convention, comme cela était prévu par la Constitution. Mais nous nous en sommes contentés à cette époque... et ce, jusqu'à ladite convention, signée en 1997 et approuvée par la loi du 10 juillet 1998.

Comment légitimez-vous cette dotation publique à l'Église, alors que la pratique religieuse relève de la sphère privée?

"La pratique religieuse, tout en relevant d'un libre choix personnel, ne peut être cantonnée dans la seule sphère privée. En règle générale, les religions se pratiquent de façon communautaire. Il s'agit donc d'un phénomène social, d'une activité humaine collective qui répond à un besoin de bon nombre de citoyens et à laquelle on ne peut dénier une certaine utilité sociale.

Or, l'État social soutient tout un nombre d'activités humaines, considérées d'utilité publique, qui ne sont pas bénéficiaires, 'gagnantes' au plan économique: certaines activités culturelles ne pourraient pas exister si l'État n'intervenait pas - pas de Philharmonie sans argent public ! - mais aussi tout le domaine des sports, par exemple. Nous pensons qu'il est normal que l'activité religieuse soit aussi - en partie - prise en charge par l'État.

Quand on épluche le budget de l'État, on s'aperçoit que 95% de l'enveloppe "cultes" va à l'Archevêché, tandis que la part congrue est versée aux autres cultes. N'y a-t-il pas un équilibrage à faire?

"Peut-être, mais cela dépend de l'importance numérique des différents cultes et du nombre subséquent de leurs ministres de culte. Les autres cultes se contentent en général de deux ou trois ministres, ce qui fait un total de plus ou moins 15 postes par rapport aux 254 postes que la convention attribue au culte catholique. La dotation se fait proportionnellement à ces chiffres.

Les dotations publiques vous assurent-elles une aisance financière?

"Non, certainement pas. En tout et pour tout, les dotations publiques s'élèvent à quelque 20 millions d'euros. Contrairement à ce que déclare une certaine presse, qui assure que tout cela permet à l'Évêque de constituer une 'cagnotte' bien remplie, je tiens à souligner que de tout cela, nous ne voyons pas un centime. C'est de l'argent versé directement aux personnes sous forme de traitement, par l'administration du Personnel de l'État, et nous ne pouvons rien prélever. Une seule dotation - le subside au culte catholique, 41.150 euros - concerne les frais de représentation de l'Archevêque et de l'Archevêché.

Un volet budgétaire concerne les dotations spécifiques au séminaire. Quelles en sont les raisons?

"Le séminaire a une personnalité juridique plus ancienne que l'Évêché. Le bâtiment appartient à l'État, mais il est mis gracieusement à la disposition du diocèse, en vertu d'une loi datant des années 1930. Quant à la bibliothèque, elle est ouverte au public, fait partie du réseau national des bibliothèques et possède un fonds historique très important, "Luxemburgensia", ce qui explique l'intervention financière de l'État.

Les bourses concernent, quant à elles, la part des études que nos étudiants doivent faire à l'étranger. Cet argent ne provient pas directement des caisses de l'État, mais de fondations créées par des particuliers qui en ont confié la gestion à l'État. Les intérêts de ces fondations couvrent ces dotations.

À côté des dotations publiques, quelles sont les autres ressources de l'Archevêché?

"Le patrimoine immobilier de l'Archevêché comme tel se limite, terrains compris, à 616.147 euros, à valeur comptable. Il s'agit d'un terrain à Noertrange, de deux maisons situées à Howald et à Bonnevoie et d'un appartement au boulevard Prince Henri. La première maison est louée à des parents du donateur, l'autre maison et l'appartement sont occupés par nos services. Le matériel divers (voitures, mobilier de bureau...) représente quant à lui 51.196 euros, à valeur comptable.

En fait, la part principale de notre actif est constituée de participations dans des sociétés par actions: Saint-Paul Luxembourg - où l'Archevêché est actionnaire de référence - représente le plus gros paquet, avec 24,16 millions d'euros de titres de participation. L'Archevêché détient également des participations à hauteur de 1,73 million d'euros dans la société Maria-Rheinsheim et de 31.225 euros dans une petite société à vocation immobilière, Lafayette.

Nos immobilisations financières se chiffrent ainsi à quelque 25,92 millions d'euros.

Mais d'où proviennent vos recettes propres?

"Elles proviennent essentiellement de Saint-Paul Luxembourg, l'éditeur du Wort. Mais ces trois dernières années, la société n'a pas versé de dividendes. Tous les déficits antérieurs n'ont pas encore été totalement apurés, ce qui fait que nous vivons actuellement sur des emprunts bancaires, en attendant le redémarrage des activités du groupe. L'encours des emprunts de l'Archevêché s'élève actuellement à quelque 3,2 millions d'euros.

Qu'en est-il des dons et legs?

"Le produit des quêtes - pour les missions et l'aide au développement - va directement aux fondations en charge de ces projets et ne revient pas à l'Archevêché. Ce dernier ne perçoit que le montant de deux collectes diocésaines, qui rapportent entre 25.000 et 30.000 euros par an. Quant aux legs en faveur de l'Archevêché, leur montant s'est élevé en 2005 à 467.211 euros.

Si l'on parle de recettes, il faut également évoquer nos dépenses: la part principale concerne les charges salariales, pour une cinquantaine d'employés privés, non rémunérés par la Convention avec l'État. Cette masse salariale 'pèse' près de 2,2 millions d'euros par an.

L'Église catholique de Luxembourg a également la main sur de nombreuses fondations, comme Caritas...

"La Fondation Caritas, créée en 1931, est la cheville ouvrière de l'action sociale de l'Église. D'utilité publique, elle a pu accumuler un patrimoine par héritage et donations et cela a souvent permis de renflouer les caisses. D'importantes opérations immobilières se sont déroulées ces dernières années et tout son patrimoine immobilier est désormais regroupé rue Michel Welter.

Elle apparaît également dans la Fondation François-Elisabeth, qui gère l'hôpital du Kirchberg...

"L'Archevêché figure dans le conseil d'administration, mais n'a pas mis un sou dans ce projet. Les fonds initiaux ont été apportés par les congrégations, qui ont des personnalités juridiques distinctes et bénéficient d'une large autonomie de gestion.

Quel est le montant des subsides communaux versés à l'Église catholique à travers les fabriques d'Église?

"Il est impossible, à l'heure actuelle, de connaître précisément ce chiffre. Il n'est pas centralisé par les services de l'État. Nous sommes en train de réaliser cette comptabilité afin de pouvoir opérer des contrôles, mais il s'agit d'un travail d'envergure, assez complexe. Nos seules estimations portent sur les capitaux propres des fabriques d'Église, qui s'élèvent à quelque quatre millions d'euros.

Les débats, souvent vifs, sur le patrimoine caché de l'Église, réel ou imaginaire, ne seraient-ils pas calmés par un réel effort de transparence, avec une publication de patrimoine?

"Aujourd'hui, nous faisons un premier pas en ce sens. Il est vrai que dans le temps, nous avons toujours eu ce réflexe de nous cacher. C'est un peu l'attitude, typiquement luxembourgeoise, du prétendu riche, pauvre en fait, qui n'aime pas afficher la précarité de sa situation. Toujours est-il que l'Église ne peut désormais se refuser à tout engagement public. Il n'en est pas moins vrai que je ne suis pas seul maître du jeu, et que cette démarche relève de l'Archevêque et de ses conseils. De plus, nous manquons encore de moyens humains et matériels pour réaliser ce travail".