Colette Dierick: «J’ai choisi des femmes pour des postes vacants à la direction d’ING. Il faut aller les chercher et prendre des risques.» (Photo: Maison Moderne / studio)

Colette Dierick: «J’ai choisi des femmes pour des postes vacants à la direction d’ING. Il faut aller les chercher et prendre des risques.» (Photo: Maison Moderne / studio)

Entre les grues et les bulldozers de l’entreprise familiale, Colette Dierick a grandi dans un monde essentiellement masculin. Soutenue par sa famille, encouragée par son grand-père qui a été un véritable mentor, Colette Dierick opte pour des études d’ingénieur à l’heure où peu de femmes faisaient ce choix. Mais comme le montrera la suite de sa carrière, elle fait de sa singularité une force.

Madame Dierick, dans quel contexte avez-vous rejoint le secteur bancaire?

«L’élément déterminant est le choix des études. Il faut faire un maximum pour exploiter ses talents, et j’avais des facilités pour les études, il a fallu faire des choix! J’ai opté pour des études d’ingénieur et, avec le recul, j’ai bien eu raison. Car si l’on ne commence pas avec des études techniques, il est difficile d’y retourner plus tard. À l’époque, il n’y avait que 5% de femmes, mais j’avais tellement l’habitude d’évoluer dans un milieu masculin que ça m’était naturel. Ça ne m’empêchait pas d’être féminine! J’ai toujours mis un point d’honneur à être coquette, porter des talons, etc.

Après le diplôme d’ingénieur, j’ai enchaîné avec un MBA pour le côté plus généraliste. J’étais évidemment la seule ingénieur du groupe – encore une fois, je me démarquais. Les banques proposaient alors un parcours de deux ans, j’étais payée pour apprendre, j’ai saisi cette opportunité.

À 23 ans, je me suis donc retrouvée chargée de clientèle entreprise. C’est important de bien choisir son secteur. Les femmes ont tendance à ne pas choisir ces secteurs où on montre les chiffres, où l’on a des résultats quantitatifs. Ce n’est pas la voie la plus simple, mais c’est celle qui a le plus de retombées.

Puis, vous avez gravi les échelons. Était-ce une volonté affichée?

«J’ai toujours une soif d’apprendre, je veux relever de nouveaux défis. Je suis en effet devenue manager, il fallait apprendre à faire plus en inspirant ses collaborateurs. J’ai occupé une dizaine de postes. À chaque fois, c’était une prise de risque. Mais je crois qu’il faut expliquer où l’on va et son plan d’action. Il faut également mobiliser et créer un esprit d’équipe.

Ma satisfaction professionnelle s’est répercutée sur ma vie familiale.

Colette Dierick, CEO d’ING Luxembourg

Est-ce qu’être une femme a été un obstacle dans votre carrière?

«L’important, c’est de réaliser qu’on ne peut pas tout avoir à tout moment. Même quand je n’avais pas spécialement les moyens, je faisais garder mes enfants. Mon mari a été le premier à me soutenir dans ma carrière, c’est très important d’avoir ce soutien-là.

Mais alors que je convoitais un poste, à compétences égales, un homme m’est passé devant. Je ne faisais pas partie de l’‘old boys club’. Ça m’a mis un coup, j’ai failli tout plaquer, mais mon mari m’a persuadée du contraire, et il a bien fait. C’est important d’avoir quelqu’un qui a confiance en vous.

Il faut dire que cela ne fait pas si longtemps que les femmes ont accès à l’égalité, l’historique n’est donc pas le même qu’avec les hommes. On n’arrive pas au top sans accrocs. Ma mère, qui n’a jamais pu travailler alors qu’elle en avait les capacités et surtout l’envie, m’a dit: ‘Veille à toujours continuer à travailler, à être indépendante.’ Ma satisfaction professionnelle s’est ainsi répercutée sur ma vie familiale.

Comment se porte le secteur bancaire dans le domaine de l’égalité homme/femme?

«Cela a bien évolué, j’ai vécu une époque beaucoup plus paternaliste. Nous concernant, ING a mis en place des valeurs RH pour donner des opportunités et faire avancer la diversité.

60% de femmes sortent des universités en Europe. Cela ne se ressent pas sur le marché du travail.

Colette Dierick, CEO d’ING Luxembourg

Je dois dire que, de leur côté, les femmes ont aussi leur part à faire. Elles doivent oser plus et aller saisir les opportunités.

Que pensez-vous de l’instauration des quotas de 40% de représentants du sexe sous-représenté dans les conseils d’administration?

«Je pense que c’est très bien. Je n’en ai pas eu besoin, mais j’aimerais que cela soit plus facile pour les femmes. Les plus grands changements de société sont passés par des lois, même si les quotas, ce n’est pas l’idéal. Il faut montrer des exemples de femmes, montrer que c’est possible.

J’ai choisi des femmes pour des postes vacants à la direction d’ING. Il faut aller les chercher et prendre des risques. Le meilleur candidat, ce n’est pas quelque chose de blanc ou noir, il n’y a pas deux candidats identiques. Alors, quand on dit qu’on doit se baser uniquement sur les compétences... C’est un peu plus complexe que ça. Pierre Gramegna a dit quelque chose de très juste: quand on aura plus de discussions après la nomination de femmes qui ne sont pas compétentes, alors, on y sera arrivé.

Au Gender Diversity Forum en novembre dernier, les chiffres ont montré que 60% de femmes sortent des universités en Europe. Cela ne se ressent pas sur le marché du travail, d’où la conclusion du forum disant que nous avons les femmes au foyer les plus éduquées. Alors que nous avons besoin de leurs compétences.

Seuls les résultats comptent, pas les heures passées au bureau.

Colette Dierick, CEO d’ING Luxembourg

Quelles sont les mesures à mettre en place pour arriver à avoir plus de femmes pour les postes de direction?

«Déjà, il faut une prise de conscience du problème, mais ce changement de mentalités doit venir aussi des femmes elles-mêmes. L’avenir est à elles, ce sont les femmes qui décident au niveau de la consommation des ménages, elles sont à même de mieux comprendre nos clients.

L’erreur qui est souvent faite est d’opter pour le temps partiel. C’est bien de le prendre à un moment-clé, mais ponctuellement. Et je vais être honnête, pour arriver au top, on ne peut pas le faire à temps partiel. De toute façon, bien souvent, pour les femmes, ce n’est pas du temps de qualité passé en famille: on utilise ce temps-là pour les tâches ménagères, faire les courses ou emmener les enfants à leurs activités. Il faut déléguer et payer quelqu’un pour le faire à votre place! Si le repassage est fait, vous aurez plus de temps de qualité à passer en famille.

Ce que je propose, c’est de respecter l’autonomie de mes collaborateurs. Seuls les résultats comptent, pas les heures passées au bureau. J’introduis donc de la flexibilité pour que chacun soit autonome, puisse partir un jour plus tôt et commencer plus tôt le lendemain, gérer son emploi du temps comme il l’entend, en somme.

Les femmes ne peuvent pas être parfaites, elles ne peuvent pas tout contrôler, elles doivent l’intégrer. Mais c’est tellement plus gai et plus enrichissant d’avoir une équipe mixte. Cela donne une tout autre atmosphère de travail, même les hommes l’apprécient.

C’est ce que vous avez appliqué à vous-même?

«En raison de ma vie professionnelle très prenante, j’ai raté beaucoup d’épisodes de la vie de mes enfants. Mais je n’ai pas de regrets, car il faut se réaliser. Est-ce que mes enfants m’en veulent aujourd’hui qu’ils sont grands? Pas du tout! Pour eux, c’est tout à fait normal qu’une femme travaille, et ils ne conçoivent pas les choses autrement. J’estime que j’ai pu leur accorder du temps de qualité car j’avais délégué le reste. Si la femme de ménage n’a pas bien rangé comme je le souhaite, tant pis, il y a tellement mieux à faire!»

Trois dates-clés du CV de Colette Dierick:

1986 – Début de carrière en tant qu’account manager medium sized & large corporates chez BBL (avant le rachat par ING)

2003 – Mutation «osée» d’un rôle (managérial) commercial vers un rôle back-office et technologique en tant que head of securities chez ING Belgique

2011 – Membre du comité de direction d’ING Belgique

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