C’est un texte qui n’a pas eu d’effet d’annonce. Mais qui était attendu, un peu comme un joueur attend avec impatience le moment, rare et donc béni, où ses jetons vont se convertir en prize money.
C’est un règlement grand-ducal, passé au Conseil de gouvernement en décembre dernier, et qui vient modifier la dernière version en date (de janvier 2014) du texte relatif «à l’exploitation des jeux de hasard et des paris relatifs aux épreuves sportives», en portant notamment «autorisation de la mise en œuvre d’un système de cartes de jeu électroniques en matière de jeux de casino». En plus clair encore, c’est un coup de pouce qui se faisait attendre sur le terrain du monopole casinotier du pays, à Mondorf.
«Il s’agit d’un monopole technique», tempère illico Guido Berghmans, directeur général de la Secs (société en commandite simple) Casino de Jeux du Luxembourg, plus communément appelée Casino 2000.
Le Luxembourg souffrait en la matière d’un retard, voire d’une rigueur excessive
«C’est dû à la taille du pays et au nombre de ses habitants. En Europe, la majorité des pays ne dispose pas d’un casino pour 500.000 résidents.»
Cela étant, dans le contexte transfrontalier évident autour de Mondorf, les nouvelles possibilités offertes par l’encadrement législatif étaient espérées depuis longtemps. «Nos attentes étaient d’être à armes égales avec nos concurrents et de pouvoir proposer un nombre de nouveaux jeux et de possibilités autour des jeux qui n’étaient pas encore prévus dans la règlementation luxembourgeoise.» Le règlement en application remontait à 2002. L’industrie a eu le temps de distiller de nombreuses nouveautés, notamment technologiques, dont ont pu s’emparer les voisins. Une concurrence féroce, emmenée par le casino de Schloss Berg à Nennig (Allemagne) et par le troisième casino de France, Amnéville. «Amnéville a ouvert une nouvelle salle de jeux de 3.000m² en 2010», rappelle Guido Berghmans. «Et l’établissement sarrois fait partie d’une société étatique qui exploite également les loteries.» Or, l’agilité règlementaire peut, là aussi, servir ou desservir. Car les textes luxembourgeois, soumis depuis les origines au double contrôle des ministères de la Justice et des Finances, ont toujours été détaillés. Peut-être trop, vis-à-vis d’un monde en mutation très rapide, surtout ces dernières années.
La règlementation française a été révolutionnée par une initiative du président Sarkozy, des syndicats et des casinotiers il y a quelques années. Et, constate le directeur de Mondorf, «depuis, la France a une règlementation très moderne et un comité qui, en permanence, travaille sur des adaptations nécessaires». Le Luxembourg souffrait donc en la matière d’un retard, voire d’une rigueur excessive…
Mise à la page bien calculée
Depuis plusieurs années, la révision était demandée; Mondorf faisait des propositions, se rappelait au bon souvenir des ministères concernés… Le déclic est-il dû à un changement de gouvernement, voire à la «montée» au sein de la coalition tricolore inédite de la populaire bourgmestre de la cité thermale?
Il semble qu’il y a surtout eu un nouveau fonctionnaire, à la Justice, qui a pris le dossier à bras-le-corps pour le faire avancer.
«On a fait, sur un laps de temps très court, et sur initiative du ministère, un gros travail de mise à jour», admet M. Berghmans. Avec dans l’idée de rattraper le retard accumulé et d’anticiper au mieux des besoins futurs.
Au fil de la cinquantaine de pages du règlement grand-ducal modifié apparaissent les grands objectifs poursuivis par l’exécutif, saisi d’une certaine urgence: «Introduire de nouvelles variantes de certains jeux dans le domaine du poker, de nouvelles modalités techniques permettant d’exploiter les jeux autorisés et d’introduire des dispositions permettant au casino de tenir et de soumettre aux autorités fiscales compétentes les documents fiscaux et comptables prévus.»
Ainsi, le casino luxembourgeois pourra se mettre à la page et proposer de nouveaux jeux, automatiques ou semi-automatiques.
En ce début février, les émissaires de Mondorf ont été très attentifs aux nouveautés du salon de Londres (Ice Totally Gaming), un incontournable pour le secteur qui permet de voir les nouveautés, de négocier avec producteurs et fournisseurs de jeux automatiques et de palper les tendances du marché. «On va pouvoir estimer les coûts, pour mesurer là où il faut investir», avance le directeur du Casino 2000, pour qui miser juste passera par une étude de marché – avec recours à des consultants – rapide, afin de décider de ce qui sera mis en œuvre, et ce que le nouveau règlement autorisera.
Des jeux comme Ultimate Texas Holdem sont aussi pistés, de très près. Faut-il s’attendre à des tournois de poker? Mondorf ne jette pas sa main, mais veut aussi tout prendre en considération, comme le fait que l’évasion des joueurs se fait déjà beaucoup sur internet (ce qui reste illégal); ou vérifier si on ne perd pas par ailleurs (par exemple, si la table de black jack se vide au «profit» du concours de poker) ou si les coûts n’explosent pas (besoin de croupiers en extra par exemple).
En revanche, Guido Berghmans note que la loi permettra d’avoir des jeux en test pour une période déterminée. Un détail? «Des fournisseurs le proposent depuis 15 ans. Mais on n’avait pas la possibilité légale de recourir à cette formule. Or, sachant qu’un groupe de machines, ça peut faire 200.000 euros, c’est mieux d’avoir fait un test préalable à l’achat.»
Autre bonus législatif, pour rattraper le retard accumulé sur la concurrence: les cartes de jeu électroniques, spécifiques à l’établissement pour les paiements, limitent les mouvements de fonds et les entrées de personnel dans le fumoir – le rapport entre le joueur et l’autorisation de fumer est un autre effet prévu dans la réglementation.
«On passerait, selon une estimation statistique, de 350 paiements/jour à quatre paiements/jour dans cette zone», note le patron de l’établissement de jeux.
Moins de mouvements, plus de compétitivité
De fait, outre que ce système facilite la tenue de la comptabilité, il réduit considérablement le nombre d’opérations effectuées en argent comptant et en jetons. Cela accroît d’autant la sécurité, en même temps que la conformité à la lutte antiblanchiment. Et cela réduit au strict minimum la présence du personnel dans la salle des appareils à sous. «Il s’agit d’une question de compétitivité du casino exploité au Luxembourg par rapport aux casinos dans les régions frontalières», note sans ambiguïté l’exposé des motifs du projet de règlement grand-ducal. Qui précise également que cette réduction du personnel dans la salle des appareils à sous, fumeurs admis, faisait partie des raisons poussant à l’urgence, en 2014, afin de se rapprocher de la loi antitabac, entrée en vigueur en janvier de l’an passé. CQFD.
Ainsi, l’entreprise, avec son nouveau cadre, pourra mieux voir venir. «Cela nous permettra, j’espère, de reconquérir des clients des casinos concurrents», souligne Guido Berghmans. «Ces clients aiment l’ambiance chez nous, et la façon dont ils sont reçus par nos employés. Mais évidemment, il faut pouvoir offrir ce qui est le plus important à leurs yeux: la diversité et l’attractivité des jeux.»
Les premiers clients du marché, pour Mondorf, ce sont les «vrais joueurs» qui circulent dans la Grande Région, qui manifestent leur intérêt pour les nouveautés, pour les jeux classiques revisités, avec un plus pour les services, une bonne restauration, une animation adaptée, un personnel compétent et sympathique… «Mais le premier produit, c’est le jeu»; et l’avoir ou pas, cela peut tout changer. L’enjeu est de taille, même s’il est difficile à chiffrer. La direction du Casino 2000 estime que l’avantage, concurrentiel ou pas, peut dépasser les 10% sur le chiffre d’affaires.
220 emplois à défendre
Et pendant que le chiffre varie, les investissements sont nécessaires: le parc de machines se renouvelle sur cinq à sept ans traditionnellement. Si les grands groupes peuvent faire tourner les nouveautés, avec cinq ou six exemplaires d’une nouvelle machine mis ensuite en rotation, mettant à chaque fois en route une opération marketing sur la «nouveauté locale», Mondorf, seul, ne peut pas jouer dans la même cour, ce qui l’oblige à miser sur de la valeur sûre.
«Depuis 2009, donc au début de la crise financière, nous avons investi 42 millions d’euros dans l’agrandissement et la rénovation de nos espaces. Personne dans le secteur n’a fait ça à une telle échelle.» En parallèle, le chiffre d’affaires du Casino 2000 a régressé de presque 19% depuis 2009.
Alors les nouvelles possibilités réglementaires, c’est un espoir de banco pour ne pas un jour crier «rien ne va plus». L’objectif volontariste de l’entreprise est de retrouver un peu de croissance en 2015. «Plus 3%, ce serait bien», souligne Guido Berghmans. «Mais cela dépend de l’atmosphère, de la confiance. Cela a mal commencé avec le climat actuel… Mais on doit rattraper ça. Il faut le faire. On a 220 emplois à défendre. Le personnel le sait et joue le jeu. Chacun a tout fait pour que le succès revienne.»
Baisse des recettes
Les effets de la crise et d’internet
L’Europe des casinos subit une violente crise, depuis 2007.
Quand la crise va, le jeu est une valeur refuge. C’est sans doute un lieu commun. Car, selon Guido Berghmans, vice-président de l’Association européenne des casinos, l’Europe subit une énorme crise. «Le chiffre d’affaires des casinos européens a diminué de plus de 32% depuis 2007, malgré de nouvelles ouvertures et de nouvelles possibilités réglementaires, comme en France. Il y a eu partout une baisse considérable des recettes avec la crise, plus l’interdiction de fumer qui a suivi. Une baisse de 20% dès la première année.» Outre les «petites» salles de jeux automatiques – qui pullulent notamment juste sur la frontière belge –, le secteur subit la concurrence des jeux illégaux, surtout sur internet. Ce sont des millions de recettes, y compris de recettes fiscales pour les États, qui s’évaporent. Internet, c’est un phénomène en soi, surtout quand on s’aperçoit que ce sont les plus de 50 ans qui sont les plus concernés par les jeux virtuels de casinos et de paris, les jeux de poker et autres. «C’est illégal au Luxembourg. Plus exactement, il n’y a pas de législation prévoyant une licence nationale, glisse le directeur du casino de Mondorf. Il y a en revanche une offre offshore, avec des opérateurs qui se disent basés à Malte ou à Gibraltar, sous licence européenne, ce qui n’existe pas.» Or, selon des chiffres communément admis, mais sans doute en dessous la vérité en ce qui concerne les opérateurs virtuels, le marché des casinos en Europe pèse quelque 7 milliards d’euros; celui des jeux et paris en ligne, deux fois plus.