Nicolas Comes (Photo: David Laurent/Wide)

Nicolas Comes (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Comes, par où avez-vous commencé votre carrière professionnelle?

«Le point de départ, c’est la Carrosserie Comes & Cie. La société a été créée en 1946 par mon grand-oncle Robert Comes. Je n’avais pas prévu de la reprendre. Lorsqu’il a disparu, la famille s’est demandé quoi en faire. De discussions en coups de téléphone, un jour mes parents m’ont appelé. J’étais alors étudiant en sciences économiques à Mannheim… Je suis revenu au pays, j’ai visité la Carrosserie, j’ai réfléchi, j’ai dit: pourquoi pas? C’était en 1976.

Ensuite, vous avez participé à la création de Hitec…

«Oui. En février 1986, je me suis associé avec Pierre Hirtt et Marco Trauffler. Nous voulions créer une entreprise de développement de produits de haute technologie et de services innovants.

Nous savions, en créant Hitec, que nous n’avions pas les compétences pour développer un satellite dans son ensemble. Par contre, travailler sur des antennes, c’est-à-dire le segment sol, pour les opérations de réception, de liaison montante, de télémétrie, de téléconduite, de contrôle ou même de mesurage de satellite sur orbite, c’était un créneau que l’on pouvait occuper.

Pendant les 25 dernières années, Hitec a bien progressé. La société a su renouveler et renforcer son noyau d’associés, notamment avec l’arrivée d’Yves Elsen. Son équipe dirigeante et elle ont bien évolué par la taille, les activités, les compétences et le savoir-faire des collaborateurs et collaboratrices.

Y a-t-il encore des créneaux pour le développement de la société?

«Bien sûr. Un nouveau créneau prometteur dans lequel Hitec se positionne est le domaine des TIC. Elles permettent non seulement de diversifier ses activités, mais aussi de générer des complémentarités avec d’autres domaines d’activité de la société.

Une des réalisations en cours est la mise en place du projet ‘emergency.lu.’ Il s’agit du système de communication à réaction rapide, visant à faciliter les missions humanitaires, comme les secours en cas de catastrophe. Nous le réalisons pour le compte du ministère de la Coopération du gouvernement luxembourgeois. Ce projet permet à Hitec de démontrer son expertise technique et son savoir-faire dans les domaines du segment sol vers satellite, avec notre solution NoSaCo et des TIC, avec notre solution DISP.

Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, il n’y a que l’innovation qui permet aux entreprises et aux pays de se développer. Je reste persuadé que le secteur des communications par satellite est un créneau essentiel, dont nous ne connaissons aujourd’hui que les premières étapes de développement.
Des projets comme Galileo (projet européen concurrent au GPS, ndlr.), EDRS (projet européen d’accélération des transmissions par satellite, ndlr.) ou d’autres dans le domaine des TIC sont des idées sur lesquelles il faut construire. C’est un travail de longue haleine.

L’innovation est donc au centre des stratégies de vos entreprises…

«C’est exact. Avec la Carrosserie, nous sommes également rentrés dans un domaine de haute technologie. Pour certains des travaux que nous réalisons, nous sommes les seuls à en être capables dans un rayon de 900 km… et quelquefois nous sommes les seuls à pouvoir le faire en Europe! Nous travaillons sur des véhicules spécialisés, comme les véhicules de secours et d’incendie, ou les véhicules militaires. Nous sommes capables d’intervenir sur des bus ou tout autre type d’utilitaires, avec un savoir-faire et une précision très grande. Pour résumer, si c’est compliqué, nous sommes les seuls à niveau au Luxembourg et dans la très Grande Région.

Si c’est pour fabriquer une carrosserie normale, j’ai presque envie de répondre ‘bof!’ Par contre, si c’est compliqué, c’est notre métier! Quelle que soit l’entreprise, il n’y a qu’une seule issue: l’innovation. On ne peut pas se contenter de faire et refaire ce qui s’est déjà fait…

Vous êtes également membre du board of managers de quatre sociétés d’investissement: BGP Investment, CB-Rail, Ascendos et Infigen… Les temps récents ont dû être difficiles…

«Oui et non. Ces sociétés sont des sociétés d’investissement dans les domaines les plus divers, comme l’énergie alternative, les locomotives, les wagons et tout ce qui touche à l’investissement lourd en matière de transport ferroviaire. Elles sont également actives dans l’immobilier résidentiel, principalement en l’Allemagne, et dans l’immobilier industriel en général, sur toute l’Europe.

Pour toutes ces sociétés, nos résultats ont toujours été positifs. De manière plus générale, les résultats à court terme, avant cinq ans, ne sont jamais spectaculaires, car ils ne contribuent pas à la pérennité d’une entreprise!

Sur le moyen terme, entre cinq et dix ans, et sur le long terme, entre dix et 15 ans, je pense avoir réussi à bien m’en sortir… J’ai une certaine fierté du travail accompli. Bien évidemment, il est impossible que chaque investissement réussisse, avec 100% de chance. Lorsque cela ne marche pas, cela vient d’une mauvaise analyse ou d’investissements dans une branche que l’on croyait connaître… en se trompant. Cela peut aussi venir d’une mauvaise estimation, d’une activité achetée ou développée trop cher.

Pensez-vous que le Luxembourg ait les armes pour conserver son bien-être économique dans les années à venir?

«Il faut reconnaître que le pays a su, jusqu’à présent, trouver des hommes politiques pleins de ressources et d’imagination. Des gens comme Pierre Werner, grâce à qui la SES a pu exister, ont fait un bien énorme au pays. Le défi est de trouver aujourd’hui les moyens pour demain. Il ne faut pas penser qu’à la place financière, il faut également penser en termes d’industrie, un secteur économique qui a été un peu délaissé dans le passé. On peut être en Europe et avoir un secteur industriel conquérant!

Il suffit de voir le travail que nos voisins allemands ont fait. Ils ont réussi à constituer une classe moyenne – une classe moyenne privée – qui a gardé un esprit novateur et entrepreneurial, nécessaire au développement propice des économies nationales et européennes! La classe moyenne privée permet une plus forte industrialisation du pays, de la société. Que ce soit en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Suisse, c’est elle qui réussit à gérer et à développer la production et une plus-value tangible.

A l’avenir, il faut trouver les moyens permettant aux Luxembourgeois de redécouvrir les opportunités qu’offrent le secteur privé et ses entreprises industrielles, au lieu de vouloir se fixer uniquement sur une carrière dans la fonction publique. Cette analyse sur le bien-être économique du Luxembourg est partagée par des institutions comme la Banque centrale européenne et l’OCDE qui considèrent un trop fort engagement des ressources humaines dans la fonction publique comme ‘néfaste’ sur les finances publiques.

Quel est donc le défaut de la fonction publique luxembourgeoise?

«Tout pays a besoin d’une fonction publique performante et fiable. Personnellement, je parlerais plutôt d’un service public. Au Grand-Duché, il faut veiller à se mettre au niveau d’autres pays en Europe, tout en adoptant un service adapté à notre pays, à sa taille, à sa réalité économique et industrielle. Il faut trouver un moyen pour réinventer un système politique, économique et social qui permette à tout le monde de trouver sa place.

La Suisse a réussi à trouver un modèle de développement dans lequel une véritable classe moyenne existe encore. La société d’aujourd’hui est complexe, partout à travers le monde. Mais au Luxembourg, on a parfois le sentiment que le système administratif a créé une complexité qui n’a rien à voir avec ce qu’elle devrait être. Il est aujourd’hui plus facile d’acheter un parc d’éoliennes que d’ouvrir un atelier mécanique dans une zone urbaine.

Vous avez votre projet, vous y mettez vos économies, et vous avez face à vous une administration omniprésente! C’est le petit entrepreneur qui est embêté, qui est trop surveillé, trop supervisé. Au Grand-Duché, les textes administratifs, plutôt que de garder le meilleur – et uniquement le meilleur – de tout ce que proposent nos voisins belges, français ou allemands, finissent la plupart du temps par être un condensé, inutilement compliqué, et surtout inapplicable sur le terrain!

Il faut mettre en place une coopération saine et transparente entre le public et le privé. Concrètement, cela veut dire se respecter, et trouver une dynamique où l’on offre un service, où l’on reçoit un conseil ou une aide qui contribue à remédier au problème posé, et ceci dans l’unique intérêt de toutes les parties concernées. Il faut réintroduire au plus vite et vivre la notion du ‘service public’ au Grand-Duché!

 

Parcours - Profil bas…

Nicolas Comes a obtenu deux diplômes à l’Université de Mannheim: une maîtrise en économie et finance, ainsi qu’une licence en technologie industrielle.
Entrepreneur en série, il apprécie également la musique classique: «J’aurais adoré être chef d’orchestre! Mon père était professeur de musique, il m’a enseigné un certain nombre de choses, comme la discipline, qui peuvent être associées à la musique classique. Il m’en a aussi, et surtout, donné le goût! Je connais mon solfège, je sais lire une partition, mais jusqu’à présent je n’ai pas encore dirigé un orchestre! Je pourrais dire que cela fait partie des choses que j’aurais aimé faire dans ma vie, mais comme on vit dans l’ère du ‘lifelong learning’, qui sait…»